Tarnac : «Nous demanderons la relaxe intégrale pour tout le monde»

Marie Dose

LE FIGARO. – La justice a décidé de ne pas retenir la qualification «d’entreprise terroriste» à l’encontre des prévenus de cette affaire (depuis la réalisation de cette interview, lundi matin, le parquet a décidé de faire appel de cette décision). Quelle est votre réaction?

Maître Marie DOSÉ. – Nous considérons que cette décision est juridiquement légitime. Elle n’efface cependant pas ce qui est illégitime dans cette procédure, c’est-à-dire ce qu’il s’est passé pendant les sept ans de l’instruction: une procédure qui ne respecte ni le sens des textes, ni de la loi. Si c’est effectivement un soulagement pour tout le monde, il ne faut pas oublier que ce n’est que le premier round. Le second se jouera devant le tribunal correctionnel.

Qu’allez-vous y plaider?

Nous demanderons la relaxe pleine et intégrale pour tout le monde. Quatre des prévenus (sur les huit, ndlr) sont renvoyés pour «association de malfaiteurs», une qualification qui est à mettre en parallèle avec la liberté de manifester.

Outre Julien Coupat et Yildune Lévy, qui sont les deux autres prévenus concernés par l’association de malfaiteurs?

Elsa Hauck et Bertrand Deveaud.

La décision de la juge d’instruction ne montre-t-elle pas que la justice sait faire preuve d’indépendance?

Oui, c’est une preuve que la justice reste indépendante: c’est une procédure politique qui se solde par une décision de justice. Même si je pense que cette magistrate a pris sa décision plus à l’égard du parquet que de nous. Elle lui a évité de se ridiculiser en essayant de démontrer devant le tribunal le caractère terroriste des infractions reprochées.

Sans la qualification de terrorisme, ce procès ne sera-t-il donc plus politique?

Si bien sûr, cela restera un procès à dimension politique. Nous considérons qu’il y a une volonté d’empêcher les gens de manifester. Même avec l’abandon de la qualification terroriste, il y aura nécessairement une tribune laissée à ceux que l’on a accusé. Nous entendons également bien faire la lumière sur la manière dont l’instruction a été menée.

Tarnac : l’instruction en rase-campagne

C’est la substance même de l’un des dossiers les plus controversés de l’antiterrorisme qui s’est évaporée dans la torpeur d’un après-midi d’août. Samedi, un peu après 17 heures, un bulletin de l’AFP annonce que la qualification «terroriste» n’a pas résisté à l’ordonnance de renvoi de la juge Jeanne Duyé dans l’affaire dite de Tarnac – du nom d’un hameau corrézien où vit une petite communauté de militants d’extrême gauche. Diantre ! Voilà sept ans que le parquet antiterroriste, une bonne partie de la classe politique, et certains médias (lire page 4) – dont Libération le lendemain des arrestations – surfaient sur le potentiel insurrectionnel du groupe, vraisemblablement auteur du pamphlet anarcho-libertaire, l’Insurrection qui vient, publié le 22 mars 2007 par le mystérieux Comité invisible. C’est le lien supposé entre ces écrits, préconisant un «blocage organisé des axes de communication», et les sabotages de lignes SNCF survenus dans l’Oise, dans l’Yonne, en Moselle et en Seine-et-Marne, qui caractérisait, aux yeux du ministère public, «l’intention terroriste» du groupe de Tarnac. Ainsi, l’extrême gauche violente marquait son retour sur le devant de la scène, elle qui sommeillait depuis la fin des années 80 et le démantèlement d’Action directe. Surtout, Nicolas Sarkozy et sa ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, tenaient là le premier gros coup de la rutilante Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, ex-DGSI), un «FBI à la française» inauguré en grande pompe six mois plus tôt.

