Affaire Tarnac, première pièce sur l’incompétence de la juridiction anti-terroriste

À Monsieur Thierry FRAGNOLI
Vice-président chargé de l’Instruction Palais de Justice PARIS
PAR LE PALAIS

Paris, le 25 mars 2009 

 Aff.: Y***** L*** c/ MP

Monsieur le Juge d’Instruction,

Sans préjudice de tout moyen de nullité que chacun des mis en examen dans la présente procédure serait susceptible de soulever, et notamment quant à la mise en examen elle-même, j’ai l’honneur, conformément à l’article 706-19 du Code de Procédure Pénale, de vous demander de bien vouloir vous déclarer incompétent, au titre de l’instruction des « actes de terrorisme », et d’abandonner en conséquence les incriminations visées aux articles 421-1, 421-2-1, 421-5 §2 et suivants du Code Pénal.

En effet force est de constater que la définition même des incriminations visées est sans rapport avec la réalité des faits objets de la présente procédure et qu’à l’évidence les éléments constitutifs permettant de qualifier juridiquement des actes de terrorisme font défaut en l’espèce.

Ainsi, pour justifier la compétence de la juridiction antiterroriste, encore faudrait-il établir l’existence juridique d’une association de malfaiteurs à but terroriste (1), de la direction d’une telle association (2), et de dégradations en lien avec une entreprise terroriste (3).

Or il résulte tant de l’enquête initiale de la SDAT diligentée suite aux supputations surréalistes du FBI, que de l’instruction en cours, qu’aucune de ces incriminations n’est susceptible d’être constituée.

Enfin, il conviendra, plus généralement, de mettre en perspective la présente procédure avec les définitions du terrorisme qui ont été données par diverses instances et Conventions internationales (4).


1/ SUR LINFRACTION ASSOCIATIVE :

Aux termes de la loi, les infractions visées aux poursuites sont ainsi définies :

Art. 421-1 Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes :…

2° Les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique définis par le livre III du présent code… »

Art. 421-2-1 (Créé, L. n° 96-647, 22 juill. 1996, art. 3 ) Constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents.

Aux termes du rapport précité, ces infractions seraient liées aux :

« … agissements d’un groupe d’activistes reliés à la mouvance anarcho-autonome et désirant se livrer par différentes formes d’actions violentes à la déstabilisation de l’Etat ».

Or, force est de constater que les prétendus actes de terrorisme intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, résulteraient, aux termes de l’enquête, et aux dires mêmes de ce rapport, de deux constatations:

La mise en lumière, faisant suite à de très nombreuse filatures, vidéos surveillances, écoutes téléphoniques et interceptions électroniques de toute nature effectuées durant de nombreux mois (et d’ailleurs particulièrement infructueuses en termes d’infractions de quelque nature que ce soit), de l’existence, dans le village de Tarnac, d’une petite communauté de personnes ayant acquis une ferme (le Goutailloux) et s’inscrivant dans un projet agricole, social et culturel autour de ce village. Il convient de souligner à cet égard que les nombreuses attestations versées au dossier, depuis les interpellations, par les résidents habituels de cette commune (élus, paysans, commerçants, simples habitants, etc.) démontrent, s’il en était besoin, que ce projet, loin de constituer la prétendue couverture d’activités terroristes, était au contraire devenu une réalité de vie tangible et que les activités déployées (épicerie, agriculture, école, développement culturel, aide aux anciens, etc.) avaient largement contribué à redonner vie à ce village de Corrèze.

Il paraît à cet égard pour le moins hasardeux de retenir l’absence d’utilisation d’une technologie de communication courante (téléphones portables) comme un indice d’une quasi clandestinité terroriste, alors que dans le même temps les enquêteurs pouvaient constater, lors de leur intervention médiatisée du 11 novembre à l’aube, que toutes les portes des fermes et maisons du village de Tarnac, et notamment du Goutailloux, étaient ouvertes au premier venu, comportement peu courant de la part de terroristes en activité… !

-La participation de certains des mis en examen à des manifestations (73ème foire internationale de Thessalonique, sommet de l’immigration à Vichy, fichier Edvige) à l’occasion desquelles aucun d’entre eux n’a fait l’objet de poursuites pour de quelconques infractions liées à ce type de contexte (outrage, rébellion, violence, dégradation, etc.).

A l’évidence, et en l’absence du moindre acte préparatoire à une quelconque infraction terroriste, ces constatations, qui de surcroît ne constituent pas non plus des infractions de droit commun et ne sont que l’exercice de libertés et droits fondamentaux, ne sauraient répondre à la définition juridique de l’association de malfaiteurs visée aux poursuites.


2/ SUR LA DIRECTION IMPUTEE A JULIEN COUPAT DE CETTE PRETENDUE ASSOCIATION

Article 421-5

Modifié par Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 -art. 6 () JORF 10 mars 2004. Les actes de terrorisme définis aux articles 421-2-1 et 421-2-2 sont punis de dix ans d’emprisonnement et de 225000 euros d’amende.

