«Pendant que vous lisez ceci, le gouvernement en prend note»

Deux ans après avoir révélé l’étendue du programme de surveillance massive de la NSA, le lanceur d’alerte américain réfugié en Russie a confié une tribune à Amnesty International. «Libération», «The New York Times», «Der Spiegel» et «El País» la publient en exclusivité.

 

 

Il y a exactement deux ans, trois journalistes et moi travaillions avec fébrilité dans une chambre d’hôtel de Hongkong, attendant de voir comment le monde réagirait face à la révélation que l’Agence nationale de la sécurité (NSA) enregistrait des informations relatives à presque chaque appel téléphonique aux Etats-Unis. Les jours qui ont suivi, ces journalistes et d’autres ont diffusé des documents révélant que les gouvernements de pays démocratiques effectuaient un suivi des activités privées de citoyens ordinaires qui n’avaient rien à se reprocher.

Au bout d’à peine quelques jours, le gouvernement américain a réagi en portant plainte contre moi en vertu de lois sur l’espionnage datant de la Première Guerre mondiale. Des avocats ont indiqué aux journalistes qu’ils risquaient d’être arrêtés ou cités à comparaître s’ils retournaient aux Etats-Unis. Des politiciens se sont hâtés de condamner notre initiative, la qualifiant d’antiaméricaine, affirmant même qu’il s’agissait de trahison.

En privé, il y a eu des moments où j’ai craint que nous n’ayons mis nos confortables existences en danger pour rien – et que le public réagirait avec indifférence ou ferait preuve de cynisme face aux révélations. Je n’ai jamais été aussi heureux d’avoir eu tort.

Deux ans plus tard, la différence est profonde. En l’espace d’un mois, le programme intrusif de suivi des appels de la NSA a été déclaré illégal par les tribunaux et désavoué par le Congrès. Après qu’une enquête de la Maison Blanche a déterminé que ce programme n’avait pas permis d’empêcher une seule attaque terroriste, même le Président, qui avait plus tôt défendu son bien-fondé et critiqué la révélation de son existence, a fini par ordonner qu’on y mette un terme.

Voilà le pouvoir d’un public informé. La fin de la surveillance de masse des appels téléphoniques privés en vertu de l’US Patriot Act, une victoire historique pour les droits de chaque citoyen, n’est que la dernière conséquence en date d’une prise de conscience mondiale. Depuis 2013, des institutions à travers l’Europe ont déclaré des lois et des opérations similaires illégales et imposé de nouvelles restrictions à ce type d’activités à l’avenir. Les Nations unies ont déclaré que la surveillance de masse constituait sans ambiguïté une violation des droits humains. En Amérique latine, les efforts de citoyens brésiliens ont mené à l’adoption du Marco Civil, la première Déclaration des droits de l’Internet au monde. Reconnaissant le rôle essentiel que joue un public informé dans la correction des dérives gouvernementales, le Conseil de l’Europe a préconisé l’adoption de nouvelles lois empêchant la persécution des lanceurs d’alerte.

Au-delà du droit, les progrès ont été encore plus rapides. Des experts travaillent inlassablement afin de revoir la sécurité des dispositifs qui nous entourent, ainsi que le langage d’Internet lui-même. Des failles secrètes dans des infrastructures essentielles, qui avaient été exploitées par des gouvernements afin de faciliter la surveillance de masse, ont été détectées et corrigées. Des mesures de protection technique de base telles que le chiffrage – un temps considéré comme ésotérique et superflu – sont désormais activées par défaut dans les produits d’entreprises pionnières comme Apple, ce qui garantit que même si votre téléphone est volé, votre vie privée reste privée. De telles évolutions structurelles sur le plan technologique peuvent permettre un accès à une protection de base du droit à la vie privée au-delà des frontières, défendant ainsi les citoyens ordinaires contre l’adoption arbitraire de lois ne respectant pas la vie privée, comme celles actuellement mises en œuvre en Russie.

Si nous revenons de loin, le droit à la vie privée – socle des libertés inscrites dans la Déclaration des droits américaine – reste menacé par d’autres programmes et autorités. Certains des services en ligne les plus populaires au monde sont devenus les partenaires des programmes de surveillance de masse de la NSA, et des gouvernements du monde entier font pression sur des entreprises technologiques afin qu’elles travaillent contre leurs clients plutôt que pour eux. Des milliards de données de géolocalisation et de communications continuent à être interceptées en vertu d’autres pouvoirs, sans considération pour la culpabilité ou l’innocence des personnes concernées.

Nous avons appris que notre gouvernement affaiblit intentionnellement la sécurité fondamentale d’Internet, par le biais de «portes dérobées» qui transforment la vie privée en livre ouvert. L’interception et la surveillance des métadonnées révélant les liens personnels et centres d’intérêt d’internautes ordinaires restent d’une ampleur sans précédent : pendant que vous lisez ceci, le gouvernement en prend note.

En dehors des Etats-Unis, les chefs des services secrets en Australie, au Canada et en France ont exploité des tragédies récentes afin d’essayer d’obtenir de nouveaux pouvoirs intrusifs, malgré des preuves éclatantes que ceux-ci n’auraient pas permis d’empêcher ces attaques. Le Premier ministre britannique, David Cameron, a récemment posé la question rhétorique suivante : «Voulons-nous autoriser un moyen de communication entre les gens que nous [l’Etat, ndlr] ne pouvons pas lire ?» Il a vite trouvé sa réponse, proclamant que, «depuis trop longtemps, notre société se montre tolérante et passive, disant aux citoyens : tant que vous respecterez la loi, nous vous laisserons tranquilles». Lors du passage à l’an 2000, rares sont ceux qui auraient imaginé que les citoyens de pays démocratiques et développés seraient bientôt obligés de défendre la notion de société ouverte contre leurs propres dirigeants.

Pourtant, les rapports de forces commencent à changer. Nous assistons à l’émergence d’une génération post-terreur, qui rejette une vision du monde définie par une tragédie particulière. Pour la première fois depuis les attaques du 11 Septembre, nous discernons les contours d’une politique qui tourne le dos à la réaction et à la peur pour embrasser la résilience et la raison. Chaque fois que la justice nous donne raison, que la législation est modifiée, nous démontrons que les faits sont plus convaincants que la peur. Et, en tant que société, nous redécouvrons que la valeur d’un droit ne se mesure pas à ce qu’il cache, mais à ce qu’il protège.

