Ligue Des Droits de l’Homme

Décembre 2008, une série inquiétante de faits qui se répete
Le 28 novembre 2008 à 6h30 du matin, la police sonne au domicile d’un journaliste de Libération. Il est, devant ses jeunes enfants, menotté, humilié, traité de manière insultante. En garde à vue, il sera contraint de se déshabiller entièrement et soumis à deux fouilles intégrales. Motif : 2 ans plus tôt, un commentaire avait été laissé sur le site de Libération par un internaute à propos d’une procédure judiciaire ; la personne visée par cette procédure avait porté plainte pour diffamation contre le journaliste qui était à l’époque directeur de publication. Affaire banale, la justice de la République en a traité des centaines.

Quelques jours plus tôt, la police recherche en Limousin les auteurs de plusieurs sabotages, dont la ministre de l’Intérieur elle-même reconnaît qu’il n’ont mis aucune vie en danger. Là encore, intrusion violente en pleine nuit dans les domiciles ; fouilles et arrestations d’une brutalité qui a provoqué l’indignation dans toute la région. Les personnes arrêtées, pourtant présumées innocentes, sont présentées à l’opinion comme de dangereux terroristes, en violation délibérée du secret de l’instruction.
Une semaine auparavant, le 17 novembre 2008, 4 gendarmes et un maître-chien font irruption à l’improviste dans dix classes du collège de Marciac, dans le Gers. Sans un mot, le chien est lancé à travers les classes. Les enseignants ne peuvent obtenir aucune explication. Trente jeunes « suspects » sont regroupés dans une salle, fouillés, parfois déshabillés ; leurs témoignages relatent des propos humiliants, menaçants et agressifs face à ces élèves tous traités comme des dealers présumés. En sortant, les gendarmes, qui n’ont rien trouvés, félicitent tous les élèves pour avoir « caché leur came et abusé leur chien ».
Point commun entre ces trois affaires : un journaliste à Paris, quelques villageois en Limousin, quelques dizaines de collégiens dans le Gers, sont présumés être de dangereux malfaiteurs et traités de manière brutale, humiliante et pour le moins disproportionnée par rapport aux missions de la police judiciaire.
Liberté de la presse, présomption d’innocence, droit des justiciables, et simple respect en toute circonstance de la dignité des personnes : qu’est ce qui, dans l’attitude des autorités politiques, laisse croire à des magistrats, à des gendarmes, à des policiers qu’ils peuvent impunément ignorer toutes ces règles constitutionnelles et internationales de production des droits de l’Homme ?
La LDH considère qu’il est urgent de réagir contre des dérives de plus en plus inacceptables de pratiques judiciaires et policières qui deviennent incompatibles avec l’Etat de droit

Communiqué de l’Union juive pour la paix

L’Union juive française pour la Paix a pour vocation principale d’intervenir sur le conflit israélo-palestinien, là-bas et ici, ainsi que sur ses répercussions en France, en faisant entendre une voix juive laïque.

Ces combats, pour être menés, supposent le plein usage des libertés démocratiques.

C’est pourquoi l’UJFP, qui porte la mémoire douloureuse des conséquences désastreuses de la violation de l’état de droit, s’alarme d’un grand nombre d’atteintes récentes et graves aux droits humains.

C’est le cas de la chasse aux étrangers dont Brice Hortefeux et les Préfets se font les agents zélés, afin d’atteindre d’inhumains quotas de sinistre mémoire, sans épargner, comme autrefois, les enfants.

C’est le cas des mesures répressives surdimensionnées, dont des contrôles préventifs, à la montée des cars, à l’occasion d’une manifestation, à Vichy, contre la réunion provocatrice, quant au lieu et au thème, par le même ministre, de ses collègues européens.

C’est le cas de l’interpellation récente et musclée d’un journaliste, une grave atteinte à la liberté de la presse, ou de l’intervention scandaleuse de gendarmes et de chiens dans un établissement scolaire, dans le Gers.

C’est enfin le cas, mais la liste est loin d’être limitative, du montage idéologique qui a conduit à interpeller, inculper et emprisonner neuf personnes, tenant une épicerie à Tarnac. La ministre de l’Intérieur, largement relayée, en boucle, par une grande partie de la presse écrite et audiovisuelle, a voulu les faire passer pour des nouveaux « ennemis intérieurs » qui auraient été liés au terrorisme international.

En réalité, trois semaines après, la bulle « terroriste » se dégonfle, tant il apparaît qu’aucune charge réelle ne peut être reconnue contre eux, à moins que la lecture d’un ouvrage en vente libre (« L’insurrection qui vient » –Eric Hazan, éditeur-) ne soit considérée comme telle, ce qui serait le signe d’une vraie dégradation de l’état des libertés en France.

Ces mesures répressives s’aggravent d’année en année, depuis un certain onze septembre, du fait du ministre de l’Intérieur, Sarkozy, puis du même, devenu président de la République qui aligne la France sur la politique étatsunienne d’un prétendu « choc des civilisations ». Elles n’ont, hélas, rencontré, au début, que peu d’opposition de la part des organisations démocratiques et de défense des droits de l’homme.

C’est pourquoi, l’UJFP, considérant que la limite est dépassée :
1. Condamne fermement toutes les mesures répressives du gouvernement et la criminalisation des mouvements sociaux et s’oppose au délire sécuritaire qui s’installe.
2. Prendra toute sa place aux côtés des organisations démocratiques en vue de défendre les libertés et l’État de droit.
3. Exige la libération de Jean-Marc Rouillan, remis en prison, pour refus de repentance.
4. Exige la libération immédiate des deux derniers emprisonné-e-s de Tarnac et la levée des inculpations.
5. Appelle tous les citoyens à la vigilance pour la défense des libertés démocratiques menacées et l’Etat de droit.

