Tarnac : «Nous demanderons la relaxe intégrale pour tout le monde»

Marie Dose

LE FIGARO. – La justice a décidé de ne pas retenir la qualification «d’entreprise terroriste» à l’encontre des prévenus de cette affaire (depuis la réalisation de cette interview, lundi matin, le parquet a décidé de faire appel de cette décision). Quelle est votre réaction?

Maître Marie DOSÉ. – Nous considérons que cette décision est juridiquement légitime. Elle n’efface cependant pas ce qui est illégitime dans cette procédure, c’est-à-dire ce qu’il s’est passé pendant les sept ans de l’instruction: une procédure qui ne respecte ni le sens des textes, ni de la loi. Si c’est effectivement un soulagement pour tout le monde, il ne faut pas oublier que ce n’est que le premier round. Le second se jouera devant le tribunal correctionnel.

Qu’allez-vous y plaider?

Nous demanderons la relaxe pleine et intégrale pour tout le monde. Quatre des prévenus (sur les huit, ndlr) sont renvoyés pour «association de malfaiteurs», une qualification qui est à mettre en parallèle avec la liberté de manifester.

Outre Julien Coupat et Yildune Lévy, qui sont les deux autres prévenus concernés par l’association de malfaiteurs?

Elsa Hauck et Bertrand Deveaud.

La décision de la juge d’instruction ne montre-t-elle pas que la justice sait faire preuve d’indépendance?

Oui, c’est une preuve que la justice reste indépendante: c’est une procédure politique qui se solde par une décision de justice. Même si je pense que cette magistrate a pris sa décision plus à l’égard du parquet que de nous. Elle lui a évité de se ridiculiser en essayant de démontrer devant le tribunal le caractère terroriste des infractions reprochées.

Sans la qualification de terrorisme, ce procès ne sera-t-il donc plus politique?

Si bien sûr, cela restera un procès à dimension politique. Nous considérons qu’il y a une volonté d’empêcher les gens de manifester. Même avec l’abandon de la qualification terroriste, il y aura nécessairement une tribune laissée à ceux que l’on a accusé. Nous entendons également bien faire la lumière sur la manière dont l’instruction a été menée.

Tarnac : l’instruction en rase-campagne

C’est la substance même de l’un des dossiers les plus controversés de l’antiterrorisme qui s’est évaporée dans la torpeur d’un après-midi d’août. Samedi, un peu après 17 heures, un bulletin de l’AFP annonce que la qualification «terroriste» n’a pas résisté à l’ordonnance de renvoi de la juge Jeanne Duyé dans l’affaire dite de Tarnac – du nom d’un hameau corrézien où vit une petite communauté de militants d’extrême gauche. Diantre ! Voilà sept ans que le parquet antiterroriste, une bonne partie de la classe politique, et certains médias (lire page 4) – dont Libération le lendemain des arrestations – surfaient sur le potentiel insurrectionnel du groupe, vraisemblablement auteur du pamphlet anarcho-libertaire, l’Insurrection qui vient, publié le 22 mars 2007 par le mystérieux Comité invisible. C’est le lien supposé entre ces écrits, préconisant un «blocage organisé des axes de communication», et les sabotages de lignes SNCF survenus dans l’Oise, dans l’Yonne, en Moselle et en Seine-et-Marne, qui caractérisait, aux yeux du ministère public, «l’intention terroriste» du groupe de Tarnac. Ainsi, l’extrême gauche violente marquait son retour sur le devant de la scène, elle qui sommeillait depuis la fin des années 80 et le démantèlement d’Action directe. Surtout, Nicolas Sarkozy et sa ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, tenaient là le premier gros coup de la rutilante Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, ex-DGSI), un «FBI à la française» inauguré en grande pompe six mois plus tôt.

Camouflet

Juridiquement, pourtant, la notion «d’intention terroriste» est des plus instables. En effet, nombreux sont les magistrats qui considèrent qu’elle repose uniquement sur une action engendrant des victimes humaines. Or, selon de nombreux experts, la pose d’une croche sur une caténaire ferroviaire, bien que malveillante, ne menace en rien la sécurité des voyageurs. Nonobstant cet avis, l’accusation s’est toujours fondée sur l’article 421-1 du code pénal pour motiver «l’intention terroriste» des sabotages, puisqu’il stipule que «les atteintes aux biens» peuvent y être incluses, pour peu qu’elles aient «pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur». Le 6 mai, dans un réquisitoire qui restera dans les annales tant il est à charge, le parquet réclamait sans surprise que la circonstance aggravante de terrorisme soit retenue contre trois des dix mis en examen : «l’éminence grise» Julien Coupat, sa compagne Yildune Lévy, et son ex-petite amie Gabrielle Hallez. Seuls deux militants étaient mis hors de cause.