 

 

 

Note à fin de non lieu – I. Remarques générales sur le réquisitoire notifié aux parties

Nous tenons dans un premier temps à dénoncer le choix du parquet de préférer la presse aux parties, et d’avoir ainsi communiqué son réquisitoire aux journalistes avant de le transmettre aux mis en examen et à leurs conseils.


Nos clients ont en effet appris par la presse le sens des réquisitions du parquet alors même que nous n’avions pas été destinataires du document dont s’agit, et que nous nous trouvions donc dans l’impossibilité de répondre à leurs légitimes interrogations. Certains journalistes, afin de nous faciliter la délicate tâche d’avoir à réagir à des arguments qui ne nous avaient pas été notifiés, ont eu l’extrême gentillesse de nous proposer une copie dudit réquisitoire dont ils étaient en possession. En fait de communication, nous ne pouvons que saluer l’honnêteté intellectuelle du parquet tendant à considérer que les mis en examen et les avocats doivent passer après la presse pour prendre connaissance d’un réquisitoire qui dénonce pourtant « l’instrumentalisation des media » par les mis en examen et « certains de leurs conseils ». Mais nous ne sommes plus à une incohérence et à une malhonnêteté intellectuelle près.


Le réquisitoire dont s’agit a effectivement cette particularité de nier totalement l’existence de pans considérables du dossier dont vous avez hérité, et notamment de tous les moyens de défense versés en procédure établissant l’absence de charges suffisantes pour renvoyer nos clients devant une juridiction de jugement. C’est un peu comme si Madame le Procureur de la République avait considéré que ce dossier pouvait sans difficulté aucune se passer de l’existence des mis en examen, faisant l’opportune économie d’essayer de répondre aux arguments de la défense. A défaut d’y répondre sur le fond, donc, Madame le Procureur de la République a préféré se contenter de les qualifier de « lutte médiatico-procédurale », de « recherche de déstabilisation », de « joutes médiatiques » et de « joutes procédurales »… La forme est toujours plus simple à manier que le fond, et nous nous excusons par avance de ne pas céder à la même facilité et au même mépris que Madame le Procureur de la République au sein de cette note à fin de non-lieu. Contrairement au réquisitoire en effet, cette note sera exclusivement consacrée aux prétendues charges pesant sur les mis en examen, charges auxquelles le parquet a daigné consacrer 7 pages sur 135, préférant diversifier ses pseudo-compétences en critique littéraire, philosophie des mouvements sectaires, ou sciences-politiques.

 

En se concentrant sur ce panel de vocations ratées, le parquet a omis de démontrer la suffisance des charges pesant sur nos clients qui pourraient justifier leur renvoi devant le tribunal correctionnel.

 

Et puis, surtout, les disparitions de certaines cotes du dossier au sein du réquisitoire établissent la difficulté du parquet à contrer ce qu’il préfère tenter d’oublier et de faire oublier… Il en est ainsi de M. Kennedy, grand absent de ce réquisitoire, qui a pourtant eu un rôle prépondérant dans la construction intellectuelle de cette affaire. Madame le Procureur de la République n’a même pas essayé de balayer avec mépris et d’un revers de main cet élément à charge d’une si haute importance, préférant faire comme si M. Kennedy, tout comme les moyens de défense exposés par nos clients pendant près de sept années, n’avait jamais existé au sein de cette enquête et de cette instruction. Rappelons ici que seuls les mis en examen ont permis de révéler l’existence de cet agent pour le moins sulfureux dont le Parquet aurait évidemment préféré qu’elle reste dissimulée. Et c’est la raison pour laquelle nous nous autorisons à évoquer la malhonnêteté intellectuelle d’un tel réquisitoire.

 

A M. Kennedy, Madame le Procureur de la République a préféré M. Bourgeois, témoin à charge d’une fiabilité hors pair et dont les allégations ponctuent une grande partie du réquisitoire qui nous est soumis. Tout a été écrit, dénoncé, et reconnu concernant M. Bourgeois, et nous n’allons pas répéter ce qui est d’ores et déjà acté au dossier. Nous regrettons simplement la défiance des acteurs judiciaires pendant des années concernant un témoin aussi fiable et crédible que celui-ci venant au secours du parquet à le confronter à nos clients. Mais nous restons persuadés que le parquet, qui ose asseoir sa pseudo-démonstration sur un tel témoin, ne manquera pas de le faire citer à l’audience en cas de renvoi devant le tribunal correctionnel pour apporter un peu plus de crédibilité à ce personnage qui n’en manque pas…

 

Si M. Bourgeois avait été un témoin à décharge entendu à la demande de la défense dans ce dossier, le parquet n’aurait pas manqué de consacrer plusieurs pages de son réquisitoire à mettre en exergue l’absence totale de crédibilité d’un tel témoin, aurait raillé sa personnalité, ses fragilités psychologiques, et se serait fait un immense plaisir de réduire en miettes son témoignage. Le phénomène Bourgeois, comme le phénomène « carte bancaire d’Yildune Lévy » sur lequel nous reviendrons, est tout simplement emblématique de la déloyauté que ponctue cette enquête et cette instruction.

 

Nous nous efforcerons de notre côté, toujours dans l’hypothèse d’un renvoi, de combler les lacunes d’un parquet décidément amnésique : nous inviterons ainsi à l’audience, d’une manière ou d’une autre, M. Kennedy au bon souvenir du parquet, et interrogerons avec précision M. Bourgeois, bien évidemment cité comme principal témoin à charge par le ministère public.