Paris, le 8 décembre 2008, Le Bureau National de l’UJFP

M. Patrick Braouezec alerte Mme la garde des sceaux

Texte de la QUESTION :

 M. Patrick Braouezec alerte Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l’arrestation et l’inculpation de neuf personnes rendues possibles par la mise en oeuvre de la législation antiterroriste. Il n’existe aucune preuve matérielle, ni rien de précis qui puisse leur être reproché. Le seul motif retenu est « association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste ». Les personnes inculpées vivent ensemble dans un village du centre de la France et ont ouvert une épicerie. Tout le monde les connaît, un comité de soutien s’est constitué dès leur arrestation. Malgré ces faits, il a été affirmé qu’ils vivaient tous dans la clandestinité. Quinze jours après leur arrestation, faute de preuves, certains d’entre eux viennent d’être relâchés. Les lois d’exception adoptées sous le prétexte de terrorisme et de sécurité ne sont pas compatibles, à long terme, avec les valeurs de la démocratie que défendent les citoyens et les citoyennes, pas plus d’ailleurs que la limitation de la liberté d’expression. En conséquence, il aimerait savoir ce que le Gouvernement compte faire pour que soit intégrée dans le corpus législatif des lois antiterroristes l’obligation de respecter la présomption d’innocence.

 

Question écrite      13ème législature

Question N° : 37229      de  M.   Braouezec Patrick ( Gauche démocrate et républicaine – Seine-Saint-Denis )  QE
Ministère interrogé :   Justice
Ministère attributaire :    Justice

 Question publiée au JO le :  09/12/2008  page :  10620
 Rubrique :      justice
 Tête d’analyse :    procédures

Tarnac : ne pas se taire devant l’arbitraire !

Il y a un mois, des politiciens et des ministres occupaient l’espace médiatique à longueur de journées, pour nous annoncer qu’un groupe terroriste avait été démasqué dans un village de Corrèze avec des « ramifications » à Rouen et à Paris. Des noms étaient cités, des jeunes étaient arrêtés à l’issue d’une occupation militaire de ce village.
 
Ainsi, une dizaine de jeunes, pris en filature depuis des mois par la direction anti-terroriste aurait mené une demi-douzaine d’opérations de sabotage sur les différentes Lignes ferroviaires à Grande Vitesse, la même nuit … Suivis depuis des mois, ils avaient été perdus de vue par la direction anti-terroriste, durant quelques heures, le temps d’effectuer ces opérations … avant d’être retrouvé à Tarnac…
 
Dès ces annonces gouvernementales, la fédération des syndicats SUD-Rail avait émis de sérieux doutes
sur cette « trop jolie histoire ».
 
Aujourd’hui, nous constatons que la plupart des jeunes arrêtés, lors du vaste déploiement militaro-policier, a été relâché (sept sur neuf) ; non, sans avoir subi de nombreux interrogatoires, dans le cadre de gardes à vue prolongées, par l’application des mesures d’exception de la loi anti-terroriste.
 
Poser des crochets métalliques pour arracher des caténaires, ne nous semble pas une forme d’action judicieuse ; pour autant, on peut s’interroger sur le qualificatif de « terrorisme » qui a d’emblée été utilisé. Il ne faut pas banaliser certains termes : « terrorisme », « pris en otages », …
 
Il y a plus grave encore : au-delà du qualificatif, … rien ne permet d’imputer ces faits à ce groupe jeté en pâture aux média le 11 novembre !
 
Deux jeunes étudiants, Julien et Yldune, sont toujours en prison. Aucun élément matériel ne pèse sur eux et c’est à l’accusation de faire la preuve d’une éventuelle culpabilité et non pas aux accusés de prouver leur innocence. Que devient la présomption d’innocence ? Si ce n’est une perte du droit, commun. Ceux qui s’acharnent pour tenter de ne pas perdre la face après une opération de « communication », qui se dégonfle de jour en jour, en sont à leur reprocher leurs lectures, leurs idées, leurs modes de vies !
 
On peut ne pas aimer leurs lectures, on peut ne pas aimer leurs idées, leurs visions de la société.
Mais, est-ce normal d’être en prison, pour des lectures, pour des idées ?
Les lectures, les idées, … est-ce du terrorisme ?
 
Avec les habitant-e-s de Tarnac, avec tous les membres des comités de soutien qui se sont créés, la fédération des syndicats SUD-Rail demande la libération immédiate de Julien et Yldune, emprisonnés depuis 5 semaines.
 
Puisque les pouvoirs publics sont sensibles au maintien en bon état du réseau ferroviaire (et c’est une bonne chose en soi !) la fédération des syndicats SUD-Rail demande que cela soit un souci quotidien, et pas seulement médiatique : il faut donner les moyens d’entretenir, rénover, surveiller l’ensemble des infrastructures utiles au transport ferroviaire. Cela doit s’exercer au sein d’une entreprise unique de
service public ferroviaire, la SNCF.

Ligue des Droits de l’Homme

Des libertés constitutionnelles ont été violées.
On a jeté en pâture des éléments concernant ces jeunes, en triant d’ailleurs soigneusement, en déformant les choses. On a violé le secret de l’instruction. On a violé la présomption d’innocence. Tout ça ce sont des garanties constitutionnelles de nos libertés qui n’ont pas été respectées. Cela engage gravement la responsabilité des gouvernants de la république. Première observation.