Samedi, c’est donc peu dire que la juge Duyé a infligé un camouflet retentissant au ministère public. Outre l’abandon de la dimension terroriste, cette dernière a totalement revu la géométrie des poursuites : parmi les huit membres qui demeurent renvoyés devant le tribunal correctionnel, quatre, dont Julien Coupat et Yildune Lévy, le sont «pour association de malfaiteurs». Le couple est également accusé de «dégradations», en raison de sa présence à proximité de Dhuisy (Seine-et-Marne) la nuit du 8 novembre 2008, où un crochet a été posé sur une ligne du TGV Est. Lors de leurs auditions, ils ont expliqué «avoir fait l’amour dans la voiture, comme plein de jeunes». Les quatre autres membres sont quant à eux poursuivis pour «tentatives de falsification de documents administratifs», «recels» de documents volés ou «refus de se soumettre à des prélèvements biologiques». Contacté par Libération, Marie Dosé, avocate du groupe de Tarnac avec William Bourdon, savoure «la première décision juridique sérieuse rendue en sept ans». «Jusqu’ici, déplore-t-elle, ce dossier n’a subi que des instrumentalisations invraisemblables. Avec cette ordonnance, la juge évite le fiasco d’un procès public où la qualification terroriste n’aurait pas fait un pli.» Quelques jours après la publication du réquisitoire, les avocats de la défense étrillaient déjà le ministère public dans une requête à des fins de non-lieu extrêmement politique : «Le réquisitoire est un malheureux florilège de sophismes, de syllogismes, d’affirmations d’autorité. Il est finalement l’aveu ultime de l’impuissance du parquet à articuler le moindre commencement de preuve de la suffisance des charges, après sept années d’une construction intellectuelle acharnée.» Et de conclure : «Ce qui est finalement le plus clairement reproché à nos clients, c’est de s’être défendus et de continuer à le faire alors que tous les moyens ont été mis en œuvre pour les en empêcher.»

En effet, le groupe de Tarnac a fait l’objet d’un acharnement de tous les instants. Dès 2005, les services de renseignement épient ses activités. C’est d’abord le rachat de la ferme située sur le paisible plateau de Millevaches qui est épluché par Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy. Toutefois, aucune irrégularité ne sera constatée. En avril 2008, le patron de la Sous-Direction antiterroriste (Sdat) de la police judiciaire demande au parquet de Paris l’ouverture d’une enquête préliminaire sur «une structure clandestine anarcho-autonome entretenant des relations conspiratives avec des militants de la même idéologie implantés à l’étranger et projetant de commettre des actions violentes». Des placements sur écoute – illégaux – sont déclenchés. Quelques mois auparavant, c’est le criminologue Alain Bauer qui achète en personne 40 exemplaires de l’Insurrection qui vient. Il en remet un à Frédéric Péchenard, alors Directeur général de la police nationale (DGPN).

«Supercherie»

Plus gênant, la défense accuse les enquêteurs d’avoir monté de faux PV de filature, notamment celui sur lequel repose la mise en examen de Julien Coupat et Yildune Lévy pour le sabotage de Dhuisy. Là encore, une balise aurait été posée illégalement sous leur véhicule. Une plainte pour «faux en écriture publique» a été déposée et une instruction ouverte à Nanterre en novembre 2011. Douze policiers de la DCRI ont été entendus anonymement, mais tous se sont réfugiés derrière le secret-défense.

Cerise sur le gâteau, la Sdat aurait fait pression sur Jean-Hugues Bourgeois, jeune agriculteur et principal témoin à charge du dossier. Au départ, il accuse sous X le groupe de Tarnac d’avoir un projet de «renversement de l’Etat». Pour le témoin numéro 42, Coupat envisage carrément «d’avoir à tuer». Mais, le 11 novembre 2009, coup de théâtre. TF1 fait parler Jean-Hugues Bourgeois sur une route mouillée de campagne, flouté, sous l’objectif d’une caméra cachée. Il déclare n’avoir eu «aucune idée du témoignage anonyme». L’un des fonctionnaires de la Sdat lui aurait expliqué qu’il y avait «tout un tas d’infos, d’interceptions de mails» qui n’étaient «pas exploitables dans une procédure judiciaire», et qu’ils avaient «besoin d’une signature». Les avocats de la défense s’insurgent et écrivent au juge qui instruit l’affaire à l’époque, Thierry Fragnoli. Jean-Hugues Bourgeois confesse benoîtement «avoir signé sa déposition sans la lire», et s’être «associé à cette supercherie sous la pression des policiers». Mieux, le jeune agriculteur est mis en examen dans une autre affaire pour s’être lui-même envoyé des lettres de menaces de mort… Fragilisé par les scandales à répétition, Thierry Fragnoli s’autodessaisit du dossier en avril 2012.

A l’inverse, plusieurs pontes de la police antiterroriste impliqués dans l’enquête sont toujours en poste actuellement. Certains ont même fait l’objet de promotions. En août 2014, un sabotage sur le TGV Lyon-Paris, en tous points similaire à ceux imputés au groupe de Tarnac, a été considéré comme un simple «acte de malveillance» par le parquet de Chalon-sur-Saône.

Affaire de Tarnac : la qualification de « terrorisme » abandonnée

Dans cette affaire de sabotages de lignes TGV en 2008, après sept années d’instruction, des centaines d’heures d’écoutes, d’interrogatoires et de reconstitutions, Julien Coupat, leader présumé du groupe, sa compagne Yildune Lévy et deux autres personnes sont renvoyés en procès pour « association de malfaiteurs » . Quatre autres personnes sont renvoyées devant le tribunal correctionnel pour avoir refusé de donner leur ADN et, pour deux d’entre elles, pour falsification de documents administratifs.

Dans son ordonnance rendue vendredi, Jeanne Duyé, la juge d’instruction antiterroriste en charge du dossier, n’a pas suivi les réquisitions du parquet qui demandait que la circonstance aggravante d' »entreprise terroriste » soit retenue à l’encontre de trois militants, dont Julien Coupat et Yildune Lévy.

Les explications de Corinne Audouin

Le parquet a cinq jours après la signature de l’ordonnance pour faire appel devant la chambre d’instruction.

Tout ça pour ça ?

La réaction de Marcel Gay, journaliste, auteur du livre « Le Coup de Tarnac » sorti en 2009, quelques mois seulement après le début de l’affaire.Pour Marcel Gay, « les dés étaient pipés dès le début de l’affaire ». il répond à Benjami Illy

Une victoire, mais en demi-teinte

C’est comme ça que le « groupe de Tarnac » a ressenti l’annonce, toujours convaincus que la police a fabriqué des faux pour les perdre.