Cette amnésie se propage au sein du réquisitoire, et tout particulièrement lorsque Madame le Procureur de la République évoque le départ forcé de M. Fragnoli le 27 mars 2012 (page 114). Il est en effet relaté que ce magistrat instructeur a été contraint de solliciter son dessaisissement à la suite de « la parution depuis trois ans de nombreux articles de presse, dont certains mettaient en cause son impartialité ». Ce que le parquet omet de préciser est qu’en réalité, M. Fragnoli était à l’époque visé par une requête en récusation consacrée à la rédaction par ses soins d’un mail en date du 12 mars 2012 à l’attention de plusieurs journalistes qu’il qualifiait d’ « amis de la presse libre, je veux dire celle qui n’est pas affiliée à Coupat/Assous ». Rien de moins.

 

Que le parquet juge peu reluisante la référence explicite à de tels épisodes qui n’ont pas manqué de ponctuer et de polluer toute l’instruction n’est pas surprenant, mais qu’il soit obligé de tronquer la réalité du cours de cette procédure en passant sous silence ce qui le dérange relève, nous le répétons, d’une certaine malhonnêteté intellectuelle.

 

La construction du réquisitoire qui nous est soumis répond de surcroît à une logique d’une grande singularité puisque sont développés sur 120 pages les éléments qui ne seront finalement pas retenus à l’encontre de nos clients.

 

Ce malheureux document est un florilège de sophismes, de syllogismes, d’affirmations d’autorité. Il est, finalement, l’aveu ultime de l’impuissance du parquet à articuler le moindre commencement de preuve de la suffisance des charges après sept années d’une construction intellectuelle acharnée.

 

Le parquet fait ainsi longuement référence à des opérations financières qui n’ont jamais fait l’objet de poursuites ou d’investigations particulières au sein de la présente information ; à des signalements TRACFIN qui n’ont donné lieu qu’à des décisions de classement sans suite ; à des « actions de basse intensité » définies comme « des attaques contre l’ANPE » pour lesquelles « les investigations ne permettaient pas d’en identifier les auteurs » ; à des dégradations du réseau ferré qui ne sont pas retenues à l’encontre de nos clients ; au contenu d’un livre qui n’a jamais fait l’objet de poursuites judiciaires ; à des exploitations vidéo aux Etats-Unis qui n’amenaient « aucun élément utile » ; à des manifestations de soutien aux mis en examen qui leur étaient directement imputés comme éléments à charge ; à des contacts britanniques, italiens, allemands et grecs pour lesquels, de l’aveu même du parquet, aucun élément à charge sérieux ne pouvait être mis en exergue ; à des auditions et placement en garde à vue de forgerons ou de baby sitters dont le seul intérêt a été de ridiculiser un peu plus l’information en cours ; à la découverte d’instruments de sabotage parfaitement étrangers aux faits dont vous êtes saisie ; à des surveillances, des vidéo-surveillances et des écoutes téléphoniques vaines mais obstinées et parfois illégales ; à la participation de certains mis en examen à des manifestations au sein desquelles ils « entonnaient dans un mégaphone une chanson contestataire » ; à des sonorisations de parloir n’ayant servi qu’à porter atteinte aux libertés fondamentales ; à « l’invention » d’une découverte de tubes parfaitement fantasque ; et à une prétendue activité de faussaire dont il ne reste plus grand-chose… Quant aux infractions relatives au refus des mis en examen de se soumettre à des prélèvements biologiques, force est de constater qu’elles ne sauraient être constituées, puisqu’il n’existait aucun « indices graves ou concordants » ou « raisons plausibles de soupçonner » la commission d’infraction lorsque les prélèvements ont été sollicités.

 

Cet inventaire « à la Prévert » constitue en réalité l’inventaire de toutes les déloyautés dont cette enquête et cette information ont fait preuve. De la mise en place d’écoutes administratives inattaquables grâce à l’opportun secret-défense, à la prodigieuse loufoquerie d’une « surveillance » derrière laquelle le parquet ose encore se retrancher (D 104) ; il n’y a finalement rien de surprenant à ce que le parquet se contente de caresser son obsession de voir les mis en examen renvoyés devant un tribunal correctionnel au sein d’un réquisitoire vide de toute substance. Ce réquisitoire est et restera la conséquence mécanique de sept années de déloyauté judiciaire.

 

Plus grave encore, la dérive consistant à forger la conviction de l’intention terroriste à partir d’un écrit (qui, rappelons-le une fois encore, n’a jamais fait l’objet de poursuites) relève d’une tradition juridique sinon politique qu’on aurait souhaité voir reléguée au temps passé. Instrumentaliser à ce point un livre pour tenter d’asseoir l’élément intentionnel d’une infraction à caractère terroriste est une régression. La sinistre démonstration du parquet est la suivante : l’écrit fait l’intention, l’intention fait l’action, et la preuve de la suffisance des charges découle donc sans difficulté aucune de l’écrit en question. Nous ne pouvons douter qu’un magistrat instructeur indépendant et impartial écartera sans ménagement un parti-pris qui, non seulement déshonore son auteur, mais risquerait d’éclabousser toute l’institution judiciaire.

 

Dans le cadre de cette note à fin de non-lieu, nous nous contenterons donc de répondre point par point au peu d’éléments à charge que le parquet a tenté de mettre en exergue au sein de son réquisitoire. Et dans la mesure où Madame le Procureur de la République a été frappée de cécité à chacune des observations écrites, demandes d’actes ou requêtes de la défense actées en procédure, nous l’aiderons à prendre connaissance des cotes précises auxquelles il aurait pourtant été utile de répondre pour asseoir sa pseudo-démonstration.

 

Pendant sept années, la défense a en effet multiplié les demandes d’actes et observations écrites (qualifiées de joutes procédurales à tendance terroriste) sans qu’il en soit tenu compte, et il n’est plus temps, à ce stade de la procédure, de nous faire accroire que l’instruction a été menée à charge et à décharge. Car s’il n’est plus à démontrer que M. Fragnoli a instruit à charge contre nos clients pendant près de cinq années, aucun acte d’instruction digne de ce nom, si ce n’est l’interrogatoire de Mme Lévy, n’aura été diligenté par votre cabinet depuis votre saisine.