Le fait de diriger ou d’organiser le groupement ou l’entente définie à l’article 421-2-1 est puni de vingt ans de réclusion criminelle et de 500 000 Euros d’amende…

Il sera tout d’abord souligné que la notion de direction suppose préalablement l’existence de l’entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ainsi que cela vient d’être démontré. (Cf. supra 1).

Force est de constater ensuite que cette accusation imputée à Julien COUPAT ne repose sur aucun élément tangible, sur aucun fait matériel, de nature à la caractériser, et qu’elle a été démentie par tous les mis en examen lors de leurs interrogatoires successifs.

Ainsi et en l’absence de tout élément, c’est un témoignage revêtu de l’anonymat, opportunément sollicité le quatrième jour de garde à vue (14/11/2008), alors même que l’enquête préliminaire avait été ouverte le 16 avril 2008, qui, même s’il ne comportait l’imputation d’aucun fait précis, a permis à la SDAT d’étayer cette incrimination en faisant passer Julien COUPAT pour un « leader charismatique » et un idéologue méprisant la vie humaine.

Ce témoignage, particulièrement tardif et effectuée sous X dans des conditions pour le moins sujettes à caution, a depuis largement été remis en cause.

En effet, il est apparu, à la suite d’une enquête très documentée effectuée par des journalistes de Mediapart que ce témoin anonyme, présenté à l’origine par certains policiers comme « fondamental pour l’enquête », émanait en réalité d’une personne psychologiquement fragile et peu fiable, dont les déclarations devaient être largement relativisées. Interrogé sur ce point, le Parquet de Paris lui-même avait indiqué à ces mêmes journalistes que le personnage du témoin sous X était rapidement « apparu peu crédible ».

Pourtant c’est notoirement sur la base de ce « témoignage », cité en conclusion du rapport d’enquête de la SDAT, lequel devait être intégralement divulgué à la presse en début d’information (… !), et en conséquence abondamment repris dans de nombreux médias, que Monsieur Julien COUPAT se voyait diabolisé et désigné comme le chef d’un supposé groupe « à vocation terroriste »… !

Or, il apparaît au contraire des diverses pièces versées à la procédure, mais également des actes d’instruction diligentés, que ce portrait accablant, fondé sur aucun fait, ne correspond en rien à Monsieur Julien COUPAT.

Monsieur Bertrand DEVEAUD précisait au terme de son interrogatoire en date du 19 janvier 2009: D875 :  » Je ne veux pas m’expliquer sur les autres parce que les fois où j’ai parlé des autres personnes, mes déclarations – durant quatre jours de garde à vue antiterroriste -ont été modifiées, utilisées à mauvais escient. Il y a même eu des mensonges écrits qui ont eu des conséquences sur ma personne et sur d’autres personnes aussi. Par exemple, les policiers m’ont fait dire que COUPAT était un meneur d’homme, ce que je n’aurais jamais dit. J’ai été choqué par ailleurs de la médiatisation de cette affaire et des éléments du dossier qui ont été évoqués, d’ailleurs j’ai perdu mon emploi au théâtre.  »

Mademoiselle Aria THOMAS tenait à souligner, au cours de son interrogatoire en date du 22 janvier 2009 D879 « … Pour que les choses soient claires, je n’ai jamais pensé, ni cru ou eu le sentiment que Benjamin ROSOUX, ou Julien COUPAT soient prêts à commettre des actes de violence ni même qu’ils m’aient testée en ce sens. ».

Elle précisait encore :

« J’ai des relations amicales avec Julien COUPAT (…) c’est une personne avec laquelle j’avais des discussions intéressantes sur tout, la vie, la mort, les enfants…la philosophie et pas seulement la politique. On en parlait comme tous les français peuvent parler de politique. Je pense que c’est le moment de dire que la personne que je connais ne correspond en rien au portrait qui en a été fait, entre autre, dans les médias, et par les policiers qui m’ont interrogée. »

Lors de son audition en date du 21 janvier 2009 D878, Monsieur Mathieu BURNEL indiquait: « S’agissant de Julien COUPAT, c’est quelqu’un que j’ai croisé à plusieurs reprises à Tarnac. C’est quelqu’un de sympathique avec qui j’avais plaisir à discuter, notamment de philosophie ».

Lorsque la question lui était posée de savoir s’il avait discuté de questions « politiques » (!) avec Monsieur Julien COUPAT, Monsieur Mathieu BURNEL répondait: « oui, incidemment, comme avec les autres. Comme ce qui m’intéresse ce sont surtout les discussions philosophiques, c’était surtout le thème de nos discussions ».

Les derniers interrogatoires confirment encore, si besoin est, l’absence du moindre élément permettant d’imputer à Monsieur Julien COUPAT l’incrimination de « direction d’une association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme ».

(Cf : D 898 Elsa HAUK, D 900 Manon GLIBERT, D901 Gabrielle HALLEZ, D905 Aria THOMAS, D910 Bertrand DEVAUX).

En conséquence rien ne justifie à ce jour l’imputation à Monsieur Julien COUPAT de l’incrimination de direction de cette prétendue association terroriste.