Mathieu Burnel est l’un des prévenus, renvoyé au tribunal pour refus de prélèvement ADN. Il s’exprime au nom des huit membres du groupe au micro de Corinne Audouin

L’affaire avait été largement médiatisée, voir politisée, dès le début de l’enquête

(…) Elle  a suscité une vive polémique, le gouvernement et la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, ayant été accusés de l’instrumentaliser en insistant sur son caractère terroriste.

Pour Maître William Bourdon, (…) on avait voulu inventer à l’époque des « ennemis de l’intérieur »

Tarnac : le parquet fait appel après l’abandon de la qualification « terroriste »

L’affaire de Tarnac est-elle un dossier terroriste ? Vendredi 7 août, la juge d’instruction chargée de l’enquête sur le sabotage de plusieurs lignes de TGV en 2008 par un petit groupe issu de la mouvance anarcho-autonome a répondu par la négative à cette question. Dans son ordonnance, la magistrate a décidé de renvoyer en correctionnelle huit membres du groupe, dont le principal accusé, Julien Coupat, mais a abandonné la qualification de « terroriste ». Une décision dont a fait appel le parquet lundi 10 août.

Pour le ministère public, l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction constitue un désaveu cinglant. Dans son réquisitoire du 6 mai, le parquet avait demandé que la circonstance aggravante d’« entreprise terroriste » soit retenue à l’encontre des trois principaux mis en examen : Julien Coupat ; sa compagne, Yildune Lévy ; et son ex-petite amie Gabrielle Hallez. Le ministère public estimait notamment, se fondant sur l’article 421-1 du code pénal, que « les atteintes aux biens » peuvent constituer des actes de terrorisme pour peu qu’elles aient « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Cette volonté de « troubler gravement l’ordre public », le ministère public la motivait par l’idéologie et les relations des membres du groupe de Tarnac avec la « mouvance anarchiste internationale ». Le pivot de l’accusation reposait sur les écrits de Julien Coupat, considéré comme la « plume principale » ce qu’il a toujours démenti — d’un « pamphlet » intitulé L’Insurrection qui vient, publié en 2007 par le Comité invisible.

« Une logique d’ entêtement idéologique »

Mais la juge d’instruction, Jeanne Duyé, n’a pas suivi cette réquisition, renvoyant quatre membres du groupe, dont Julien Coupat, en correctionnelle pour « association de malfaiteurs » seulement, et quatre autres personnes pour avoir refusé de se soumettre à un test de leur ADN et, pour deux d’entre elles, pour « falsification de documents administratifs ».

« Cette ordonnance était un camouflet difficilement supportable pour le parquet, qui reste dans une logique qui n’a rien de juridique, mais qui est une logique d’ entêtement idéologique », ont réagi Marie Dosé et William Bourdon, avocats des prévenus. Le dossier des huit membres du groupe de Tarnac – du nom du village corrézien où gravitait la petite communauté libertaire – devra désormais être examiné par la chambre de l’instruction.

« Ça risque d’aller en Cour de cassation, d’un côté comme de l’autre, pronostique Marie Dosé, interrogée par Le Monde. Le parquet semble s’enferrer dans une logique jusqu’au-boutiste, et nous irons aussi en cassation si la chambre de l’instruction infirme l’ordonnance. Peut-être qu’enfin découlera de tout ça une définition claire et précise du terrorisme ».

Instumentalisation politique

L’affaire de Tarnac avait suscité en 2008 une vive polémique, le gouvernement et la ministre de l’intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, ayant été accusés de l’instrumentaliser en insistant sur son caractère terroriste.

Julien Coupat, 41 ans, et Yildune Lévy, 31 ans, ont reconnu leur présence dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 à Dhuisy (Seine-et-Marne) aux abords de la voie ferrée où passe le TGV Est, mais ont toujours nié avoir participé à la pose d’un fer à béton, retrouvé plus tard sur la caténaire. Tordu en forme de crochet, il avait causé d’importants dégâts matériels au premier TGV du matin, et fortement perturbé le trafic.

Outre les faits de Dhuisy, le parquet imputait à Julien Coupat, qui a effectué un peu plus de six mois de détention provisoire jusqu’en mai 2009, une participation à un autre sabotage du TGV Est, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008 à Vigny (Moselle). La juge d’instruction a rendu un non-lieu dans ce volet de l’affaire, mais le parquet a fait appel.

Tarnac : le parquet requiert le renvoi de Julien Coupat en correctionnelle pour terrorisme

Tarnac Le Monde 07.05.2015

 

Après sept ans d’une enquête mouvementée et largement médiatisée, le parquet de Paris a rendu son réquisitoire définitif dans l’affaire dite de « Tarnac ». En novembre 2008, dix jeunes gens issus de l’ultragauche gravitant dans ce petit village corrézien autour d’un intellectuel fédérateur, Julien Coupat, avaient été mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Les services de police et de renseignement les soupçonnaient d’être impliqués dans une série de sabotages de lignes TGV commis dans les nuits du 25 au 26 octobre et du 7 au 8 novembre 2008.

 

Dans son réquisitoire, que Le Monde a pu consulter, le ministère public demande que seuls les trois principaux mis en examen – Julien Coupat, sa compagne Yildune Lévy et son ex-petite amie Gabrielle Hallez – soient renvoyés devant le tribunal correctionnel pour des sabotages « en relation avec une entreprise terroriste ». Il requiert un non-lieu pour deux de leurs compagnons, ainsi que pour trois des cinq sabotages, dont l’enquête n’a « pas permis d’identifier les auteurs ».