 

Mais nous ne doutons pas qu’à l’unisson avec le parquet, vous expliquerez que cette inertie n’était due qu’à la folie procédurière de nos clients qui ont osé porter l’authenticité de la cote D 104 devant un magistrat instructeur du Tribunal de Grande Instance de Nanterre, allant jusqu’à terroriser la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Versailles en interjetant appel d’une ordonnance de non-lieu…

 

Nous constatons à ce stade qu’aucune demande d’acte ou presque n’a été acceptée dans le cadre de cette instruction, qu’il s’agisse de demandes de reconstitutions, de confrontations avec les témoins, d’investigations complémentaires ou de jonctions de procédure. Et ce mur réfractaire à toutes mesures d’instruction à décharge s’est illustré à maintes reprises dans des arguments d’une particulière mauvaise foi… C’est ainsi que, à titre d’exemple, si la carte bancaire d’Yildune Lévy, dont l’exploitation a nécessité des années d’investigations contrairement aux autres, a été utilisée à Paris à une heure où les policiers attestaient de sa présence à Trilport, c’est qu’elle avait été confiée à l’un de ses proches… Mais si la carte bancaire d’Yildune Lévy avait été utilisée à Trilport à l’heure où les policiers ont affirmé avoir constaté sa présence lors de leur surveillance, nul doute que personne n’aurait osé affirmer, pas même la défense (aussi terroriste et de mauvaise foi puisse-t-elle être), qu’Yildune Lévy l’avait tout simplement confiée à un tiers… Cette anecdote est finalement révélatrice non pas d’une défense terroriste mais d’une défense interdite et impossible, que seule une instruction anti-terroriste exclusivement à charge peut et sait mener à bien.

 

Il n’est donc plus temps aujourd’hui de répéter ce qui, de toute façon, ne sera ni entendu ni pris en considération dans le cadre de la présente information. Nous nous contenterons de répondre aux pseudo-arguments du parquet en quelques lignes et en renvoyant à toutes les cotes de ce dossier établissant l’absence de charge à l’encontre de nos clients, cotes qui n’ont visiblement jamais été lues par le parquet.

 

Enfin, et dans la mesure où nos clients – malgré un renversement de charge de la preuve flagrant, ont parfaitement démontré tout au long de l’information qu’aucune charge sérieuse ne pouvait être retenue à leur encontre concernant les infractions visées au sein du réquisitoire, nous ferons l’économie de développer l’absurdité de la qualification retenue à l’encontre de trois des mis en examen dont le renvoi est sollicité pour « participation à un groupement formé (…) en vue de la préparation caractérisée (…) d’un des actes de terrorisme mentionnés à l’article 421-1 du code pénal ».

 

Si l’institution judiciaire ose confirmer que la participation à des rencontres et des manifestations politiques en France ou hors de nos frontières conjuguée à des choix de modes de vie plus isolés que d’autres et au contenu d’un livre philosophique n’ayant jamais fait l’objet de poursuites sont trois critères à même de caractériser la qualification terroriste d’une infraction ; elle devra l’assumer pleinement dans le cadre d’une audience publique consacrée non pas aux prétendues charges pesant sur nos clients, mais au délit d’opinion et à l’instrumentalisation politique de l’institution judiciaire dans toute sa splendeur.

Note à fin de non lieu – A. Du postulat selon lequel nos clients feraient partie d’un « groupe d’activistes à l’idéologie subversive » sur lequel se fonde le Parquet en son réquisitoire

L’un des postulats de départ de ce dossier est celui des services de renseignement français selon lequel Julien Coupat et Yildune Lévy se sont rendus à pieds aux Etats-Unis, et auraient participé à une réunion avec des militants politiques locaux. Et d’en conclure, plus de sept années plus tard, que nos clients font donc partie d’ « un groupe d’activistes à l’idéologie subversive »…

 

Deux policiers sont à l’origine des renseignements de ce type, ayant conduit à l’ouverture de l’enquête préliminaire pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste contre nos clients. Leur crédibilité a été passablement remise en question par des éléments d’information difficilement contestables.

 

Le premier, Mark Kennedy, était un agent anglais infiltré. Il est actuellement poursuivi pour viol en Angleterre et au moins deux condamnations de groupes d’activistes ont été annulées suite aux révélations de la presse anglaise consacrées au caractère affabulatoire de ses prétendus rapports d’information.

 

Le second se nomme Christian Bichet et travaillait pour la DCRI. Il est actuellement poursuivi pour diffamation par l’un de nos clients. Sa probité a été remise en question par divers organes de presse après qu’il ait contacté des journalistes et des chercheurs en se faisant passer pour l’ami de nos clients, afin de leur imputer des faits à tout le moins fantaisistes dont nous épargnerons ici l’énumération. M. Bichet tenait par ailleurs sept blogs sur internet dont l’unique objectif était de nuire à nos clients, et n’a pas hésité, sous couvert d’anonymat, à leur transmettre des messages écrits inquiétants.

 

    La défense a fourni des éléments de preuve démontrant le rôle prépondérant de l’agent étranger Mark Kennedy dans l’ouverture de l’enquête préliminaire (D2372). C’est ainsi qu’au sein de documents émanant de procédures anglaises, il apparaît clairement que M. Kennedy était mandaté pour surveiller nos clients ;

       La défense a fourni toute une documentation (D2372) remettant en cause la probité du travail de surveillance effectué par M. Mark Kennedy dans divers pays européens, et notamment des coupures de presse de grands quotidiens anglais, américains et allemands ;

      La défense a démontré que le raisonnement des enquêteurs de la SDAT et du premier magistrat instructeur en charge de cette information, M. Fragnoli, quant à la participation de Julien Coupat et Yildune Lévy à une « réunion anarchiste » à New York, n’avait d’autre but que de dissimuler aux mis en examen l’origine des renseignements en question. En effet, contrairement à ce que l’enquête préliminaire a cru pouvoir présenter comme une certitude, les documents retrouvés dans un sac de Julien Coupat ne permettaient aucunement de déduire sa participation à une réunion anarchiste du 10 au 15 janvier 2008 ;

       La défense a communiqué au cours de l’instruction divers documents et rapports rédigés par M. Christian Bichet, mettant en exergue les pratiques déloyales de ce dernier et sa détermination à construire une trame narrative conforme à son postulat de départ (D2545) ;

       La procédure de céans s’est trouvée constamment « irriguée » de renseignements insusceptibles de contradictions, renseignements d’autant plus déloyaux que leur genèse n’a jamais pu clairement être établie.