Deuxièmement, la disproportion entre ce que l’on a raconté, ce que l’on a fait croire pendant quelques jours, et les faits réels est évidente. Quels que soient les auteurs de ces actes, et rien ne permet actuellement d’affirmer que ce soit ces jeunes qui sont les auteurs de ces actes, mais quels que soient les auteurs de ces actes, une chose est de dire que ces actes peuvent êtres poursuivis -parce qu’il s’agit effectivement de dégradation de matériel et de gêne pour un service public- une autre chose est de prétendre qu’il s’agit de terrorisme. Aucune vie n’a été mise en danger par ces actes sauf peut-être celle de ceux qui les ont commis. Il n’y a pas l’ombre de quoi que ce soit qui ressemble à de la terreur vis-à-vis des populations civiles. Autrement dit, il y a une opération volontaire qui vise à qualifier de terrorisme des actes qui n’en sont pas. C’est une opération politique et elle dépasse le cas individuel même si bien sûr on pense d’abord à ses victimes.
C’est quoi cette opération politique ? C’est l’utilisation de loi d’exception dans un cadre incompatible avec la démocratie. Ce n’est pas seulement la disproportion. Je voudrais attirer l’attention sur le chef de mis en examen « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Il y a des années que la Ligue des Droits de l’Homme dénonce cette qualification pénale comme étant, en elle-même, extrêmement dangereuse pour la démocratie. Elle est tellement large et tellement floue que nous sommes très nombreux à cette tribune à pouvoir éventuellement être mis en examen de ce chef. Parce que nous aurions éventuellement pris position pour les droits d’une personne qualifiée de terrorisme ici ou là.

Plus généralement, cela fait 22 ans, depuis 1986, que la France a un régime de lois d’exception dites antiterroristes, que la Ligue des Droits de l’Homme dénonce et dont elle demande l’abrogation. Parce que seul le droit commun protège les libertés, et que les régimes d’exception finissent par des pratiques d’exception, on le voit avec cette affaire.
Il y a un climat de dérive très inquiétante aujourd’hui, il n’y a pas seulement des lois d’exception depuis 22 ans, il n’y a pas seulement les suites des attentats de 2001 qui ont été un merveilleux prétexte pour faire reculer les libertés dans toutes les démocraties. Il y a aussi depuis quelques semaines quelques choses sur quoi il faut absolument réagir avant qu’il ne soit trop tard, parce qu’il y a ce qu’il s’est passé le 11 novembre à Tarnac avec la manière dont on a littéralement terrorisé les populations civiles en pleine nuit comme si on était face à El Quaïda. Il y a ce qui s’est passé ensuite dans le Gers où des jeunes collégiens ont vu un chien policier lâché au milieu d’une classe sans que les professeurs soient prévenus et en demandant aux professeurs de fermer leur gueule ( je m’excuse mais c’est comme ça que cela a été dit). Il y a ce qui se passe avec le journaliste de Libération, tout le monde est au courant, on arrête un journaliste à 6h30 du matin, on l’humilie devant ses enfants, on le menotte et on lui fait passer des fouilles anales. Tout ça parce qu’il y a une affaire de diffamation extrêmement banale qui date d’il y a deux ans.
Je tien à dire que ça :  c’est l’écume de quelque chose

On pourrait comprendre ce type de logique qui vise à criminaliser des gens pour ce qu’ils sont, qui vise à dire qu’une circonstance aggravante est d’avoir participer à une manifestation légale à Vichy contre la politique de l’Europe forteresse, qui vise à dire que c’est également une circonstance aggravante que de lire des livres jugés subversifs alors que ces livres ne sont pas interdits. Qui vise aussi à dire, dans un réquisitoires que l’un des accusés mène –je cite- « une vie dissolue », on se croirait dans les années 40, je ne sais pas de quel ordre moral relève ce genre de réquisition d’un parquet.
Tout cela vise à préparer quelque chose. Tout cela vise à préparer l’idée que, comme on poursuit les délinquants de la solidarité, comme on poursuit de peine correctionnelle des gens qui donne à manger ou qui donne des tentes aux sans papiers autour de Sangatte, on va maintenant essayer d’intimider tous ceux qui pensent différemment ou qui protestent de manière énergique mais d’une manière qui ne met en danger  aucune vie.
Et je crois qu’il est temps que les citoyens soient nombreux à dire  « ça suffit ! ». Il y a des limites à la transformation de ce pays en quelque chose qui peut se comprendre à Tunis ou à Pékin mais pas dans un Etat de droit.

Peu importe ce que nous pensons les uns et les autres, ces jeunes sont innocents. Pour une raison très simple, c’est que personne n’a prouvé leur culpabilité, la présomption d’innocence ça veut dire ça. La question n’est pas de savoir si nous pensons qu’ils sont innocents ou pas, ils sont innocents ! C’est ce que dit la Constitution Française depuis le 26 août 1789. Alors soit on y tient soit on n’y tient pas. Sinon comme le journaliste de Libération est-ce qu’on pense qu’il est innocent ou coupable : il est innocent ! C’est à l’accusation de prouver qu’ils sont coupables.
Ils sont innocents ! C’est la seule chose à dire ou alors nous ne sommes plus une démocratie. Ou alors nous sommes tous présumés coupables et c’est justement ça qu’on veut nous mettre dans la tête.
Donc déjouons ce type de chose qui installe dans les têtes que c’est à nous de prouver qu’on est vraiment innocent, que c’est à nous de prouver ce qu’on a fait la nuit dernière, que c’est à nous de prouver qu’être des citoyens qui contestent le gouvernement ce n’est pas être des terroristes.
NON ! Dans un Etat de droit c’est le contraire ! Donc essayons d’en tenir compte parce que c’est très important pour que les citoyens ne soient pas piégés par la manœuvre politique.
Je voudrais citer le ministre allemand de l’intérieur, M. Wolfgang Schäuble qui a déclaré en septembre 2007, et c’est une dépêche de l’AFP vous pourrez vérifier, pour lutter efficacement contre le terrorisme il faut traiter toute la population comme des terroristes potentiels. C’est ça qui nous menace !

Bernadette Bourzai dénonce la dérive sécuritaire

Bernadette Bourzai dénonce la dérive sécuritaire et la violation du principe de présomption d’innocence.

Plusieurs parlementaires de gauche ont participé aujourd’hui à la Conférence de presse organisée à l’Assemblée Nationale par Noël Mamère, Bernadette Bourzai, Patrick Braouezec et Martine Billard en présence des parents de Julien Coupat et Yldune Lévy et de Jean- Pierre Dubois, le président de la Ligue des droits de l’homme.