 

Pour les cinq autres membres présumés de cette « association de malfaiteurs », le parquet, qui reconnaît manquer d’éléments les reliant aux dégradations, rejette la circonstance aggravante d’« entreprise terroriste ». Il requiert néanmoins leur renvoi pour des « tentatives de falsification de documents administratifs », des « recels » de documents volés ou des « refus de se soumettre à des prélèvements biologiques ». C’est la juge d’instruction, Jeanne Duyé, qui décidera au final de renvoyer ou non devant le tribunal tous ces mis en examen. Elle devrait signer l’ordonnance de renvoi avant l’automne.

 

Flot de critiques sur l’enquête

 

Politisé dès sa genèse par le gouvernement Fillon, qui avait fait de l’« ultragauche » une priorité policière, le dossier Tarnac est devenu au fil de l’instruction un objet médiatico-judiciaire incontrôlable. Procès-verbal après procès-verbal, les méthodes d’enquête de la toute nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), créée le 1er juillet 2008, ont été éreintées par voie de presse, fragilisant chaque jour un peu plus l’instruction.

 

Si ce dossier a provoqué tant de passions et de remous, c’est en raison de sa charge politique et parce qu’il interroge les fondements mêmes de l’arsenal antiterroriste à la française. Dans ce contexte houleux, le ministère public savait son réquisitoire attendu. Aussi a-t-il pris le soin de revenir en détail sur le flot de critiques qui s’est abattu sur cette enquête et sur la plus épineuse des questions qu’elle soulève : Julien Coupat est-il un terroriste ?

 

Les fers à béton usinés posés sur les caténaires de cinq lignes TGV en octobre et novembre 2008 avaient occasionné de nombreux retards, mais aucun blessé. De l’aveu même des experts, ce dispositif, emprunté aux méthodes employées dans les années 1990 par les militants antinucléaires allemands, ne peut engendrer aucun déraillement ni porter atteinte à la sécurité des voyageurs.

 

Sabotage similaire en août 2014

 

Le caractère relativement bénin de ces dégradations avait été soulevé lors de l’instruction par les avocats de la défense, qui en contestaient le caractère « terroriste ». Le ministère public leur répond que « la finalité terroriste du groupuscule ne saurait être nuancée par l’absence de victimes humaines », l’article 421-1 du code pénal disposant que « les atteintes aux biens » peuvent constituer en droit français des actes de terrorisme pour peu qu’elles aient « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

 

En août 2014, un sabotage en tout point similaire – la pose d’un crochet sur une caténaire de la ligne du TGV Lyon-Paris – a pourtant été considéré comme un simple « acte de malveillance ». Selon les informations du Monde, c’est le parquet de Châlons-sur-Saône qui a ouvert une enquête préliminaire dans cette affaire, la section antiterroriste du parquet de Paris n’ayant pas jugé utile de se saisir du dossier.

 

Si Julien Coupat, Yildune Lévy et Gabrielle Hallez sont renvoyés pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », c’est donc uniquement à la lumière de leur idéologie et de leurs relations mise au jour par la surveillance dont ils faisaient l’objet avant le début des sabotages. Un contexte qui permet à l’accusation de projeter une intention terroriste sur des dégradations qui relèveraient en d’autres circonstances du droit commun.

 

« Structure clandestine anarcho-autonome »

 

L’enquête préliminaire visant les membres du groupe de Tarnac a été ouverte le 16 avril 2008, soit six mois avant les sabotages. Elle se fondait sur une note de la sous-direction antiterroriste décrivant cette communauté comme une « structure clandestine anarcho-autonome entretenant des relations conspiratives avec des militants de la même idéologie implantés à l’étranger et projetant de commettre des actions violentes ».

 

Les services de renseignement étaient destinataires d’une information selon laquelle Julien Coupat avait rencontré des anarcho-autonomes « dans un appartement new-yorkais » en janvier 2008. C’est ce voyage qui, sur la fois d’un renseignement des autorités américaines, a déclenché l’ouverture de l’enquête. Selon le ministère public, ces liens avec la « mouvance anarchiste internationale » constituent un des arguments justifiant la qualification de « terrorisme ».

 

Mais le pivot de l’accusation repose sur la pensée du principal mis en cause, c’est-à-dire sur ses écrits. Le ministère public considère comme acquis que Julien Coupat est la « plume principale » – ce que l’intéressé a toujours démenti – d’un « pamphlet » intitulé L’Insurrection qui vient, publié en 2007 par le Comité invisible. Ce texte préconise un « blocage organisé des axes de communication », au premier rang desquels les chemins de fer, par des groupes ayant adopté un mode de vie communautaire, afin de faire tomber « l’architecture de flux » qu’est devenu le monde moderne.

 

« Sentiment de terreur et d’intimidation »

 

Pour le parquet, cet « opuscule présenté de façon faussement béate par plusieurs témoins comme un simple livre de philosophie » est en réalité un guide théorique visant à « renverser par la violence l’Etat ». S’il reconnaît que le passage à l’acte violent « apparaît dans un premier temps de relativement faible intensité », le ministère public estime qu’il ne s’agissait que d’une « phase initiale » que l’interpellation des suspects a permis d’interrompre, évitant que ne s’installe « un sentiment de terreur et d’intimidation » dans le pays.