3/ SUR LES DEGRADATIONS

Par ailleurs, sont également reprochés à trois des mis en examen (Julien COUPAT, Yldune LEVY et Gabrielle HALLEZ) des actes de dégradations de caténaires de lignes ferroviaires, faits poursuivis sous la qualification de destruction, dégradation de biens en réunion (articles 322-1, 322-2, et 322-3 du Code Pénal) en relation avec une entreprise terroriste.

Il convient tout d’abord de souligner à cet égard que trois des mis en examen font l’objet de deux chefs d’accusation (article 421-1 et 322-1 et suivants) pour les mêmes faits de dégradation. Une telle redondance, outre qu’elle démontre l’incertitude des qualifications dans l’esprit de la partie poursuivante elle-même, constitue de surcroît une violation manifeste du droit de tout accusé à être informé de manière précise des accusations portées à son encontre.

Aux termes du rapport d’enquête de la SDAT, cette accusation résulterait de filatures et contrôles d’identité effectués dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, ainsi que d’un rapprochement concernant des faits de dégradation constatés par la SNCF dans la nuit du 25 au 26 octobre.

Il convient pourtant de souligner que ces mêmes faits ont été revendiqués dès le 9 novembre par un groupe allemand dans un communiqué adressé à un journal d’outre Rhin.

De surcroît, les rapports d’examens scientifiques effectués sur les crochets ayant provoqué les dégradations des caténaires n’ont révélé aucune empreinte, ni digitale, ni génétique, permettant d’identifier d’éventuels auteurs de ces infractions. D884 à D896.

Ils révélaient d’ailleurs que « …la conception de l’objet nécessite une certaine maîtrise de l’usinage de pièces métalliques… » ce qui ne semble pas correspondre au profil des mis en examen.

Il est enfin avéré que ces dégradations n’étaient susceptibles d’entraîner que de seuls dommages matériels et retards de trains. A les supposer établis, ces faits constitueraient donc tout au plus des dégradations en réunion de biens publics.


4/ SUR LA NOTION DE TERRORISME :

a/ Les actes de terrorismes doivent porter atteinte aux personnes :

Selon l’ONU, l’acte terroriste peut se définir comme :

« Tout acte commis dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves à des civils ou à des non-combattants, lorsque l’objectif de cet acte, par sa nature ou son contexte, est d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire ».

Aux termes de l’article 2 de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme adoptée le 9 Décembre 1999 et ratifiée par la France, constituent des actes de terrorisme :

 « Tout acte constituant une infraction au regard des [instruments universels contre le terrorisme] ou tout autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil ou toutes autres personnes qui ne participent pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé lorsque par sa nature ou son contexte cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte quelconque

En vertu de l’article 55 de la Constitution, les engagements internationaux priment sur le droit interne qui doit donc se conformer aux Conventions internationales régulièrement ratifiées.

Ainsi, la notion d’entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ne peut s’interpréter que comme une entreprise qui aurait pour objectif de tuer ou blesser grièvement autrui.

Cette analyse est d’ailleurs partagée par l’ensemble de la doctrine française.

Dans une étude consacrée à « la mise en œuvre en droit européen des dispositions internationales de lutte contre le terrorisme », (RGDIP, 2004/3, p.463), Madame Isabelle THOMAS écrivait : « Si l’engagement des Etats membres pour lutter contre ce fléau existe, la recherche d’une définition opérationnelle de l’acte de terrorisme international pose de nombreuses difficultés et n’a pu à l’heure actuelle aboutir. Au regard de ce vide juridique, l’acte de terrorisme ne pourrait-il pas entrer dans la catégorie plus générale des crimes contre l’humanité ? »

A titre d’exemple, la définition du terrorisme du juge de la Cour Internationale de Justice Gilbert Guillaume est éclairante : le terrorisme implique «l’usage de la violence dans des conditions de nature à porter atteinte à la vie des personnes ou à leur intégrité physique dans le cadre d’une entreprise ayant pour but de provoquer la terreur en vue de parvenir à certaines fins

On rappellera par ailleurs que le gouvernement français donne une définition assez approchante dans le Livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme paru en 2006 : « Tout acte qui vise à tuer ou à blesser grièvement des civils ou des non combattants et qui, du fait de sa nature ou du contexte dans lequel il est commis, doit avoir pour objet d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à agir ou renoncer à agir d’une façon quelconque ».

Ainsi et par-delà les difficultés d’une définition précise du terrorisme, il ne fait aucun doute que la lettre et l’esprit de la loi française sont bien de considérer que l’acte de terrorisme suppose la volonté d’attenter à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui.

Tel n’est, d’évidence, pas le cas de l’espèce.


b/ Les faits reprochés aux mis en examen ne sauraient répondre à cette définition :

Au regard des éléments ci-dessus analysés, les qualifications retenues reposent en réalité non pas sur des actes de terrorisme, mais sur des écrits politiques librement accessibles au public, jamais censurés et dont la paternité n’est de surcroît aucunement établie.