Camouflet

Juridiquement, pourtant, la notion «d’intention terroriste» est des plus instables. En effet, nombreux sont les magistrats qui considèrent qu’elle repose uniquement sur une action engendrant des victimes humaines. Or, selon de nombreux experts, la pose d’une croche sur une caténaire ferroviaire, bien que malveillante, ne menace en rien la sécurité des voyageurs. Nonobstant cet avis, l’accusation s’est toujours fondée sur l’article 421-1 du code pénal pour motiver «l’intention terroriste» des sabotages, puisqu’il stipule que «les atteintes aux biens» peuvent y être incluses, pour peu qu’elles aient «pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur». Le 6 mai, dans un réquisitoire qui restera dans les annales tant il est à charge, le parquet réclamait sans surprise que la circonstance aggravante de terrorisme soit retenue contre trois des dix mis en examen : «l’éminence grise» Julien Coupat, sa compagne Yildune Lévy, et son ex-petite amie Gabrielle Hallez. Seuls deux militants étaient mis hors de cause.

Samedi, c’est donc peu dire que la juge Duyé a infligé un camouflet retentissant au ministère public. Outre l’abandon de la dimension terroriste, cette dernière a totalement revu la géométrie des poursuites : parmi les huit membres qui demeurent renvoyés devant le tribunal correctionnel, quatre, dont Julien Coupat et Yildune Lévy, le sont «pour association de malfaiteurs». Le couple est également accusé de «dégradations», en raison de sa présence à proximité de Dhuisy (Seine-et-Marne) la nuit du 8 novembre 2008, où un crochet a été posé sur une ligne du TGV Est. Lors de leurs auditions, ils ont expliqué «avoir fait l’amour dans la voiture, comme plein de jeunes». Les quatre autres membres sont quant à eux poursuivis pour «tentatives de falsification de documents administratifs», «recels» de documents volés ou «refus de se soumettre à des prélèvements biologiques». Contacté par Libération, Marie Dosé, avocate du groupe de Tarnac avec William Bourdon, savoure «la première décision juridique sérieuse rendue en sept ans». «Jusqu’ici, déplore-t-elle, ce dossier n’a subi que des instrumentalisations invraisemblables. Avec cette ordonnance, la juge évite le fiasco d’un procès public où la qualification terroriste n’aurait pas fait un pli.» Quelques jours après la publication du réquisitoire, les avocats de la défense étrillaient déjà le ministère public dans une requête à des fins de non-lieu extrêmement politique : «Le réquisitoire est un malheureux florilège de sophismes, de syllogismes, d’affirmations d’autorité. Il est finalement l’aveu ultime de l’impuissance du parquet à articuler le moindre commencement de preuve de la suffisance des charges, après sept années d’une construction intellectuelle acharnée.» Et de conclure : «Ce qui est finalement le plus clairement reproché à nos clients, c’est de s’être défendus et de continuer à le faire alors que tous les moyens ont été mis en œuvre pour les en empêcher.»

En effet, le groupe de Tarnac a fait l’objet d’un acharnement de tous les instants. Dès 2005, les services de renseignement épient ses activités. C’est d’abord le rachat de la ferme située sur le paisible plateau de Millevaches qui est épluché par Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy. Toutefois, aucune irrégularité ne sera constatée. En avril 2008, le patron de la Sous-Direction antiterroriste (Sdat) de la police judiciaire demande au parquet de Paris l’ouverture d’une enquête préliminaire sur «une structure clandestine anarcho-autonome entretenant des relations conspiratives avec des militants de la même idéologie implantés à l’étranger et projetant de commettre des actions violentes». Des placements sur écoute – illégaux – sont déclenchés. Quelques mois auparavant, c’est le criminologue Alain Bauer qui achète en personne 40 exemplaires de l’Insurrection qui vient. Il en remet un à Frédéric Péchenard, alors Directeur général de la police nationale (DGPN).

«Supercherie»

Plus gênant, la défense accuse les enquêteurs d’avoir monté de faux PV de filature, notamment celui sur lequel repose la mise en examen de Julien Coupat et Yildune Lévy pour le sabotage de Dhuisy. Là encore, une balise aurait été posée illégalement sous leur véhicule. Une plainte pour «faux en écriture publique» a été déposée et une instruction ouverte à Nanterre en novembre 2011. Douze policiers de la DCRI ont été entendus anonymement, mais tous se sont réfugiés derrière le secret-défense.