 

Le 25 mars 2009, les avocats de la défense avaient contesté la définition très large de l’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » au regard du droit international, estimant qu’elle s’appliquait abusivement à leurs clients. « Il ne suffit pas à la partie poursuivante de mettre en perspective des infractions de droit commun avec un discours politique critique pour caractériser l’existence d’une infraction terroriste, argumentaient-ils. Affirmer l’inverse permettrait de qualifier d’entreprise terroriste toute action portée par un discours politique ou syndical visant à dénoncer des choix politiques ou à exprimer une exaspération, voire une colère. »

 

« Si la promotion idéologique d’une nécessité de changer de société est une position politique protégée par la liberté d’opinion, sa mise en œuvre par l’intimidation ou la terreur relève de la délinquance, rétorque le ministère public. L’infraction terroriste est par nature politique puisque instiller l’intimidation ou la terreur a comme finalité l’exercice d’une forme de pouvoir sur la société. »

 

La bande de Tarnac menacée d’un procès

 

L’épicerie de Tarnac, en 2008. (Photo Marc Chaumeil. Divergence)

 

Le parquet de Paris vient de requérir le renvoi devant un tribunal de la bande de Tarnac, Julien Coupat en tête. Non pas pour avoir fomenté une entreprise terroriste, passible de vingt ans de prison devant une cour d’assises, mais plus modestement pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste», passible de dix ans devant un tribunal correctionnel. De l’art de couper la poire en deux, de sauver une procédure mal embouchée.

«Hystérie». Simple dégradation de biens ou tentative d’attentat ? Dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, la pose d’objets métalliques contondants, non pas sur les rails mais sur les caténaires, visait à perturber la circulation des TGV et non à entraîner leur déraillement – aucune vie humaine n’étant mise en danger, selon les experts.

 

L’affaire Tarnac a défrayé la chronique judiciaire, mais aussi politique : François Hollande dénonçait en 2009 une «hystérie judiciaire», visant particulièrement la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, laquelle avait vilipendé une «mouvance anarcho-autonome de l’ultragauche».

 

Le réquisitoire du parquet tente, vaille que vaille, de sauver ce qui peut l’être. «La finalité terroriste du groupuscule ne saurait être nuancée par l’absence de victimes humaines.» A le lire, les Tarnac auraient monté «un plan concerté contre le réseau ferré», relevant d’une «volonté de déstabiliser l’Etat» français, pas moins. Des «faisceaux d’indices concordants», selon la terminologie consacrée, ont justifié amplement la mise en examen rapide de Coupat et ses amis du plateau de Millevaches (Corrèze) : certains s’étaient déplacés en voiture à proximité des voix ferrées durant la nuit litigieuse. Si cela suffit à diligenter des poursuites, c’est insuffisant pour condamner. Pour justifier leur renvoi devant un tribunal, le parquet en est réduit à l’insinuation, évoquant «l’éventualité de recourir à des engins» plus dangereux à l’avenir, risquant de «basculer dans le terrorisme».

 

«Infecte». Prévention ou répression ? La justice pénale n’a que faire de l’interrogation : elle juge sur des faits. Si la juge d’instruction en décide, bon courage au tribunal qui sera saisi. Julien Coupat a annoncé qu’il n’est «pas question de clamer notre innocence», mais de dénoncer une «infecte procédure pénale». Après avoir épousé sa compagne, Yldune Lévy, pour mieux contourner leur interdiction de se rencontrer.

 

Tarnac : la défense conteste la dimension terroriste du dossier

« Retenir la qualification terroriste dans le dossier Tarnac prêterait à sourire, surtout aujourd’hui, s’il ne s’agissait pas d’un aveuglement judiciaire inquiétant », ont dénoncé dans un communiqué les avocats des huit mis en examen, Mes William Bourdon et Marie Dosé. « Dans la période actuelle, tenter de valider un élargissement contre la doctrine française et la loi internationale de la définition du terrorisme ouvre la voie demain, et c’est fâcheux, à une hyper criminalisation des mouvements sociaux », ont-ils encore mis en garde. « Que le parquet ose évoquer une instrumentalisation des médias par les mis en examen est à proprement parler scandaleux. Doit-on rappeler les conditions dans lesquelles Nicolas Sarkozy », alors président, et sa ministre de l’Intérieur « Michèle Alliot-Marie ont convoqué toutes les télévisions dans le village de Tarnac le jour de l’interpellation des mis en cause ? », ont demandé Mes Dosé et Bourdon. 

 « Cette affaire est avant tout l’histoire d’une instrumentalisation du politique sur le judiciaire, instrumentalisation dont l’institution judiciaire n’a jamais réussi à se défaire », jugent-ils. « Et tous les éléments à décharge rapportés par la défense pendant toutes ces années ont été balayés d’un revers de main par l’ensemble des magistrats… Retenir la qualification terroriste et faire fi de tout ce que la défense a pu rapporter tout au long de l’instruction démontre surtout la parfaite partialité avec laquelle cette affaire est traitée depuis le début. »

Tarnac – le parquet colle à la version policière et veut un procès pour terrorisme

 

C’est l’un des dossiers qui illustre le mieux les dérives du système antiterroriste français. Mais le parquet de Paris ne se dédira pas. Près de sept après l’interpellation, au petit matin du 11 novembre 2008, de 15 membres du groupe de Tarnac (Corrèze), il a rendu le 6 mai son réquisitoire définitif et demande le renvoi devant le tribunal correctionnel de trois militants pour terrorisme.

En novembre 2008, dix militants, qui avaient racheté une ferme près de Tarnac (Corrèze) et repris l’épicerie du village, sont accusés d’avoir saboté plusieurs lignes TGV. Ils sont mis en examen après 96 heures de garde à vue à Levallois-Perret pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Julien Coupat, désigné comme le chef de ce petit groupe « anarcho-autonome », est également accusé de« direction d’une structure à vocation terroriste », ce qui peut lui valoir jusqu’à 20 ans de réclusion et un renvoi aux assises.