En tout état de cause, il ne suffit pas à la partie poursuivante de mettre en perspective des infractions de droit commun avec un discours politique critique pour caractériser l’existence d’une infraction terroriste.

Affirmer l’inverse permettrait de qualifier d’entreprise terroriste toute action portée par un discours politique ou syndical visant à dénoncer des choix politiques ou à exprimer une exaspération, voire une colère. D’évidence, une telle assimilation serait infiniment dangereuse pour la démocratie et l’Etat de Droit en France.

Il est d’ailleurs permis de se demander si la qualification de terrorisme artificiellement plaquée sur cette procédure n’a pas résulté, plutôt que d’actes en l’espèce particulièrement inexistants, d’une instrumentalisation politique préméditée. En témoignent la teneur d’une circulaire du 21 juin 2008 de la Garde des Sceaux et les déclarations péremptoires dès le 11 novembre au matin, par communiqué à 8H32 du Ministère de l’Intérieur et conférence de presse à 11H de Madame ALLIOT-MARIE en personne, utilement relayées par le Président de la République et par Procureur de la République de Paris lors d’une conférence de presse tenue le 14 novembre à 17H, la veille des mises en examen…

Dans un communiqué de presse du 15 janvier 2009 intitulé « Affaire de Tarnac : de la « cellule invisible » au terrorisme invisible, le Syndicat de la Magsitrature faisait l’analyse suivante : « Depuis plusieurs mois, le Syndicat de la magistrature dénonce l’utilisation de qualifications pénales outrancières aux fins d’intimidation et de répression des mouvements sociaux (communiqués des 26 juin, 27 novembre et 4 décembre 2008).

Dans l’affaire du « groupe de Tarnac », l’instrumentalisation consentie de la justice la suite d’une opération de « police réalité » opportunément médiatisée par la ministre de l’Intérieur -semble avoir atteint son paroxysme.

Le Syndicat de la magistrature observe que cette affaire est la parfaite illustration des risques que comportent le transfert des compétences du juge d’instruction vers un parquet statutairement dépendant du pouvoir politique, spécialement lorsque la collusion avec le ministère de l’intérieur est si clairement affichée.

Le Syndicat de la magistrature dénonce l’entêtement de la ministre de l’Intérieur et du parquet de Paris à vouloir maintenir une qualification des faits volontairement disproportionnée. »


En conclusion, il résulte de ce tout qui précède que les requérants, poursuivis pour des faits abusivement qualifiés d’actes de terrorisme, font à ce titre l’objet d’une répression politique visant non pas des actes de terrorisme, mais des modes de vie alternatifs et/ou des opinions dissidentes.

C’est pourquoi j’ai l’honneur de vous demander de vous déclarer incompétent du chef de terrorisme en abandonnant l’ensemble des incriminations, qu’elles soient délictuelles ou criminelles, en ce qu’elles sont en relation avec une entreprise ou un acte terroriste.



Je vous prie de croire, Monsieur le Juge d’Instruction, à l’assurance de ma parfaite considération.



William BOURDON

Tarnac, des terroristes ? Pourquoi le juge persiste

La prose est juridique, mais pas seulement. Du moins, elle est de celles qui en disent bien plus que le droit. Sur vingt pages, le juge Thierry Fragnoli, qui enquête sur les sabotages de la SNCF, répond en premier lieu aux avocats de la défense. Le document, que Mediapart révèle, est donc à lire à cette aune-là. Mais pas uniquement. C’est bien de convictions dont il s’agit. Les convictions d’un juge anti-terroriste, dans la France des années 2008-2009, et qui devait bien imaginer que son document allait tôt ou tard être rendu public tant tout, dans cette affaire, a été mis en lumière – mis en scène dès les premières minutes.

 

Des convictions et des frictions, aussi : qu’est-ce que le terrorisme ? Qu’est-ce qu’un ouvrage subversif ? Qu’est-ce que le trouble à l’ordre public ?  Et c’est probablement ainsi qu’il faut avant tout analyser cette «ordonnance de rejet de requête en déclaration d’incompétence»  dont nous fac-similons les conclusions. Comme une pièce au débat, une sorte de parole à l’accusation, dans ce qu’elle a de plus minutieuse, pour bien comprendre de quoi l’affaire (s’)est-elle vraiment faite ? Et surtout, comment les enquêteurs l’ont orientée.

 

Le contexte est simple : le 25 mars, Irène Terrel, qui défend Julien Coupat, Benjamin Rosoux et Gabrielle Hallez, et William Bourdon, le conseil d’Yildune Lévy, tous mis en examen dans l’affaire, demandent au juge de se déclarer incompétent. En clair : pour eux, le qualificatif de terrorisme ne tient pas. Sauf à considérer qu’il est le fruit d’«une instrumentalisation politique préméditée». Près de cinq semaines plus tard, le 6 mai, la réponse tombe. C’est non, pas d’incompétence du juge. Oui, c’est du terrorisme, aux yeux de Fragnoli. Qui s’élance sur vingt feuillets écrits serrés, où chaque virgule compte comme si toute la procédure en dépendait. Ou comme si, selon Me William Bourdon, «le juge avait fait un effort à la hauteur de l’impossibilité de la tâche pour trouver une apparente cohésion à sa décision».