Un mois après l’interpellation de neuf jeunes de Tarnac pour des délits qualifiés de terroristes et alors que sept d’entre eux ont été déjà été libérés, les parlementaires ont souhaité dénoncer l’opération politique visant à désigner des « ennemis de l’intérieur et à jouer avec la peur » alors qu’aucune vie n’a été mise en danger et que les destructions incriminées sont loin d’être massives.

Bernadette Bourzai a tenu à souligner que ces jeunes, ayant certes choisi un mode de vie très éloigné de la société de consommation, sont parfaitement intégrés en Corrèze et ont rendu de nombreux services à la population qui a d’ailleurs crée spontanément un large comité de soutien. Elle a aussi rappelé que le terme « terroriste » pouvait avoir un écho bien particulier, sur ces terres de résistance puisque c’est ainsi que l’on qualifiait pendant l’occupation, ceux qui s’opposaient au régime de Vichy et à l’occupation allemande.

Selon le président de la Ligue des droits de l’homme, Jean-Pierre Dubois, les lois d’exception de lutte contre le terrorisme sont inacceptables car elles permettent de violer les garanties constitutionnelles des libertés.

« Dans un Etat de droit, ces jeunes sont innocents car personnes n’a prouvé leur culpabilité !  Nous constatons un développement des affaires où la réaction policière et judiciaire par rapport aux infractions considérées est disproportionnée. Ce qui a d’ailleurs valu à la France d’être condamnée de nombreuses fois par la Cour européenne des droits de l’homme. »

Les parlementaires ont déclaré que seule la procédure de droit commun était selon eux acceptable et ont demandé que la qualification de terroristes soit abandonnée et les prévenus mis en liberté sous contrôle judiciaire.

Ils ont aussi fait la demande d’un droit de visite en prison de Julien Coupat et Yldune Lévy, d’autant que dans le cadre des lois d’exception, cette incarcération peut durer encore des mois.

BERNADETTE BOURZAI

SÉNATRICE
DE LA CORRÈZE

Secrétaire de la Commission des Affaires européennes
Membre de la Commission des Affaires culturelles

Vœu proposé par le groupe

Considérant les conditions de l’arrestation des jeunes gens le 11 novembre 2008 dans la commune de Tarnac en Corrèze, mettant en jeu de très importantes forces de police dans le cadre d’une opération de type antiterroriste.

Considérant la dramatisation de cette affaire et les déclarations qui l’ont accompagnées au niveau ministériel, lesquelles ne respectent pas la présomption d’innocence due à tout citoyen.

Considérant les premiers témoignages concordants des sept personnes libérées faisant état du peu d’éléments en possession des enquêteurs attestant la réalité d’une entreprise terroriste.

Considérant ainsi que les faits reprochés, s’ils sont démontrés, semblent relever de la dégradation de biens, ce que la justice devra apprécier et, le cas échéant, condamner.

Le Conseil général de la Corrèze, réuni en séance plénière le vendredi 19 décembre 2008, demande :

> la requalification des actes reprochés,

> la plus grande clarté sur la réalité des faits.

Prise de parole : Danny Cohen Bendit

Aujourd’hui  nous avons réuni, de façon un peu exceptionnelle, autour de la table,  Michel Lévy et Marie Guéant, qui sont les parents d’Yildune qui est une des personnes qui ont été mises en détention provisoire, suite à l’affaire du 11 novembre et donc aux accusations de terrorisme de la part du gouvernement, et Daniel Cohn-Bendit, député vert européen; et nous sommes ici avec Gaël Cogné, journaliste au service société.

Gaël – Vous Daniel Cohn-Bendit vous avez souhaité prendre position sur cette affaire en tant qu’ami de Michel Lévy, peut-être qu’on pourrait commencer par raconter un petit peu l’histoire, qu’est-ce qui c’est passé le 11 novembre pour vous ?

Ma – C’est un jour férié, il est six heure du matin, ça tambourine à la porte “police, police, ouvrez”. Michel n’entend pas et je réalise qu’il faut aller ouvrir, j’y vais. c’est assez petit chez nous, le couloir est étroit, on me pousse la porte brutalement et plein d’hommes cagoulés, arme au poing me menaçant, me bousculant pour rentrer. Ils me bloquent en me disant “où est Yildune Lévy ? où est Yildune Lévy ?” je n’ai même pas le temps de répondre, les hommes cagoulés se déploient, il y en a partout et on me dit de rester immobile ; ils sortent ma fille de sa chambre, je la vois au bout du couloir avec les menottes aux mains tremblante en me disant “maman qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui se passe ? Et moi je leur dit”mais enfin qu’est-ce qui vous arrive ? C’est quoi cette histoire ? Qu’est-ce qui se passe ? Quel crime vous reprochez à ma fille ?”. Cela a été très violent parce que voir des hommes cagoulés et en armes, comme ça chez soi d’un seul coup, on est pétrifié. Et je finis par leur dire ” mais qu’est-ce que vous cherchez enfin ?” Ils m’ont dit “on veut l’interroger” Alors là c’était trop et je leur dis “mais enfin si vous vouliez l’interroger vous pouviez la convoquer au commissariat, vous êtes des policiers, j’imagine que vous savez qui on est, c’est incroyable” Ils nous ont fait asseoir, il fallait attendre.