Comme l’a révélé hier Le Monde, le parquet n’a pas totalement renoncé à ces qualifications terroristes. Mais Véronique Degermann, la procureure adjointe, ne requiert le renvoi devant le tribunal correctionnel pour« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et « dégradations en réunion » que de trois des militants : Julien Coupat, 40 ans, son épouse, Yildune Lévy, 31 ans, et son ex-compagne, Gabrielle Hallez, 36 ans. Elle juge cependant le costume de « direction d’une structure à vocation terroriste » taillé à ce fils de bonne famille un peu large. Et demande la requalification, Julien Coupat étant « davantage un animateur qu’un dirigeant ou organisateur ».

L’« idéologue du groupuscule » se voit reprocher la pose de deux fers à crochet sur des lignes TGV : la première fois à Vigny la nuit du 25 au 26 octobre 2008 avec Gabrielle Hallez, la seconde à Dhuisy avec Yildune Lévy dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008. Cette nuit-là, quatre autres fers à béton paralyseront pendant quelques heures les trains sur les lignes TGV en direction de Lille, Strasbourg et Lyon. Mais « l’information judiciaire n’ayant pas permis d’identifier leurs auteurs », le parquet demande un non-lieu pour ces quatre sabotages.

Pour les sept autres mis en examen de ce « groupuscule », malgré leur « probable proximité idéologique avec les théories développées par Julien Coupat », le parquet reconnaît qu’il n’a pas assez d’éléments pour leur imputer des dégradations ou retenir une quelconque « association de malfaiteurs ». « Il ne ressort pas de la procédure qu’ils aient embrassé le projet terroriste mis en œuvre par leurs trois condisciples », écrit la procureure qui requiert donc l’abandon de la circonstance aggravante d’« entreprise terroriste ».

Pour deux d’entre eux, le parquet demande un non-lieu complet, pour les autres il se raccroche à des infractions mineures. Après sept ans d’enquête, quatre personnes pourraient ainsi être renvoyées… pour avoir refusé le prélèvement ADN lors de leur garde à vue. La procureure demande également le renvoi pour « recel, détention et tentative de fabrication de faux documents administratifs » d’un couple, chez qui avaient été découvertes lors d’une perquisition trois fausses attestations Assedic et quatre cartes d’identité volées.

 

Il faut rappeler l’intrusion massive dans leur vie privée et militante qui mène à ce résultat : des dizaines de perquisitions à leurs domiciles et ceux de leurs proches, des filatures, le balisage d’au moins une voiture, des mois d’écoutes téléphoniques, d’interceptions de leurs flux Internet, d’analyse de leurs disques durs, le placement sous vidéosurveillance de la ferme du Goutailloux en Corrèze et la sonorisation des parloirs de Julien Coupat, détenu jusqu’en mai 2009 à la Maison de la santé.

Dans son livre Tarnac magasin général, le journaliste David Dufresne décrit très bien comment un service policier en sursis, celui des RG, croit trouver sa planche de salut dans la lutte contre la menace anarcho-autonome (un mot forgé maison pour les différencier des autonomistes bretons ou corses). Et comment cette nouvelle expertise rencontre l’obsession d’une ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, persuadée de la résurgence de la violence d’ultragauche (encore un mot maison visant à la différencier de l’extrême gauche). Mais de ce contexte politique et policier, le parquet fait totalement abstraction.

Tout au long des 135 pages de son réquisitoire, le parquet endosse, sans aucune prise de distance, les thèses policières. L’enquête préliminaire est ouverte mi-avril 2008, six mois avant les sabotages. Pendant plusieurs mois, le dossier semblera ensuite sommeiller, avant qu’il ne s’accélère juste après les sabotages de la nuit du 7 au 8 novembre 2008.

Méthodiquement et un peu scolairement, le parquet s’attache à décrire le « basculement vers le terrorisme » de ce qui est au départ décrit par des ex-RG (à l’époque obsédés par l’« ultragauche ») comme « une structure à finalité subversive clandestine anarcho-autonome d’un vingtaine de personnes ». La procureure adjointe perçoit une montée en puissance chez Julien Coupat, passant d’« actions de basse intensité » – une série de dégradations d’agences ANPE en 2005 – à la « recherche de l’affrontement contre les forces de l’ordre afin de tenter de créer une sorte de synergie de la violence » lors de plusieurs manifestations en 2008, pour arriver à une « tentative de déstabilisation de l’État par la destruction des infrastructures ferroviaires ».

 

Blanchiment de témoin sous X

 

 

Le pilier de l’accusation reste un livre, L’Insurrection qui vient, publié en 2007 par le Comité invisible et dont Julien Coupat est aux yeux du parquet, malgré ses dénégations, l’« auteur anonyme ou au moins la principale plume ». La procureure adjointe en fait une lecture littérale, voyant dans cet « opuscule présenté de façon faussement béate par plusieurs témoins comme un simple livre de philosophie » un programme d’action suivi à la lettre par le groupe de Tarnac.