Revue de détails.

 

Sur la notion de terrorisme

C’est de loin la question centrale, qui traverse toute l’ordonnance. Les dégradations des caténaires de quatre lignes SNCF, le 7 novembre 2008, et d’une première, quelques nuits plus tôt, à l’aide de fers à béton, relèvent-elles de la simple dégradation ou du terrorisme ? Répondre à cette question, c’est décider du sort de l’affaire, quelle que soit la culpabilité présumée de tel ou tel. C’est soit une chambre correctionnelle du premier tribunal venu, soit la cour d’assises spéciales de Paris. Quelques mois de prison encourus, ou vingt ans. Les policiers de la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) de Levallois-Perret, ou les gendarmes du coin.

Premier point. Thierry Fragnoli le reconnaît: difficile de définir le terrorisme. Même «le “Comité Spécial” de l’ONU, chargé d’élaborer une convention générale sur le terrorisme, rappelle-t-il, n’a, à ce jour, toujours pas surmonté les difficultés internes lui permettant de proposer une définition universelle du terrorisme». Alors, le magistrat s’en remet à une convention du Conseil de l’Europe de 2008, compatible à ses yeux avec le droit français, et qui précise «que les actes de terrorisme, par leur nature ou leur contexte, visent à intimider gravement une population, ou à contraindre indûment un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, ou à gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’une organisation internationale». En langage courant: on peut terroriser simplement en intimidant ou en sabotant l’économie. Pas besoin de sang versé. Pas besoin de bombes. Nul attentat, nul mort ni blessé.

A vrai dire, le juge insiste à plusieurs reprises sur la notion – encore rarement évoquée dans l’affaire – du préjudice financier et du fait de «désorganiser et déstabiliser un secteur économique essentiel». Sur ce point, et au vu du dossier, la SNCF n’y est pas allée de main morte, quand elle a présenté sa facture. Le moindre déplacement du moindre expert sur les lieux des délits est ainsi noté et tarifé. Néanmoins, quel que soit le montant, si l’affaire s’achemine vers un simple règlement de comptes (financiers), il aura été cher payé.

Quant à la définition stricte du terrorisme en droit franco-français, le juge semble se régaler. Entre leçon de droit et argutie juridique, sa plume remonte le temps – 1996 (loi anti-terroriste en vigueur), 1986 (loi antérieure), jusque 1789. Mais, là encore, Thierry Fragnoli l’admet: «trouble grave à l’ordre public par l’intimidation ou la terreur», tel que la loi le dit, cela est vague, cela est vaste.

Il nuance : «Si le terme “terreur”, particulièrement fort, apparaît comme provoquant une peur collective viscérale dépassant la sphère de l’individu pour toucher l’ensemble d’une population, annihilant sa résistance, avec une connotation quasi physiologique, en revanche, le terme “intimidation”, moins violent et aux conséquences a priori moins graves, inspire cependant de la crainte ou de l’appréhension de nature à dissuader, les organisations ou les individus s’abstenant d’eux-mêmes de certaines actions, ou de s’exprimer, versant ainsi dans une autocensure psychologique. L’intimidation et la terreur ne pouvant cependant se concevoir que par des actes répétés et vécus comme un harcèlement.»

 

Et Thierry Fragnoli d’égrener ce qui constitue, selon lui, «des indices graves et concordants» sur l’implication du goupe de Tarnac contre «l’atteinte à l’autorité de l’Etat». Pêle-mêle, il piste «le contournement des règles relatives aux documents administratifs, la commission de faux, la falsification de documents administratifs, la détention de documents permettant la confection artisanale d’engins incendiaires, des réunions et des déplacements communs préparatoires aux violences et dégradations projetées».

Réaction de Me William Bourdon: «Si cette ordonnance est confirmée, la France sera à l’avant-garde d’une conception très extensive du terrorisme et très éloignée de ce qu’en dit le droit international.»

Sur la notion d’associations de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste

D’abord, le mode de vie. Le juge donne sa vision des faits. Pour lui, la vie à la campagne façon Tarnacommnautaire, où les portes de la ferme du Goutailloux ne sont jamais fermées, où l’on s’échange des livres, et des idées, des plus simples aux plus radicales, cela peut devenir: «Au delà d’un attrait évident pour la ruralité, sans doute sincère pour certains des mis en examen, le site du Goutailloux paraissait être la base logistique du groupe, celui-ci étant fréquenté par plusieurs individus de différents pays européens ou de la région rouennaise.»

Suit une liste de voyages attribués à Julien Coupat et cet échange téléphonique, entre Gabrielle Hallez et Coupat, précisément de retour d’un voyage à Thessalonique (Grèce), après un grand raout de l’extrême gauche européenne. Echange dont on peut déduire tout. Et son contraire.