Mi –je suis quelqu’un qui travaille plutôt la nuit, le soir et donc effectivement au début je n’ai rien entendu et quand je me suis réveillé parce que les bruits étaient inhabituels, j’ai ouvert les yeux et qu’est-ce que j’ai vu, une espèce de tête qui dépassait de la bibliothèque, cagoulée avec deux yeux blancs énormes comme ça et la bouche sans corps, il n’y avait pas de corps donc d’un seul coup ça m’interpelle, il fait un pas en avant “police” donc là comme je suis quelqu’un qui dort tout nu je me lève et je passe mon slip etc et je vais vers eux en demandant mais qu’est-ce qui se passe et là ils me disent que c’est effectivement pour Yildune, et immédiatement je demande” mais vous avez un papier ? vous avez quelque chose ? Vous avez un document ?”
Ils me donnent le document qui permet de faire la perquisition, je m’aperçois à sa lecture que c’est un processus qui a été engagé à l’intérieur d’une enquête qui s’est ouverte le 16 avril, et que l’acte judiciaire qui permet d’effectuer les perquisitions est du 6 juin ; et donc je réalise  que c’est une enquête ; j’ai alors la même réaction que Marie et je dis “ mais attendez je ne comprends pas, si Yildune vous vouliez la voir, vous aviez quelque chose à lui demander, vous n’aviez qu’à la convoquer, elle serait allée à la convocation. Donc, ils sont rentrés de la manière qu’a décrite Marie mais il n’y avait pas d’armes à la maison, c’était évident ; ce qu’ils trouvent c’est un désordre habité par beaucoup de livres, dans notre chambre ils trouvent des ordinateurs, ils trouvent une guitare six cordes, ils trouvent une guitare basse, ils trouvent des images sur les murs et donc quelque part il peut y avoir un doute sur “ce n’est peut être pas les terroristes dont on nous avez parlé.

Gaël : Est-ce qu’ils disent ce qu’ils soupçonnent ou ce qu’ils reprochent à votre fille à ce moment là?

Mi & Ma – non  ils disent que c’est pour une enquête, qu’ils veulent l’interroger

Mi – Par contre quand je vous parle du 16 avril et du 6 juin ce qui est référencé dans l’enquête c’est l’histoire en Amérique du Nord, c’est le passage entre le Canada et les Etats Unis, l’ouverture de l’enquête….

G – Donc là on va peut-être préciser, on leur reproche finalement, ils ont été repérés, à en croire les enquêteurs, alors qu’ils voulaient franchir la frontière entre les Etats Unis et le Canada, ils avaient en leur possession des tracts

Mi – ça c’est ce qu’on dit

G – tout à fait, c’est ce que disent les enquêteurs

Mi – c’est une supposition

G – Donc le FBI aurait alerté, quelque temps plus tard, suite à un attentat près d’un centre de recrutement

Mi – non pas suite à un attentat, ça c’est déjà de la construction : je suis allé aux Etats Unis  si on réfléchit un peu à Time Square, quand on ne connaît pas New York c’est évident que l’on va à Time Square. Yldune c’était la première fois qu’elle allait aux Etats-Unis, Julien je n’en sais rien ; Je suis sûr que les mêmes jours où ils sont passés, si on lançait un appel mondial on trouverait des touristes qui ont pris en photo Time Square, les différents endroits où ils sont allés. Et pourquoi je parle de Time square sous cette forme-là , parce que en plus à Time Square il y a un centre de recrutement pour la guerre en Irak. Donc tous ceux qui sont opposés à la guerre en Irak et qui disent que c’est une gigantesque bêtise vont voir ce bidule. Après il y a plusieurs versions : si on regarde les papiers publiés de la part de la police, eux disent qu’ils ont été vus en réunion, on a trouvé dans la presse comme quoi ils avaient participé à des manifestations. Moi ce que j’en sais par ma fille c’est que les réunions n’étaient pas drôles et qu’ elle est allée visiter les musées, et ce n’est pas une fan d’anglais.

G – Donc ça c’est le départ de l’enquête

D – Je trouve toujours intéressant que l’on soit précis : il y a donc un ordre de perquisition pour juin, la perquisition a lieu en novembre, d’accord ? On est d’accord. Imaginons que ce soient vraiment des terroristes, c’est irresponsable. C’est irresponsable d’attendre cinq mois que des terroristes, qu’on a filé, dont on sait tout, qu’on les laisse pendant des mois se balader en France et pouvoir faire ce que font les terroristes. Donc déjà on se pose des questions.
Et deuxièmement, d’intervenir comme ça, on invite même les medias à filmer l’arrestation de “terroristes”, on fait intervenir la police de terroristes, donc on dit aux français : ”voilà, nous avons arrêté un groupe de terroristes”. Dans la tête des gens, les terroristes c’est qui ? C’est Ben Laden, il y a un véritable danger de terrorisme de par le monde, les attentats à Bangkok, on voit, ce que c’est pas rien le terrorisme.
Imaginons maintenant ce qu’on reproche aux jeunes : on leur reproche d’avoir interrompu la circulation de TGV, imaginons que cela soit vrai, j’en sais rien , ce n’est pas à moi de décider, imaginons que ça soit vrai, alors la question qui se pose c’est : est-ce qu’on a le droit de dire que ça c’est du terrorisme ? On peut dire que c’est une dégradation : oui ; on peut dire qu’on ne peut pas tolérer cette dégradation : oui ; on peut dire que ceux qui sont responsables de cette dégradation doivent passer en justice : oui. Mais si on dit que ça c’est du terrorisme, on minimise le terrorisme, on minimise Ben Laden et on devient un danger public numéro 1, parce que si on ne sait pas faire la différence entre un groupe qui se révolte contre la société, qui fait des dégradations –je ne dis pas qu’ils l’on fait je n’en sais rien, mais même si c’est ça – ,et un groupe de terroristes, si c’est le même nom, eh bien je crois que la lutte anti-terroriste est mal barrée en France.