« Ce pamphlet expose les nécessités de provoquer une insurrection, laquelle serait conduite par des groupes isolés ayant adopté un mode de vie communautaire qui auront assuré leur clandestinité, résume son réquisitoire définitif. Le premier mode d’action sera de détruire les réseaux dits de flux, c’est-à-dire ceux permettant de vivre dans une société organisée, au premier rang desquels le chemin de fer. Il est singulier que le ciblage des chemins de fer avait été établi dès les années 1990 en Allemagne par les anarchistes. »

Elle voit ainsi dans l’installation du groupe à Tarnac la création d’« une de ces premières communes vantées dans ce pamphlet, première étape nécessaire à l’insurrection ». « S’en est suivie la prise de contact, là encore présentée comme nécessaire, avec les « coreligionnaires » issus des mouvances anarchistes italienne, allemande, écossaise, et grecque parallèle », poursuit le parquet. Qui souligne que « le fait que cette mécanique de préparation des phases du passage à l’acte soit, à l’analyse totalement illusoire, ne peut occulter le projet fomenté très sérieusement par le groupuscule installé à Tarnac ».

Le réquisitoire date la « radicalisation » de Coupat de 2005 en s’appuyant sur un unique – et quel ! – témoin : un chevrier voisin, Jean-Hugues Bourgeois, qui a accusé le groupe de Tarnac de faire « peu de cas de la vie humaine » et Coupat, présenté comme un « gourou », d’avoir mené des actions contre des agences ANPE. Entendu sous X par la sous-direction antiterroriste (Sdat) de la PJ le 14 novembre 2008 alors qu’il était lui-même embringué dans une enquête judiciaire pouvant le mettre en cause, l’agriculteur assurera ensuite lors d’une deuxième audition par la Sdat, cette fois sous son vrai nom, qu’il n’a « jamais » été informé par les résidents de Tarnac de « projets violents visant l’État ».

Interviewé en caméra cachée un an plus tard par un journaliste de TF1, l’agriculteur admettra avoir fait l’objet de pressions des policiers de la Sdat lors de la première audition qui aurait duré neuf heures. Les policiers lui auraient expliqué qu’ils avaient juste « besoin d’une signature » pour pouvoir exploiter « tout un tas d’infos, d’interceptions de mails » qui n’étaient « pas exploitables dans une procédure judiciaire ».

Malgré cela, le parquet blanchit ce témoignage sous X, estimant – et pour cause – qu’il reprend « les grands axes de ce que les investigations ont mis à jour ». « Si cette date de radicalisation n’est pas confirmée par d’autres témoignages recueillis, les enquêteurs ont cependant relevé la commission en 2005 de plusieurs actions contre l’ANPE, ce qui tendrait à illustrer la progressivité d’une violence cherchant à prendre appui sur les problèmes sociaux », élude la procureure. Qu’importe que les auteurs de ces actions n’aient, de l’aveu du parquet lui-même, jamais été identifiés, et que toute confrontation des mis en examen avec ce témoin à charge ait été refusée.

Le parquet prend également pour argent comptant les renseignements des officiers de liaison étrangers, notamment britanniques. C’est en effet sur la base d’informations fournies au FBI par les services de police du Royaume-Uni, qu’est reproché à Julien Coupat sa présence à une réunion d’«anarcho-autonomes» à New York en janvier 2008, ainsi qu’à une autre rencontre à Nancy en février 2008 au cours de laquelle « la confection d’engins explosifs improvisés (IED) » aurait « fait l’objet de discussions et de travaux pratiques ». Malgré les révélations des Inrocks et du Monde sur le rôle trouble du policier anglais Mark Kennedy, qui avait infiltré la mouvance altermondialiste de 2003 à 2010, ses informations ne sont à aucun moment questionnées par le parquet de Paris. L’agent double britannique, qui a approvisionné les services occidentaux, et notamment les RG sur l’affaire de Tarnac, s’est pourtant ensuite révélé être un mythomane.

L’étape suivante dans le raisonnement du parquet est « le grand soir de l’anarchie franco-allemande » soit « les passages à l’acte coordonnés de la nuit du 7-8 novembre 2008 ». Le fait qu’une lettre d’un groupe allemand ait été envoyée de Hanovre au Berliner Zeitung le 13 novembre 2008, pour revendiquer ces sabotages ainsi que diverses explosions ayant eu lieu cette nuit-là en Allemagne sur le passage du train de déchets nucléaires Castor, n’émeut pas plus que cela la procureure. « Loin d’innocenter les personnes mises en examen dans cette procédure, (…) cette revendication ne fait qu’appuyer l’existence d’un projet plus vaste, tranche-t-elle. Il ne peut être que craint que cette étape (…) aurait été suivie d’une phase plus violente ainsi que l’illustre l’intérêt porté par Yildune Lévy pour les techniques de fabrication d’engins explosifs improvisés. »

La SNCF et Réseaux ferrés de France se sont portés partie civile. Mais de leur propre aveu, les sabotages n’ont causé que des retards et dégâts matériels, et ne pouvaient en aucun cas faire dérailler de train. S’agit-il de simples dégradations ou d’actes terroristes ? En mars 2009, Me William Bourdon l’un des avocats de la défense, avait contesté leur caractère terroriste soulignant que, selon plusieurs textes internationaux, « l’acte de terrorisme suppose la volonté d’attenter à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui ». Dans son réquisitoire, la procureure adjointe répond que selon le code pénal français les atteintes aux biens (« vols, extorsions, destructions et dégradations ») peuvent constituer des actes de terrorisme si elles visent à « troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

 

 

« Lutte médiatico-procédurale »

 

 

« La finalité terroriste du groupuscule ainsi constitué ne saurait être nuancée par l’absence de victimes humaines, ni même l’absence de réel risque de voir des vies atteintes », estime le parquet. Qui pousse la fiction à imaginer que seules les interpellations des intéressés les ont empêchés d’aller plus loin : « Le passage à l’action violente s’il pouvait apparaître dans un premier temps de relativement faible intensité, s’inscrivait dans un processus de recherche de causer un trouble majeur à l’ordre public en créant dans la population un climat de terreur. La mise hors service de plusieurs lignes ferroviaires plusieurs week-ends nuisant à des centaines de milliers de personnes (…) aurait nécessairement créé un tel climat. » Avant de se féliciter : « Le fait que le sentiment de peur et d’intimidation n’ait pu être distillé ne doit ainsi qu’à l’identification et l’interpellation immédiate des mis en cause. »