G: C’était bien alors vraiment ?
J: Ouais c’était très bien. Je vous raconterai tout.
G: Tout ?
J: Tout.
G: T’as vu nos amis ?
J: Ouais, j’ai vu tout le monde.
G: Ils vont venir par là aussi ?
J: Comment?
G: Ils vont venir ou pas ?
J: Ouais, un de ces jours.

Ensuite, Coupat-le-chef (présumé). Thierry Fragnoli cite un témoin sous X, passablement discrédité, notamment après les révélations de Mediapart. Il écrit : « S’agissant des allégations émises sur la crédibilité de la personne entendue selon la procédure (…) elles relèvent de la liberté d’opinion de chacun et de l’expression publique de celle-ci, et non des éléments objectifs du dossier.» N’empêche, si le magistrat cite le témoin sous X, il le fait finalement bien peu. Nettement moins en tout cas que les enquêteurs de la SDAT dans leur rapport intermédiaire de synthèse en novembre 2008.

 

Thierry Fragnoli retient néanmoins que le témoin sous X validerait «certains des premiers éléments [de l’enquête, NDLR], et permettait de les préciser en expliquant à propos de ce groupe qu’il avait pris la dénomination de “comité invisible sous section du parti imaginaire” et qu’il s’était étoffé, comptant environ en France 70 membres, ayant établi, depuis 2004, des connexions avec d’autres groupes similaires, notamment en Allemagne, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas et en Suisse».

Enfin, les «actes préparatoires intentionnels convergents vers un objectif commun». Le juge détaille par le menu tout ce qui pourrait amener à qualifier la bande de copains de bande organisée; le groupe d’activistes en noyau terroriste. Thierry Fragnoli prend d’ailleurs bien soin de préciser qu’il ramasse ici des faits qui «ne résultent pas de l’expression d’une simple opinion politique ou du choix d’un mode de vie». Une précision qui s’apparente à une précaution. Ou, du moins, à une riposte par anticipation de ce que le procès du procès sera sans doute: que juge-t-on exactement? Des actes ou des modes de vie? Voire: des modes de vie qui appellent des actes?

Suit alors une page et demie où le juge passe de livres rédigés en allemand à propos des sabotages des lignes de chemin de fer outre-Rhin, retrouvés dans la bibliothèque commune de Tarnac, à «des adresses de messageries internet [allemandes, NDLR] faisant actuellement l’objet d’investigations». Puis glisse des dégradations SNCF de novembre 2008 (qui relèvent, donc, selon ses critères, du terrorisme), à une manifestation musclée de Vichy (qui ne relève, elle, éventuellement, que du trouble à l’ordre public). Il évoque ainsi «deux réunions préparatoires à ces violences organisées, à Rouen, puis dans la ferme du Goutailloux, animées par Julien Coupat».

Verdict de l’avocate de ce dernier: «Tout cela est un tissu de lieux communs. Pour démontrer son pré-supposé, le juge construit une mosaïque de choses qui sont à l’antithèse du terrorisme.» Un souffle, et Irène Terrel reprend : «A cette histoire, on peut faire dire tout et son contraire.» Selon nos informations, un des mis en examen pourrait écrire au juge pour lui exprimer sa colère face à l’utilisation de ses propos, tenus devant les policiers, repris ici, et pourtant démentis face au magistrat.

A propos de «L’Insurrection qui vient»

Dans les neuf pages de conclusion, Thierry Fragnoli revient à plusieurs reprises sur l’ouvrage L’Insurrection qui vient, signé du Comité invisible. Ces passages comptent parmi les plus délicats de sa décision. Au fil des mois, plus le livre semblait apparaître comme l’épine dorsale de l’accusation, plus la défense se faisait entendre. Pour la police et la justice, l’ouvrage sonnait comme une revendication a priori des actes de sabotages. Pour la défense, cet argument relevait du délit d’opinion.

D’où le choix des mots, pesés au gramme et à la lettre près par le magistrat instructeur. D’abord, Thierry Fragnoli résume :
«Selon ce texte, pamphlet susceptible d’avoir été rédigé en grande partie par Julien Coupat, dont la grande production littéraire était soulignée par son père, l’Etat et l’organisation sociale de la société sont perçus comme des obstacles au développement harmonieux des personnalités, et réduisent à néant l’individu. Les cibles privilégiées de l’action devant être tout ce qui permettait la survie de l’Etat et de la société de consommation, et notamment le réseau TGV et les lignes électriques, points névralgiques sensibles à partir desquels il était possible d’arrêter aisément les échanges de biens et de personnes, portant ainsi atteinte au système économique.»

Ensuite, le juge cogne. Ou plus exactement, il justifie son intérêt pour la chose littéraire:

«Si la rédaction et la publication de cet ouvrage étaient légales, et s’inscrivaient dans la lignée d’autres ouvrages similaires, celui-ci prenait une tout autre dimension dès lors qu’il apparaissait en relation avec les faits de dégradations des lignes à grande vitesse des 25-26 octobre et 7-8 novembre, cessant d’être, de la sorte, un simple ouvrage théorique de “philosophie politique”, mais servant de justification, voire de programme et de support idéologique à des actes de sabotages, ou de violences, ayant pour objectif de troubler l’organisation économique et sociale en dehors des procédés démocratiques.»