 

Saisi de ces éléments d’information nécessitant des actes d’instruction complémentaires, le magistrat instructeur:

 

       a refusé à trois reprises de réclamer aux services compétents le dossier de renseignement concernant nos clients, et à partir desquels l’enquête les visant a été ouverte et s’est construite ;

      a refusé que soit entendu le supérieur hiérarchique de Mark Kennedy afin de comprendre les raisons qui ont conduit ce dernier à surveiller nos clients alors même qu’une enquête judiciaire était ouverte en France ;

     a refusé d’entendre M Calvar, directeur de la DGSI, afin qu’il apporte toutes précisions utiles sur le rôle des services de renseignement dans l’enquête judiciaire, son ouverture et sa construction ;

        a refusé de diligenter tout acte d’instruction permettant l’identification de l’adresse IP de Mr Christian Bichet ;

        a refusé purement et simplement l’audition de Mr Christian Bichet, ne serait-ce que sur commission rogatoire ;

a refusé de solliciter communication de la liste des policiers de la DCRI présents lors de l’opération policière du 11 novembre 2008.

Note à fin de non lieu – B. Sur le principal « témoin à charge » sur lequel se fonde le réquisitoire

Jean-Hugues Bourgeois, anciennement témoin anonyme, est le seul et unique témoin à charge et semble, en cette qualité, parfaitement contenter l’accusation. Tout au long de l’instruction pourtant, la défense a démontré les incohérences et contradictions entre ses diverses interventions sur procès-verbal et hors procès-verbal, M. Bourgeois se laissant aller à exposer ses précieuses informations aux media.

 

Le témoignage du « témoin 42 » (D 43) est ainsi radicalement opposé à celui acté en procédure par les services de police (D 978), lorsque M. Bourgeois quitte son statut tant protecteur de témoin anonyme. Lors de sa première audition en date du 14 novembre 2008, le témoin numéro 42 se révèle un témoin idéal pour l’accusation, pour finalement assurer un mois et demi plus tard sous sa véritable identité, ne pas connaître les projets idéologiques des mis en examen.

 

Le 11 novembre 2009, M. Bourgeois expliquait à un journaliste de TF1 que sa déposition sous X lui avait été expressément demandée par les policiers de la SDAT, alors qu’il n’avait, en réalité, aucune déclaration à faire. M. Bourgeois confirmait enfin aux journalistes avoir reçu des pressions lors de ce témoignage et être resté « 9 heures » avec les policiers.

 

Le 26 novembre 2009, devant un juge d’instruction pressé de mettre un terme à ce cafouillage inquiétant pour la crédibilité de son information, M. Bourgeois refusait de s’exprimer sur les conditions dans lesquelles son témoignage anonyme avait été recueilli, et confirmait les pressions exercées à son encontre sans toutefois que le magistrat ne parvienne à en élucider l’origine (D 1431).

 

Interrogé une seconde fois par TF1 suite à son audition devant le juge d’instruction, Mr Bourgeois, en présence de son conseil, s’est contenté d’assurer qu’il avait confirmé au juge sa qualité de témoin anonyme tout en dénonçant l’inauthenticité des propos qu’il aurait tenus à l’encontre de nos clients.

 

Pour parfaire l’absence totale de crédit pouvant être apporté à ce témoignage prétendument à charge, il conviendra de se référer au témoignage de l’adjudant Droulle devant le magistrat instructeur, et de prendre connaissance de la cinquième et dernière version des faits relatée par M. Bourgeois à l’occasion d’une pseudo-enquête préliminaire diligentée pour subornation de témoins.

 

La défense a informé les différents magistrats instructeurs en charge de cette instruction des péripéties judiciaires rencontrés par M. Bourgeois, péripéties relatés dans de nombreux articles de presse. Que le parquet choisisse ainsi de passer sous silence dans son réquisitoire la mise en examen de son principal témoin à charge pour dénonciation de délits imaginaires prête franchement à sourire. Et que dire des pièces versées en procédure, confirmées par le témoignage de l’adjudant Droulle, venant étayer les soupçons pesant sur M. Bourgeois selon lesquels celui-ci aurait incendié sa propre grande, abattu son propre troupeau, avant de rédiger et de s’adresser une lettre de menaces de mort qu’il n’a pas manqué de brandir aux journalistes venus s’enquérir du drame qui le frappait…

 

Dans son réquisitoire Madame le Procureur de la République ose pourtant dénoncer les tentatives de la défense de « décrédibiliser » ce malheureux témoin. Mais comment peut-on sérieusement nous reprocher de faire état d’éléments établissant sans conteste l’instrumentalisation de l’évidente fragilité psychologique du seul témoin à charge de l’accusation ? N’était-il pas plus digne, pour la sérénité des débats, d’admettre que les déclarations de M. Bourgeois ne pouvait décemment pas être prises en considération, qu’elles soient à charge ou à décharge ?

 

La défense s’est une nouvelle fois heurtée, malgré l’évidence du bien-fondé de ses demandes, aux refus des magistrats instructeurs successifs d’investiguer plus avant sur ledit témoin et les conditions dans lesquelles ses témoignages ont été recueillis :

 

       trois confrontations et deux auditions en présence des conseils des mis en examen ont été sollicités en vain au cours de l’instruction ;

       à deux reprises, une confrontation entre l’adjudant Droulle et M. Bourgeois a été sollicitée ;

       a été également sollicitée et refusée l’audition de M. Fragnoli sur les conditions insolites dans lesquelles l’audition de M. Bourgeois a été décidée par ses soins, aux seules fins de contrecarrer ses déclarations sur la chaîne de télévision TF1 ;

       le versement pour information de la procédure judiciaire visant M. Bourgeois des chefs de destruction par incendie volontaire, menaces de mort, du délit prévu à l’article R 655-1 du code pénal etc… a également été refusée au cours de l’instruction, tout comme la demande de nos clients tendant à être informés de l’état d’avancement de ladite procédure (D 2363).