G –   Ce que vous dénoncez c’est le brouillage

Mi –je suis en accord sur le caractère international et sur la figure du terrorisme,  par contre sur la construction de la figure… Qui sont ces gens-là, qu’est-ce que ma fille peut incarner au niveau du questionnement dans le monde dans lequel on vit,  qu’est-ce qu’on leur reproche dans les faits ? On leur reproche entre autre par exemple d’aller d’un pays à un autre en Europe pour s’intéresser directement à ce qui se passe, c’est-à-dire que quelque part ce seraient même les premiers Européens puisque eux ils vont sur le terrain

D –Je trouve intéressant d’expliquer : Ils ont des passeports …

Mi – oui

D – et pourquoi ils ne prennent pas leur passeport ?   ils ne rentrent pas comme ça aux Etats Unis

Mi –Et bien par exemple  Agemben  a une position là-dessus par rapport à la biométrie, par rapport aux développement des mesures sécuritaires, le Patriot Act développé par Bush qui fait que les Etas Unis sont une forteresse d’un certain type, lui il dit qu”il n’y va pas, il préfère ne pas y aller. Eux ils sont plus jeunes, ils vont au Canada –et tout ça c’est du conditionnel parce que c’est des détails que je n’ai pas discuté- je sais qu’elle est allée au Canada, qu’elle est allée aux Etats-Unis et le reste dans le détail, une bonne partie, je l’ai appris par la presse

D – mais tu sais qu’ils refusent la biométrie

Mi – Oui je sais qu’ils refusent la biométrie, ils se sont battus en France là-dessus

D – Donc une des explications de passer illégalement aux Etats-Unis, c’est parce qu’ils refusent la biométrie

Mi- De se prêter aux contrôles biométriques qui se trouvent maintenant aux frontières

D – Donc c’est une forme de résistance civile, on trouve ça intelligent ou on trouve ça bête, mais c’est une forme de résistance civile, la résistance contre la biométrie est quelque chose d’absolument légitime.
Il y a un deuxième exemple, c’est important parce que c’est l’exemple qui montre la folie de l’histoire, ils n’ont pas de portables, d’ailleurs Michel Lévy, le père, n’en a pas non plus, alors on peut dire c’est des dingos, moi j’en ai deux, ils vivent dans un autre monde. On peut dire tout ça, mais on a le droit quand même en France de ne pas avoir de portable de dire que les portables ça rend fou… donc on énumère des tas de choses effectivement dont on a l’impression qu’ils sont comme autant d’éléments à charge du point de vue du gouvernement et de l’enquête en cours et qui en fait se sont des éléments politiques.

Mi – Non ! des éléments qui relèvent du mode de vie

D – du mode de vie, d’une forme de protestation contre une certaine forme de civilisation

Mi et M – ou de consommation, de surconsommation

D – ils disent on ne veut pas de portables et on est contre la biométrie, donc réaction de résistance civile, on passe illégalement la frontière, moi je serais le dernier à critiquer ça, j’étais interdit de séjour en France et j’ai passé illégalement la frontière

Mi – et je l’ai accompagné, je l’ai aidé à le faire

D – et je ne suis pas un terroriste pour ça

Mi – et moi non plus,

D – deuxièmement, quelqu’un qui refuse le portable et la police dit à tout le monde ils n’ont pas de portable parce que se sont des terroristes, alors que tout le monde sait que tous les terroristes ont des portables, que Ben Laden travaille avec les portables, donc on dit n’importe quoi, c’est une image de construction du terrorisme et c’est ça qui est dangereux. C’est dangereux parce qu’on a une ministre de l’intérieur qui dit des choses irresponsables, que personne ne lui répond et que, après, on en fait des terroristes.
Le danger, ça on le connaît dans l’histoire, que des gens qui font de la résistance et qui font des choses illégales, quand on les monte en terroriste et bien il y a une machine qui se met en route que l’on peut, parfois, ne plus arrêter, et c’est pour ça que c’est dangereux.
Et cette police, en s’occupant de cette manière de cette dégradation, ça veut dire qu’elle ne s’occupe pas de la manière nécessaire des vrais terroristes, c’est pour ça que la ministre de l’intérieur est une personne dangereuse pour la France.

G – ce que vous dites c’est qu’il y a finalement deux manières de regarder cette affaire, il y a un angle policier et si on cherche à retourner on se rend compte finalement qu’il n’y a pas grand chose.

D – on se rend compte qu’il y a un groupe qui fait une critique radicale de la civilisation, là encore on peut la partager ou pas, moi je suis près là-dessus de faire un  débat avec Julien et avec les autres

G – Julien est celui qui est soupçonné d’être le chef de bande

Mi – là-dessus sur l’histoire du chef de bande, je voudrais vraiment dire un quelque chose, parce que je suis allé à Tarnac pour la première fois le week-end dernier

D – Tarnac c’est l’endroit où ils habitaient à la campagne

D – où n’habite d’ailleurs pas ta fille parce qu’elle n’aime pas trop la campagne

Ma – parce que ce n’est pas son histoire

Mi –elle aime bien la nature mais ce n’est pas son groupe de vie, elle est ici, à Paris, impliquée dans d’autres activités, elle fait de l’archéologie.
A propos des histoires de chef j’ai rencontré des individus. Et ça me fait rigoler cette histoire de chef parce que c’est le genre de vie collective qui n’est pas une communauté à l’image des années 70, et c’est une vie collective avec beaucoup d’activités liées à la production, ils interviennent dans le social et j’ai eu plutôt la sensation d’avoir affaire à des individus qui, si il y avait quelqu’un dans le groupe qui se prétendrait chef ou leader,  j’ai le pressentiment qu’ils ne le fréquenteraient pas, il se ferait éjecter du groupe. Dire que lui qu’il travaillait d’une manière spécifique sans doute mais dire que c’est un leader ou un chef, ça n’est pas vrai.