Réponse de Me Irène Terrel, à Mediapart : «On peut trouver pléthore de livres encore plus clairs, et plus anciens. On devrait alors les interdire ? Faire un énorme autodafé ?»

 

Jurisprudence

D’après quelques indiscrétions chez les enquêteurs, l’instruction pourrait être bientôt ficelée. Hormis quelques recoupements du côté de la police allemande, jugée un brin tatillonne («c’est très compartimenté, chez eux, lâche un policier, franchement amer: les commissions rogatoires internationales mettent un temps fou à revenir, deux fois plus que dans n’importe quel pays!»), plus grand-chose n’est vraiment attendu. Idem du côté de la galerie Saint-Eloi, où travaille le pôle des juges anti-terroristes.

 

Julien Coupat aurait ainsi été libéré la semaine dernière, parce que le juge lui-même n’attendait plus rien ni de lui ni de ceux qu’il considère comme ses proches, et qui avaient été arrêtés à Rouen quelques jours plus tôt. Et puis, surtout, comme nous le révélions la semaine dernière, Thierry Fragnoli tenait à «libérer» lui-même Julien Coupat. Etre un juge qui ne se déjuge pas, en somme, estimant que «la concertation frauduleuse» entre les témoins, qui maintenait Coupat à la prison de la Santé, n’avait plus lieu d’être. Autrement dit : vivement l’été, que l’instruction se termine, pas sûr même qu’il y ait d’autres gardes à vue, ni perquisitions nouvelles.

Quant aux avocats, Irène Terrel et William Bourdon, ils ont fait appel de l’ordonnance de rejet en incompétence de Thierry Fragnoli. Pour William Bourdon: «S’il devait y avoir une jurisprudence Coupat, alors ce serait la voie ouverte pour démoniser et criminaliser tous les mouvements sociaux très contestataires.»

Deux ou trois choses que j’avais à vous dire

C’est un homme, dans un bureau, comme tant d’autres hommes dans tant d’autres bureaux auxquels il ressemble sans ressembler à rien. Celui-là dispose d’un pouvoir spécial, certainement dû au fait que son bureau occupe le dernier étage d’une quelconque tour d’un palais de justice.
On dit qu’il instruit, qui ? quoi ? Il instruit. Il écroue. Il interroge. Il rend des ordonnances, de pâles ordonnances, où quelques articles de loi, une poignée de formules convenues et de considérations vagues se concluent par d’impénétrables mesures de contrôle judiciaire. Benjamin, certainement trop apprécié comme épicier à Tarnac, sera assigné à résidence chez sa mère en Normandie, où il n’a jamais vécu, à 30 ans. Manon et moi, qui partagions tout à Fleury, n’avons plus le droit de nous voir maintenant que nous sommes « libres ». Julien peut se mouvoir dans toute la couronne parisienne, non traverser Paris, au cas où lui viendrait la tentation de prendre d’assaut l’Hôtel de Ville, sans doute.

Tel ami qui le visitait au parloir de la Santé doit se garder de le croiser désormais, sous peine de réincarcération. L’homme au bureau construit un dédale de murs invisibles, un labyrinthe d’impossibilités factices où nous sommes censés nous perdre, et perdre la raison. Il y a un ordre dans cet écheveau d’absurdités, une politique de désorientation sous les accents neutres du judiciaire.

On nous libère en prétextant qu’il n’y a pas de « risque de concertation frauduleuse » pour ensuite nous interdire de nous voir et nous exiler ici ou là, loin de Tarnac. On autorise un mariage tout en en faisant savamment fuiter le lieu et la date. On fragnole (1), à coup sûr, mais pas seulement.
C’est par ses incohérences qu’un ordre révèle sa logique. Le but de cette procédure n’est pas de nous amener à la fin à un procès, mais, ici et maintenant, et pour le temps qu’il faudra, de tenir un certain nombre de vies sous contrôle. De pouvoir déployer contre nous, à tout instant, tous les moyens exorbitants de l’antiterrorisme pour nous détruire, chacun et tous ensemble, en nous séparant, en nous assignant, en starifiant l’un, en faisant parler l’autre, en tentant de pulvériser cette vie commune où gît toute puissance.

La procédure en cours ne produit qu’incidemment des actes judiciaires, elle autorise d’abord à briser des liens, des amitiés, à défaire, à piétiner, à supplicier non des corps, mais ce qui les fait tenir : l’ensemble des relations qui nous constituent, relations à des êtres chers, à un territoire, à une façon de vivre, d’oeuvrer, de chanter. C’est un massacre dans l’ordre de l’impalpable. Ce à quoi s’attaque la justice ne fera la « une » d’aucun journal télévisé : la douleur de la séparation engendre des cris, non des images. Avoir « désorganisé le groupe« , comme dit le juge, ou « démantelé une structure anarcho-autonome clandestine« , comme dit la sous-direction antiterroriste, c’est dans ces termes que se congratulent les tristes fonctionnaires de la répression, grises Pénélope qui défont le jour les entités qu’ils cauchemardent la nuit.