 

C’est ainsi qu’à l’exception de la jonction d’une expertise psychologique de M. Bourgeois, toutes les demandes d’actes sollicitées par la défense ont sur ce point été refusées. La définition minimaliste du débat contradictoire s’illustre parfaitement, à titre de simple exemple, dans le fait de de reprocher à la défense de tenter de « décrédibiliser » un témoin sur la foi d’articles de presse tout en lui refusant le versement au dossier des pièces judiciaires auxquels lesdits articles font référence…

 

Tout ceci révèle surtout la crainte ô combien légitime du parquet de devoir assumer jusqu’au bout l’inquiétante légèreté de son unique témoin à charge. Mais nous avons parfaitement conscience que l’accusation ne peut, finalement, se payer le luxe d’évincer M. Bourgeois et ses failles de sa démonstration puisque, quelle que soit la fragilité de ce témoin, il demeure malgré tout le pivot de ce réquisitoire aussi laborieux que les éléments à charge qu’il est censé porter.

 

Note à fin de non lieu – C . Sur le livre « L’insurrection qui vient »

« L’insurrection qui vient » est un livre subversif. Et ce qui le différencie des dizaines de milliers d’autres publiés depuis Héraclite, c’est la publicité dont il a bénéficié et à laquelle le parquet de Paris a malgré lui contribué. Sa pertinence a par ailleurs été reconnue par de nombreux intellectuels et universitaires, et son contenu est enseigné entre autres endroits, dans les Université de Yale, New-York, Los Angeles, Berlin, Madrid, Paris et Séoul. Il a enfin été traduit en espagnol, coréen, russe, farsi, hébreu, arabe, letton, lithuanien, anglais, catalan, italien, japonais, chinois, allemand, hollandais, portugais, polonais, tchèques, suédois, danois et serbe. Sa suite, intitulée « À nos amis » et signée du même Comité Invisible, a paru en novembre 2014 et bénéficie de critiques élogieuses dans la presse spécialisée (Le Monde, Libération, Mediapart, Les Inrocks, Rue89, etc.). Et comme il l’a d’ores et déjà étét développé en introduction de cette note, nous ne discuterons pas ici des qualités d’analyste politique ou de critique littéraire de Madame le Procureur de la République. En notre qualité d’auxiliaires de justice, nous préférons laisser les débats littéraires, philosophiques et socio-politiques en dehors des débats judiciaires, surtout lorsqu’ils interviennent dans le cadre d’une instruction anti-terroriste où l’écrit est convoqué par le parquet comme témoin à charge.

 

Par contre, il n’aura pas échappé au magistrat instructeur que l’attribution de la paternité du livre « L’insurrection qui vient » à Julien Coupat n’a reposé pendant plus de sept années que sur le témoignage anonyme de M. Bourgeois et sur des interprétations farfelues d’interventions télévisuelles ou radiophoniques. 

 

Note à fin de non lieu – D. Sur les sabotages de caténaires et la surveillance D 104

Le procès-verbal de filature D104 qui rapporte les observations faites par les agents de la SDAT dans la nuit du 7 au 8 novembre a été extensivement analysé, décortiqué et discuté par la défense comme par les policiers eux-mêmes à travers leurs diverses explications au sein de la procédure de céans, ainsi que dans le cadre d’une information judiciaire instruite au Tribunal de Grande Instance de Nanterre des chefs de faux en écriture publique. Un certain nombre de contradictions ont été relevées au fil de l’enquête et des explications successives des policiers présents lors de la surveillance. Ayant été exposée à de multiples reprises, nous nous contenterons d’en faire une liste non-exhaustive :

 

        les horaires de la filature exposés au sein du procès-verbal sont incompatibles avec la réalité spatio-temporelle des lieux ;

        la description des routes empruntées n’est pas compatible avec la réalité géographique des lieux. A titre d’exemples, les policiers décrivent des ponts là où se trouvent des tunnels, ou inventent des directions et des signalétiques contraires à la géographie de la zone ;

        les traces de pneus et de pas relevés par la gendarmerie ne correspondent ni à ceux de la Mercedes ni à ceux de M. Coupat ;

        les policiers expliquaient enjamber un grillage qui mesure au moins deux mètres de hauteur ;

        la description du lieu où aurait été stationnée la Mercedes a varié à trois reprises ;

        l’accusation demeure persuadée à ce stade que deux tubes de PVC de 2 mètres chacun ont été achetés par Julien Coupat et Yildune Lévy, avant d’être déposés en travers de l’habitacle de leur véhicule, transportés, extraits du véhicule pour déposer les fers à bétons, remis en travers de l’habitacle, sortis du véhicule, et enfin jetés dans la Marne… Tout cela sans qu’un seul des dix-huit policiers présents sur les lieux ne les ait remarqués.

        l’enregistrement de la communication entre la police ferroviaire et le poste de sécurité de la SNCF visant à les avertir de la possibilité d’un sabotage n’a accidentellement et fort opportunément pas fonctionné (D629, D1606);

        les employés de la SNCF n’ont été informés d’une difficulté sur la ligne de chemin de fer que le lendemain à 9H55 heures. « Ouais, à 5 heures ! Il est temps qu’ils se réveillent, ils nous appellent 5 heures après mais bon… » (D633, D1606)

        un policier de la SDAT chargé de l’enquête a déclaré au journaliste David Dufresnes, sous couvert d’anonymat  « Nous, on était sur le train Castor. Et il ne passait pas par là… En fait, on va apprendre les sabotages des caténaires par France Info… Et là on pige ce qui s’est passé. » ;

        Stéphane Velpry, officier de la SDAT, prétend être resté stationné à proximité du lieu supposé des sabotages au moment même où il rédigeait un autre procès-verbal au siège de la DCRI à Levallois-Perret ;

        Yildune Lévy a utilisé sa carte bleue dans le centre de Paris au moment où les policiers prétendent l’observer en Seine-et-Marne ;

        Les policiers prétendent avoir débuté la surveillance de la Mercedes de M. Coupat à 10H30 du matin, mais ce n’est qu’11 heures et 20 minutes plus tard qu’ils seraient parvenus à identifier la cible de leur filature en la personne de Julien Coupat ;