D – Je crois que là encore c’est la construction terroriste parce que l’idée d’un groupe, d’un chef, on pense automatiquement à Bader…

Mi – ou n’importe quelle histoire, tu dis ça parce que tu as connu cette histoire-là

D- oui ou parce que le film vient de sortir

Mi – oui c’est un mauvais film

D – c’est un très mauvais film mais ce n’est pas ça le problème. On monte un groupe et les terroristes ont des chefs, ils s’appellent Ben Laden, l’autre s’appelle Bader ou Toto ou les chefs historiques des brigades rouges etc…  donc tout ça, ça fait partie d’un montage. Au lieu de dire il y a une critique de la civilisation qu’on peut partager ou ne pas partager, qu’on peut trouver juste ou ridicule, il y a un mode de vie qui veut justement s’extraire de cette civilisation de surconsommation, donc on refuse les portables, on refuse la biométrie, on refuse le contrôle. Et c’est vrai qu’on est dans une société qui, par anti-terrorisme, contrôle de plus en plus les individus. Ça c’est une chose.
Et à partir de là on leur reproche quoi ?  j’ai lu toute la presse, on dit ils ont participé, par exemple à des manifestations, mais on doit dire aujourd’hui par exemple quand le président de la République fait une critique de la mondialisation, il peut le faire que parce que ça a commencé à Seattle, parce qu’il y a eu un mouvement social qui s’est coltiné la critique de la mondialisation, donc là encore il n’y a rien de…., alors on me dit oui mais ils ont fait le coup de poing, je m’excuse le ministre des affaires étrangères allemand Mr Fisher qui est reçu dans toutes les chancelleries a fait le coup de poing quand il avait 28 ans et bon il n’est pas devenu un  terroriste. Il y a des tas de gens bien qui était en France à la gauche prolétarienne qui participaient à des coup de poing, qui sont devenus les conseillers de Mr Sarkozy, comme André Glucksmann  qui participait d’un groupe qui n’était pas la non-violence par définition. Donc là encore il faut faire attention de ne pas dire n’importe quoi.
Mon résumé, et je dirais toujours la même chose : oui la société a le droit de répondre juridiquement, dans un état de droit, à des actes de dégradation s’il y a preuves. Mais ça n’a rien à voir avec le terrorisme.

G  -Michel Lévy pour finir

Mi – En écoutant Dany je pensais à un truc de cette même année 2008, il y a eu une petite histoire, et comme moi je demandais tout le temps à Yildune quand elle allait dans différents endroits de me ramener des tracts et des brochures donc c’est un truc qui m’avait mis la puce à l’oreille c’est l’histoire des fumigènes : c’est l’histoire du centre de rétention de Vincennes où des jeunes ont été interpellés dans un périmètre un peu large et ils ont été accusés aussi de terrorisme, et le détail de cette histoire c’est quoi ? Il y avait des manifestations régulièrement devant le centre de rétention de Vincennes et donc qu’est-ce qu’ils faisaient pour pouvoir communiquer avec les sans-papiers qui étaient à l’intérieur ? Ils faisaient du bruit à l’extérieur avec des fumigènes. Les fumigènes si vous devez les acheter en magasins c’est des trucs qui coûtent cher, la recette pour fabriquer un fumigène est simple et ça ne coûte pas cher, donc si on y va plus d’une fois et qu’on n’a pas un gros porte-monnaie on a tendance à les fabriquer soi-même, c’est exactement ce qui s’est passé. Et maintenant, ils sont dans une procédure, ils ont fait plusieurs mois de prison pour certains d’entre eux, d’autres dans une affaire pas très éloignée sont dans la même situation, sont toujours incarcérés, il n’y a rien d’avancé sur cette histoire et ça a lieu quelques mois avant.

D – Au ministère de l’intérieur, la ministre de l’intérieur et tous ceux qui travaillent avec elle,  sont sur un « trip » de fou, ils sont dans une construction idéologique de terrorisme et dans une construction pratique de terrorisme. C’est-à-dire qu’ils poussent des gens qui critiquent la société à bout parce qu’ils ne respectent pas le minimum de l’intelligence de l’état de droit

G – est-ce que pour vous ça veut dire que derrière il y a une volonté de criminaliser la contestation ?

D – Mais ça c’est dans la logique de tout ministre de l’intérieur

Mi – de tout ce qui n’est pas dans la norme oui je pense

D –  j’ai lu tout mon dossier d’avant 68 sur moi et c’est complètement fou. Vous lisez ce dossier et vous vous dites mais attention c’est un grand manipulateur international qui a ses mains liées avec la CIA. C’est la logique policière du ministère de l’intérieur. Le problème c’est qu’avec les manipulations idéologiques et dans les médias, on arrête des gens, on dit « on a une preuve, l’ADN » c’est un mensonge et il n’y a aucune preuve ; si il y en avait cela fait longtemps qu’ils auraient dit cette ADN ça appartient à cette personne. Ça n’est pas vrai, donc un ministre ou une ministre de l’intérieur peut mentir, un procureur peut mentir, ça ne fait rien puisqu’on est dans la lutte anti-terroriste. Et c’est ça la folie, il faut se battre contre le terrorisme mais si on se bat contre le terrorisme de cette manière, on terrorise les gens et on ne se bat pas contre le terrorisme.

G – ça pour vous, c’est véritablement nouveau

D – C’est quelque chose qui existe depuis plusieurs années qu’on a importé d’Amérique.

Législation d’exception : le cas Julien et Yldune

Lors d’un colloque qui se tint à Berlin à la fin des années quatre-vingt-dix, le professeur de droit, Günther Jakobs, recommandait que nos sociétés démocratiques établissent une distinction entre le droit pénal des citoyens et le droit pénal de ceux qu’il appelle « les ennemis de l’ordre public » : « Celui qui veut être traité comme une personne, expliquait-il, doit de son côté donner une certaine garantie explicite qu’il va se comporter comme une personne. Si cette garantie fait défaut, ou même si elle est formellement refusée, le droit pénal n’est plus la réaction de la société contre l’un de ses membres, mais devient la réaction contre un ennemi. »

Une telle distinction, qui entend légitimer l’instauration d’une législation de combat, présuppose que tout citoyen soit en mesure d’apporter la preuve que son comportement – non ses actes, serait-il simplement soupçonné de les avoir commis – ne constitue pas une menace potentielle pour la société. Si l’on devait suivre une telle recommandation s’instaurerait un ordre du soupçon généralisé auquel personne ne pourrait échapper, mettant radicalement en cause la présomption d’innocence et les principes fondamentaux de notre conception du droit. S’agit-il là de simples divagations d’un universitaire, conduisant à appliquer à tout citoyen la distinction établie par le juriste Carl Schmitt entre l’ami et l’ennemi ?