Poursuivis comme terroristes pour détention de fumigènes artisanaux au départ d’une manifestation, Ivan et Bruno ont préféré, après quatre mois de prison, la cavale à une existence sous contrôle judiciaire. Nous acculer à la clandestinité pour simplement pouvoir serrer dans nos bras ceux que nous aimons serait un effet non fortuit de la manoeuvre en cours.
Ladite « affaire de Tarnac », l’actuelle chasse à l’autonome ne méritent pas que l’on s’y attarde, sinon comme machine de vision. On s’indigne, en règle générale, de ce que l’on ne veut pas voir. Mais ici pas plus qu’ailleurs il n’y a lieu de s’indigner. Car c’est la logique d’un monde qui s’y révèle. A cette lumière, l’état de séparation scrupuleuse qui règne de nos jours, où le voisin ignore le voisin, où le collègue se défie du collègue, où chacun est affairé à tromper l’autre, à s’en croire le vainqueur, où nous échappe tant l’origine de ce que nous mangeons, que la fonction des faussetés, dont les médias pourvoient la conversation du jour, n’est pas le résultat d’une obscure décadence, mais l’objet d’une police constante.

Elle éclaire jusqu’à la rage d’occupation policière dont le pouvoir submerge les quartiers populaires. On envoie les unités territoriales de quartier (UTEQ) quadriller les cités ; depuis le 11 novembre 2008, les gendarmes se répandent en contrôles incessants sur le plateau de Millevaches. On escompte qu’avec le temps la population finira par rejeter ces « jeunes » comme s’ils étaient la cause de ce désagrément. L’appareil d’Etat dans tous ses organes se dévoile peu à peu comme une monstrueuse formation de ressentiment, d’un ressentiment tantôt brutal, tantôt ultrasophistiqué, contre toute existence collective, contre cette vitalité populaire qui, de toutes parts, le déborde, lui échappe et dans quoi il ne cesse de voir une menace caractérisée, là où elle ne voit en lui qu’un obstacle absurde, et absurdement mauvais.

Mais que peut-elle, cette formation ? Inventer des « associations de malfaiteurs », voter des « lois anti-bandes », greffer des incriminations collectives sur un droit qui prétend ne connaître de responsabilité qu’individuelle. Que peut-elle ? Rien, ou si peu. Abîmer à la marge, en neutraliser quelques-uns, en effrayer quelques autres. Cette politique de séparation se retourne même, par un effet de surprise : pour un neutralisé, cent se politisent ; de nouveaux liens fleurissent là où l’on s’y attendait le moins ; en prison, dans les comités de soutien se rencontrent ceux qui n’auraient jamais dû ; quelque chose se lève là où devaient régner à jamais l’impuissance et la dépression. Troublant spectacle que de voir la mécanique répressive se déglinguer devant la résistance infinie que lui opposent l’amour et l’amitié. C’est une infirmité constitutive du pouvoir que d’ignorer la joie d’avoir des camarades. Comment un homme dans l’Etat pourrait-il comprendre qu’il n’y a rien de moins désirable, pour moi, que d’être la femme d’un chef ?

Face à l’état démantelé du présent, face à la politique étatique, je n’arrive à songer, dans les quartiers, dans les usines, dans les écoles, les hôpitaux ou les campagnes, qu’à une politique qui reparte des liens, les densifie, les peuple et nous mène hors du cercle clos où nos vies se consument. Certains se retrouveront à la fontaine des Innocents à Paris, ce dimanche 21 juin, à 15 heures. Toutes les occasions sont bonnes pour reprendre la rue, même la Fête de la musique.

(1) Il manque assurément au vocabulaire français un verbe pour désigner la passion que met un assis à rendre, par mille manœuvres minuscules, la vie impossible aux autres. Je propose d’ajouter pour combler cette lacune à l’édition 2011 du Petit Robert le verbe « fragnoler » d’où découlent probablement le substantif « fragnolage », l’adjectif « fragnolesque » et l’expression argotique « T’es fragno ! » dont l’usage est attesté et ne cesse de se répandre.

Un patron du renseignement de haut vol

BERNARD SQUARCINI, le grand patron de la Direction centrale du renseignement intérieur, tient en très haute estime le ministre de la Défense.

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Squarcini a aussi livré une explication inédite sur l’opération commando, à Tarnac, contre Julien Coupat et ses camarades, dans l’affaire des sabotages de lignes TGV. Accrochez vos ceintures ! Selon le grand chef du renseignement intérieur, on doit cet emballement au patron de la SNCF, Guillaume Pepy :  » Il faut se replacer dans le contexte, a t-il lancé. Pepy se retrouve avec 10 000 usagers bloqués gare du Nord. Des tracts commencent à circuler, mettant en cause SUD-Rail dans le sabotages. On peut comprendre qu’il soit au bord de l’évanouissement. Pepy a alors exigé du ministère de l’Intérieur qu’il sorte l’affaire.

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