        Arnaud Lambert assure dans un procès-verbal que la totalité de son effectif s’est rendu au Trilport afin de fouiller une poubelle et d’en extraire un emballage de lampe frontale, tandis que les dix-sept autres policiers composant le dispositif de surveillance affirment ne pas avoir participé à cet événement ;

        selon leurs déclarations, MM Mancheron et Lambert étaient tous deux, au même moment, les conducteurs du même véhicule ;

        M. Mancheron affirme avoir effectué seul une approche piétonne du lieu des sabotages puisque, dit-il, le reste du dispositif avait perdu le contact visuel avec le véhicule supposément filé. Pourtant, les agents A5 et A11, situés à d’autres points du dispositif, certifient avoir accompagné M. Mancheron. De même, trois autres policiers (A9, A01, A4) déclarent avoir vu le véhicule stationné, contredisant là encore les explications de MM Lambert et Mancheron ;

        l’agent A 01 de la DCRI précise qu’à partir de 4H20 du matin, il suivait la Mercedes jusqu’à son retour dans Paris tout en procédant, au même moment, à l’examen des voies à Dhuisy, et en étant témoin d’un arc électrique à 5H10 ;

        l’agent A5 fait coïncider la visualisation du véhicule à 4H20 et l’examen des voies à 5h. A l’arrivée du train, il assure s’être dissimulé derrière un cabanon, oubliant qu’officiellement, la Mercedes avait quitté la zone depuis 50 minutes. Il concédait ne pas comprendre le déroulé supposé de la surveillance ;

        l’agent A8 précisait s’être dissimulé de la vue du train lorsque celui-ci était passé, pensait que la filature consistait à surveiller les voies, et précisait ne pas comprendre le déroulé supposé de la surveillance ;

        L’agent A7 assurait quant à lui avoir quitté le dispositif à la levée du jour, soit à 7H57, c’est-à-dire plus de deux heures après le départ officiel de ses collègues ;

        L’agent A12 prétendait quitter le dispositif policier à 3H30 tout en assurant être toujours sur les lieux à 5H50 ;

        L’agent A1, qui confirmait avoir participé à cette filature, assurait pourtant n’avoir jamais aperçu la voiture filée pas plus que ses passagers…

 

S’agissant des dégradations commises dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008 à VIGNY, les services de police ont effectivement réussi à démontrer que Julien Coupat et Gabrielle Hallez avaient passé le weekend chez les parents de cette dernière et se trouvaient, comme plusieurs centaines de milliers d’autres français et allemands à moins de 2 heures de routes des lieux des dégradations.

 

Au vu de ces éléments et des dizaines d’autres que nous ne prendrons pas la peine sur surajouter à la présente, la défense a réclamé :

 

        l’audition des fonctionnaires de police ayant rédigé le PV 104 ;

        l’audition de M. Velpry afin qu’il explique son don d’ubiquité ;

        la communication du registre des entrées et sorties des locaux de la SDAT afin de savoir si M. Velpry était en Seine-et-Marne comme il l’atteste ou dans son bureau comme il le consigne sur Procès-Verbal. ;

        l’audition des agents ayant pris part à la filature ;

        la reconstitution de la filature afin de confronter la réalité géographique des lieux avec les déclarations des policiers présents lors de la surveillance ;

        un déplacement sur les lieux supposés du sabotage en présence des policiers ;

        l’audition de M. Dufresne, afin qu’il confirme les propos de l’agent de la SDAT affirmant que son service n’avait fait le rapprochement entre ces sabotages et nos clients que le lendemain matin des faits dont s’agit, en écoutant la radio ;

        l’audition des policiers ayant saisi les effets personnels de Mme Lévy ;

        l’audition du directeur de la DGSI tendant à affirmer ou infirmer la classification « secret défense » des informations sollicitées, ayant conduit les fonctionnaires interrogés et agissant sous son commandement à refuser de répondre aux questions posées ; etc…

 

 Toutes ces demandes d’actes ont été purement et simplement rejetées, et la plainte avec constitution de parties civiles instruite au Tribunal de Grande Instance de NANTERRE des chefs de faux en écriture publique a bien évidemment fait l’objet d’une ordonnance de non-lieu, confirmée par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel. Les péripéties de cette information judiciaire, marquée par l’impossible manifestation de la vérité sous couvert d’un opportun secret-défense, feront très probablement l’objet de discussions en audience publique, dans l’hypothèse d’un renvoi de nos clients devant une juridiction de jugement. A ce stade, nous nous contenterons de constater que le dépôt de cette plainte avec constitution de parties civiles est bien évidemment lié à l’impossibilité pour nos clients de pouvoir contester l’authenticité de la dite surveillance dans le cadre de la procédure de céans, toutes leurs demandes d’actes en ce sens ayant été rejetées.

 

Il aurait pourtant suffi d’ordonner la transmission des registres d’entrées et de sorties des fonctionnaires de la SDAT dans les locaux de LEVALLLOIS PERRET pour que toute la lumière soit faite sur cette surveillance sujette à caution. .Qu’elle ait été refusée démontre, une nouvelle fois, l’appréhension de l’autorité poursuivante et des magistrats instructeurs de voir toute un pan d’instruction s’effondrer.

 

Il était pourtant aisé, dans le cadre de cette information, de mettre un terme à ce que le parquet dénonce comme des « tentatives de déstabilisation » en faisant droit aux demandes d’actes d’instruction complémentaires de la défense et en constatant que lesdits actes d’instruction complémentaires confirmaient la bonne foi des policiers présents sur les lieux de surveillance. Mais, encore une fois et pour cause, un tel risque n’a pas été pris, et c’est à l’accusation de s’en défendre.

Note à fin de non lieu – III. Conclusion

Il n’existe pas de charges suffisantes pour renvoyer nos clients devant une juridiction de jugement, et le réquisitoire, dans sa construction et son propos, en est la preuve flagrante.