Cerise sur le gâteau, la Sdat aurait fait pression sur Jean-Hugues Bourgeois, jeune agriculteur et principal témoin à charge du dossier. Au départ, il accuse sous X le groupe de Tarnac d’avoir un projet de «renversement de l’Etat». Pour le témoin numéro 42, Coupat envisage carrément «d’avoir à tuer». Mais, le 11 novembre 2009, coup de théâtre. TF1 fait parler Jean-Hugues Bourgeois sur une route mouillée de campagne, flouté, sous l’objectif d’une caméra cachée. Il déclare n’avoir eu «aucune idée du témoignage anonyme». L’un des fonctionnaires de la Sdat lui aurait expliqué qu’il y avait «tout un tas d’infos, d’interceptions de mails» qui n’étaient «pas exploitables dans une procédure judiciaire», et qu’ils avaient «besoin d’une signature». Les avocats de la défense s’insurgent et écrivent au juge qui instruit l’affaire à l’époque, Thierry Fragnoli. Jean-Hugues Bourgeois confesse benoîtement «avoir signé sa déposition sans la lire», et s’être «associé à cette supercherie sous la pression des policiers». Mieux, le jeune agriculteur est mis en examen dans une autre affaire pour s’être lui-même envoyé des lettres de menaces de mort… Fragilisé par les scandales à répétition, Thierry Fragnoli s’autodessaisit du dossier en avril 2012.

A l’inverse, plusieurs pontes de la police antiterroriste impliqués dans l’enquête sont toujours en poste actuellement. Certains ont même fait l’objet de promotions. En août 2014, un sabotage sur le TGV Lyon-Paris, en tous points similaire à ceux imputés au groupe de Tarnac, a été considéré comme un simple «acte de malveillance» par le parquet de Chalon-sur-Saône.

Affaire de Tarnac : la qualification de « terrorisme » abandonnée

Dans cette affaire de sabotages de lignes TGV en 2008, après sept années d’instruction, des centaines d’heures d’écoutes, d’interrogatoires et de reconstitutions, Julien Coupat, leader présumé du groupe, sa compagne Yildune Lévy et deux autres personnes sont renvoyés en procès pour « association de malfaiteurs » . Quatre autres personnes sont renvoyées devant le tribunal correctionnel pour avoir refusé de donner leur ADN et, pour deux d’entre elles, pour falsification de documents administratifs.

Dans son ordonnance rendue vendredi, Jeanne Duyé, la juge d’instruction antiterroriste en charge du dossier, n’a pas suivi les réquisitions du parquet qui demandait que la circonstance aggravante d' »entreprise terroriste » soit retenue à l’encontre de trois militants, dont Julien Coupat et Yildune Lévy.

Les explications de Corinne Audouin

Le parquet a cinq jours après la signature de l’ordonnance pour faire appel devant la chambre d’instruction.

Tout ça pour ça ?

La réaction de Marcel Gay, journaliste, auteur du livre « Le Coup de Tarnac » sorti en 2009, quelques mois seulement après le début de l’affaire.Pour Marcel Gay, « les dés étaient pipés dès le début de l’affaire ». il répond à Benjami Illy

Une victoire, mais en demi-teinte

C’est comme ça que le « groupe de Tarnac » a ressenti l’annonce, toujours convaincus que la police a fabriqué des faux pour les perdre.

Mathieu Burnel est l’un des prévenus, renvoyé au tribunal pour refus de prélèvement ADN. Il s’exprime au nom des huit membres du groupe au micro de Corinne Audouin

L’affaire avait été largement médiatisée, voir politisée, dès le début de l’enquête

(…) Elle  a suscité une vive polémique, le gouvernement et la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, ayant été accusés de l’instrumentaliser en insistant sur son caractère terroriste.