Après avoir dans un premier temps contesté la qualification terroriste des faits reprochés, les mis en examen avaient ensuite concentré leur combat sur les méthodes des services antiterroristes. Les avocats de la défense avaient déposé trois plaintes visant les incohérences du PV de filature de la nuit du 7 au 8 novembre 2008, le témoignage sous X de Jean-Hugues Bourgeois, et les écoutes menées à l’épicerie de Tarnac. Cette « lutte médiatico-procédurale » a manifestement fortement déplu au parquet qui dénonce – sans rire – «la recherche de la déstabilisation de l’instruction par tous les moyens disponibles », une « grande malhonnêteté intellectuelle » et une « instrumentalisation des médias auxquels des informations parcellaires voire faussées à dessein étaient régulièrement communiquées ».

Les trois enquêtes ouvertes se sont toutes heurtées au mur du secret défense. Elles se sont conclues par des non-lieux ou un classement sans suite. Ce qui permet au parquet de coller au PV de filature de la nuit du 7 au 8 novembre 2008, pièce-maîtresse qui confirme à ses yeux « le basculement de Julien Coupat et Yildune Lévy dans le terrorisme ». « Ils arrivent [vers la voie de chemin de fer – ndlr] vers 4 heures, décrit le parquet.Ils préparent le dispositif de perche isolante, déposent le crochet sur la caténaire puis quittent les lieux à 4h20.(…) À 4h45, le couple s’arrête le long de la Marne à Meaux pour y jeter les tubes en PVC. » On s’y croirait.

Le problème est que le couple, s’il a reconnu s’être arrêté cette nuit-là à proximité de la ligne TGV Est, a toujours nié le sabotage et que la vingtaine de policiers de la DCRI et de la Sdat qui les suivaient écrivent eux-mêmes ne les avoir pas vus le commettre. Les mis en examen contestent la présence même des policiers, qui ont reconnu auprès de plusieurs journalistes (dont Mediapart) avoir utilisé illégalement cette nuit-là une balise GPS qui n’apparaît pas en procédure. Qu’importe. « Malgré tous les efforts déployés pour la discréditer sans crainte de remettre en cause la probité des fonctionnaires de police l’ayant effectuée, la surveillance correspond à l’observation sans ambiguïté possible de deux personnes en train de commettre une infraction », tranche le parquet.

 

D’ailleurs même si « ni le fabricant du crochet, ni son lieu de fabrication n’auront été identifiés, le modus operandi correspond aux inscriptions manuscrites découvertes par les autorités canadiennes dans le sac à dos du couple Coupat-Lévy en janvier 2008, mais également à celui employé par les membres de la mouvance anarchiste allemande fréquentés par Julien Coupat ». Quant aux explications de Julien Coupat et Gabrielle Hallez sur leurs promenades la nuit du premier sabotage (25 au 26 octobre), alors qu’ils s’étaient rendus au domicile des parents de Gabrielle Hallez à 70 kilomètres de la ligne TGV, elles sont jugées « peu réalistes ».

C’est désormais à la juge d’instruction Jeanne Duyé, qui a hérité du dossier au printemps 2012 après la mise en cause de l’impartialité de son prédécesseur, de décider de renvoyer ou non devant le tribunal les mis en examen. Et si oui, de conserver ou non la qualification terroriste. Aux yeux de Me William Bourdon, l’un des avocats de la défense, « la preuve est en tout cas rapportée que plus la justice est instrumentalisée par le politique plus on fabrique de graves dysfonctionnements de procédure ». L’avocat s’inquiète du « risque d’extension de ces qualifications terroristes à des faits qui pourraient conduire à criminaliser les mouvements sociaux ». « Dans le contexte d’exaspération sociale actuel, on potentialise un outil judiciaire qui demain pourrait être utilisé à d’autres fins », souligne-t-il.

 

Communiqué de Marie Rose Bourneil, maire de Tarnac

Nous venons d’apprendre que le parquet avait rendu son réquisitoire à l’encontre des dix mis en examen de la soit disant « affaire de Tarnac ».

Je suis trop attaché à l’indépendance de la justice, je me garderai donc bien de porter un jugement sur la procédure en cours. Mais on peut s’interroger sur la concordance entre cette annonce et la succession de lois sécuritaires depuis un an: la loi Cazeneuve sur le terrorisme, en plein été 2014 et la loi sur le Renseignement votée le 5 mai, malgré toutes les critiques des défenseurs des libertés publiques.

 Ces lois permettront de juger les personnes sur des présomptions et non des faits, et de justifier la mise sous surveillance de tous au nom d’une « lutte contre le terrorisme » dont on sait de moins en moins où elle commence et où elle finit. 

Ces lois me semblent dangereuses et aujourd’hui et il ne faudrait pas que certains utilisent ce climat sécuritaire pour tenter de masquer les difficultés accumulées dans la procédure.

Cette soit disant affaire tourne à l’acharnement !

 Deux des cinq personnes mises en examen et résidant à Tarnac, sont des élus municipaux et font un travail sérieux au sein de notre équipe municipale pour le bien de tous les habitants. Je ne peux que le certifier.

Tarnac, depuis cette « affaire », a repris son développement et porte aujourd’hui des projets utiles à tous. C’est bien cette image, qu’il faut retenir de la commune.