Il y a, hélas, tout lieu de craindre que non si l’on considère l’évolution des mentalités gouvernementales et des pratiques judiciaires. Je parle ici de la France, non de l’Allemagne. On en voit un triste exemple dans le sort réservé à Julien Coupat et à sa compagne, Yldune Lévy. Tous deux ont été incarcérés, le 16 novembre 2008, avec plusieurs membres d’une prétendue « cellule invisible », pour leur responsabilité présumée dans le sabotage contre les lignes TGV, qualifié d’« entreprise terroriste », mais ils sont les seuls à être aujourd’hui encore maintenus en détention sans qu’aucune preuve formelle n’ait pu, semble-t-il, être apportée de leur participation à cette action. Une action, au reste, qui, en seraient-ils responsables, ce qui n’est pas établi, ne relève nullement de l’intention de faire régner la terreur par un attentat contre des civils innocents, sauf à tomber dans une lamentable et effrayante dérive sémantique. C’est pourtant là le point décisif, car c’est principalement sur la base de cette qualification des faits que la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a décidé, vendredi 26 décembre, de maintenir Julien Coupat en détention préventive. Quant à Yldune Lévy, elle n’a toujours pas été auditionnée par un juge d’instruction, un mois et demi après son arrestation.

À l’origine de cette étrange rigueur, une circulaire, datée du 13 juin 2008, de la Direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice qui s’inquiète de la « multiplication d’actions violentes commises sur différents points du territoire national susceptibles d’être attribuées à la mouvance anarcho-autonome ». Est demandé aux parquets d’« apporter une attention particulière à tous faits (des inscriptions — tags — jusqu’aux manifestations de soutien à des étrangers en situation irrégulière) pouvant relever de cette mouvance afin d’en informer dans les plus brefs délais la section antiterroriste du parquet du tribunal de grande instance de Paris pour apprécier de manière concertée l’opportunité d’un dessaisissement à son profit ». Dans un communiqué intitulé « La Direction des affaires criminelles voit des terroristes partout » (26 juin 2008), le Syndicat de la magistrature soulignait le risque que cette circulaire pouvait faire courir, celui « de permettre une extension quasi illimitée d’une législation d’exception » et « de renforcer la répression à l’encontre des différents acteurs du mouvement social ».
Une inquiétude aujourd’hui amplement justifiée par les faits.

Nous apprenons, en effet, que Julien Coupat et Yldune Lévy, incarcérés l’un à la prison de la Santé et l’autre à Fleury-Mérogis, sont traités comme des Détenus Particulièrement Surveillés (DPS), auxquels s’appliquent des mesures de précaution liées à leur prétendue dangerosité.

C’est ainsi que, selon une révélation du Canard enchaîné du 17 décembre, « depuis un mois, à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, la nuit, toutes les deux heures, la lumière s’allume dans la cellule d’Yldune Lévy, présumée d’« ultragauche » saboteuse de caténaires SNCF. (…) Officiellement, c’est « pour la protéger d’elle-même ». En réalité, comme le concèdent des juges en privé, il s’agit d’abord d’« attendrir la viande » de cette « dangereuse terroriste ».
À la question posée par le journal Libération (11 décembre) : « Comment s’expriment leurs velléités terroristes ? », le contrôleur général Christian Chaboud, responsable de la lutte antiterroriste, a répondu : « De par leur attitude et leur mode de vie. » »
Avec l’altération des rythmes de sommeil, c’est ainsi une des méthodes de privation sensorielle utilisée à grande échelle par les forces américaines dans le cadre de la guerre contre la terreur, qui serait employée en France à l’endroit d’une personne présumée innocente. Le but est toujours le même : briser la résistance psychique du détenu. Or de telles pratiques dont la capacité destructrice est indéniable sont qualifiées, en droit international, d’actes de torture . C’est à ce titre qu’elles font l’objet d’une prohibition inconditionnelle.

Nul besoin d’entrer dans le fond du dossier ni d’être lié à la mouvance de l’ultra-gauche, pour dénoncer et condamner ces méthodes dont l’apparition et la légitimation sont inévitables dans une société où le discours de la menace et de la peur conduit à bafouer les règles de la justice ordinaire. À quoi bon s’indigner de la législation d’exception mise en œuvre par l’administration Bush à Guantanamo sur des centaines de prétendus terroristes si nous entrons à notre tour dans la même régression, serait-elle de moindre gravité, à la faveur d’un consensus plus ou moins tacite ? Au-delà de décisions de justice qui éveillent, pour le moins, notre perplexité – même si nous ne savons pas tout et qu’une certaine prudence s’impose -, au-delà du traitement carcéral réservé à ces détenus, qui sont toujours, faut-il le rappeler, présumés innocents, et qui soulève notre indignation, au-delà même du développement de l’esprit sécuritaire dont nous devons refuser les pièges parce qu’il ébranle la garantie que la démocratie doit apporter à la défense des libertés publiques fondamentales, c’est d’abord la métaphorisation de la notion de terrorisme qu’il faut rejeter absolument. Lorsque le langage cesse d’établir et de garantir notre relation de confiance avec le monde, il y a tout lieu de craindre que la société vacille dans son ensemble. La justice en particulier. Notre devoir de vigilance a dans les temps présents, ici et ailleurs, trouvé assez de raisons de s’exercer pour que nous exigions que notre démocratie demeure respectueuse des principes qui la constituent et qu’aucune forme de torture, serait-elle psychologique, ne s’exerce à l’endroit de quiconque. L’extension immodérée de la justice d’exception est une dérive dont personne ne peut désormais être assuré qu’il n’en soit un jour victime.

Article publié le 28 décembre 2008 sur Revue du MAUSS permanente

Dernier ouvrage paru : Michel Terestchenko, Du bon usage de la torture, ou comment les démocraties justifient l’injustifiable , La Découverte, 2008.