Pour Maître William Bourdon, (…) on avait voulu inventer à l’époque des « ennemis de l’intérieur »

Tarnac : le parquet fait appel après l’abandon de la qualification « terroriste »

L’affaire de Tarnac est-elle un dossier terroriste ? Vendredi 7 août, la juge d’instruction chargée de l’enquête sur le sabotage de plusieurs lignes de TGV en 2008 par un petit groupe issu de la mouvance anarcho-autonome a répondu par la négative à cette question. Dans son ordonnance, la magistrate a décidé de renvoyer en correctionnelle huit membres du groupe, dont le principal accusé, Julien Coupat, mais a abandonné la qualification de « terroriste ». Une décision dont a fait appel le parquet lundi 10 août.

Pour le ministère public, l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction constitue un désaveu cinglant. Dans son réquisitoire du 6 mai, le parquet avait demandé que la circonstance aggravante d’« entreprise terroriste » soit retenue à l’encontre des trois principaux mis en examen : Julien Coupat ; sa compagne, Yildune Lévy ; et son ex-petite amie Gabrielle Hallez. Le ministère public estimait notamment, se fondant sur l’article 421-1 du code pénal, que « les atteintes aux biens » peuvent constituer des actes de terrorisme pour peu qu’elles aient « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Cette volonté de « troubler gravement l’ordre public », le ministère public la motivait par l’idéologie et les relations des membres du groupe de Tarnac avec la « mouvance anarchiste internationale ». Le pivot de l’accusation reposait sur les écrits de Julien Coupat, considéré comme la « plume principale » ce qu’il a toujours démenti — d’un « pamphlet » intitulé L’Insurrection qui vient, publié en 2007 par le Comité invisible.

« Une logique d’ entêtement idéologique »

Mais la juge d’instruction, Jeanne Duyé, n’a pas suivi cette réquisition, renvoyant quatre membres du groupe, dont Julien Coupat, en correctionnelle pour « association de malfaiteurs » seulement, et quatre autres personnes pour avoir refusé de se soumettre à un test de leur ADN et, pour deux d’entre elles, pour « falsification de documents administratifs ».

« Cette ordonnance était un camouflet difficilement supportable pour le parquet, qui reste dans une logique qui n’a rien de juridique, mais qui est une logique d’ entêtement idéologique », ont réagi Marie Dosé et William Bourdon, avocats des prévenus. Le dossier des huit membres du groupe de Tarnac – du nom du village corrézien où gravitait la petite communauté libertaire – devra désormais être examiné par la chambre de l’instruction.

« Ça risque d’aller en Cour de cassation, d’un côté comme de l’autre, pronostique Marie Dosé, interrogée par Le Monde. Le parquet semble s’enferrer dans une logique jusqu’au-boutiste, et nous irons aussi en cassation si la chambre de l’instruction infirme l’ordonnance. Peut-être qu’enfin découlera de tout ça une définition claire et précise du terrorisme ».

Instumentalisation politique

L’affaire de Tarnac avait suscité en 2008 une vive polémique, le gouvernement et la ministre de l’intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, ayant été accusés de l’instrumentaliser en insistant sur son caractère terroriste.

Julien Coupat, 41 ans, et Yildune Lévy, 31 ans, ont reconnu leur présence dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 à Dhuisy (Seine-et-Marne) aux abords de la voie ferrée où passe le TGV Est, mais ont toujours nié avoir participé à la pose d’un fer à béton, retrouvé plus tard sur la caténaire. Tordu en forme de crochet, il avait causé d’importants dégâts matériels au premier TGV du matin, et fortement perturbé le trafic.

Outre les faits de Dhuisy, le parquet imputait à Julien Coupat, qui a effectué un peu plus de six mois de détention provisoire jusqu’en mai 2009, une participation à un autre sabotage du TGV Est, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008 à Vigny (Moselle). La juge d’instruction a rendu un non-lieu dans ce volet de l’affaire, mais le parquet a fait appel.