 

Madame le Procureur de la République, parce qu’elle est bien en peine de se concentrer sur des charges dignes de ce nom, préfère parsemer son réquisitoire de quelques saillies s’apparentant à des manifestations d’opinion ou des tentatives de dénigrement personnel, que nous ne pouvons faire semblant d’ignorer. Le choix du vocabulaire du parquet démontre avant tout le peu d’objectivité dont il fait preuve dans son analyse : il s’attache davantage à tenter de dénigrer ce que représentent les mis en examen aux yeux d’un parquet dont l’animosité est flagrante, qu’à rassembler les charges suffisantes justifiant leur renvoi devant une juridiction pénale. Nous avons eu en réalité le sentiment, à la lecture de ce document, d’un règlement de comptes dénué de toute velléité juridique et judiciaire.

 

Il suffira pour s’en convaincre de lire attentivement les passages du réquisitoire consacrés à Mme Lévy et au déroulement de sa garde à vue, ou ceux faisant référence à la mère d’une des mises en examen, Mme Hallez, aujourd’hui décédée.

 

La violence avec laquelle les interpellations ont été diligentées dans le cadre de ce dossier et leur médiatisation à outrance répondant à des impératifs politiques auraient dû conduire le parquet à faire preuve d’un peu d’humilité et de discrétion, et à passer sous silence certains traitements peu reluisants auxquels ont eu droit les mis en examen et leur entourage.

 

Evoquer avec élégance les « pseudo-malaises » ou la « simulation de faiblesse psychologique » d’Yildune LEVY au cours de sa garde à vue démontre avant tout le besoin farouche et peu rassurant du parquet de « déshumaniser » les mis en examen, dont l’image doit nécessairement répondre aux impératifs d’une qualification terroriste, et son constant souci de légitimer le coup de force procédural et médiatique du mois de novembre 2008.

 

Le parquet persiste par ailleurs à exploiter les déclarations de la mère d’une des mises en examen, alors âgée de 64 ans, professeur de mathématiques retraitée, placée en garde à vue pendant 58 heures et auditionnée à sept reprises dans des conditions inqualifiables.

 

Cette femme, rongée par cette interpellation et cette procédure jusqu’à son décès, a dû répondre d’accusations à peine déguisées sur la façon dont elle avait élevé ses enfants, ses pensées et opinions, ses activités militantes à RESF par exemple, mais surtout sur la vie privée de sa fille et les relations qu’elle pouvait entretenir avec elle depuis la survenance d’un grave accident particulièrement traumatisant. Cette intrusion violente et indécente dans l’intimité de Mme Hallez n’avait d’autre but que de recueillir des éléments à charge contre sa propre fille, dans un contexte douloureux sur lequel le parquet devrait avoir la décence de ne pas s’étendre. Que le magistrat instructeur ait décidé de poursuivre cette entreprise de déstabilisation en usant à l’encontre de Mme Hallez des mêmes techniques d’interrogatoire dans son cabinet est une chose, que le parquet persiste à exploiter cet épisode outrageant pour la justice à ce stade de la procédure en est une autre. Et, par décence, nous remercions le parquet de ne plus convoquer les mères de famille décédées et malmenées par la brutalité d’une interpellation et l’indécence des questions posées, pour asseoir tels ou tels points de sa tentative de démonstration.

 

Ce qui est finalement le plus clairement reproché à nos clients au sein de ce réquisitoire est de s’être défendus et de continuer à se défendre (« joutes procédurales et médiatiques » comprises), alors que tous les moyens ont été mis en œuvre pour les en empêcher.

 

Une défense digne de ce nom implique le respect du principe du contradictoire, principe qui ne peut être efficient qu’à deux conditions : l’existence d’éléments tangibles reprochés à un mis en cause qui est donc en mesure d’y répondre concrètement, et sur lesquels se fonde un véritable raisonnement juridique ; et la possibilité pour ce même mis en cause d’obtenir des mesures d’instruction mettant en exergue ses moyens de défense. En l’occurrence, les mis en examen de ce dossier ont été privés de ces deux éléments pendant sept années : toutes leurs demandes d’actes ou presque ont été rejetées, et les éléments auxquels ils sont censés apporter une réponse juridique et judiciaire relèvent du délit d’opinion et d’une construction déloyale étrangère au droit pénal et à la procédure pénale.

 

Si la dénonciation d’une instruction « exclusivement à charge » peut parfois être perçue comme un artifice d’avocats, personne ne peut affirmer en l’espèce que ce dossier a également été instruit à décharge et que les mis en examen ont pu, librement, se défendre des accusations portées à leur encontre. Priver nos clients de tous leurs moyens de défense en allant jusqu’à nier leur existence au sein d’un réquisitoire n’était pas suffisant ; il leur est aujourd’hui reproché de ne pas avoir immédiatement abdiqué et de ne pas avoir, finalement, aidé l’accusation à se sortir du marasme dans lequel elle s’est vite retrouvée malgré les moyens considérables qui ont été les siens.

 

Selon le réquisitoire, certains mis en examen ont ainsi trop facilement repéré les surveillances dont ils faisaient l’objet ou n’auraient pas dû noter les numéros d’immatriculation des véhicules de la SDAT qui les suivaient : cela démontre en effet aux yeux du parquet non pas que les policiers en charge desdites surveillances sont incompétents mais que nos clients sont de grands professionnels roués à déjouer les surveillances les plus invisibles de l’élite policière française. Dont acte.

 

Et puis surtout, les mis en examen emploient finalement peu ou prou des méthodes terroristes pour se défendre :

« Faire confondre l’exercice de la liberté politique et l’action terroriste comme les mis en examen ont tenté de le faire afin de se victimiser, relève d’un mode de défense qui ne saurait emporter la conviction tant il est convenu et commun à l’ensemble des groupes terroristes quelque que soit leur importance ».

 

Et voilà comment le choix d’une défense, pourtant empêchée voir interdite, et qui n’a au demeurant jamais fait l’objet de poursuites judiciaires ou disciplinaires, vient conforter la qualification terroriste d’une infraction…

 

Vous remerciant de l’attention que vous porterez à la présente,

 

Nous vous prions de croire, Madame le Vice-Président, en l’assurance de notre parfaite considération.