Tarnac : le « PV 104 », atout et faiblesse de l’accusation

La nuit du sabotage de la ligne TGV était lʼobjet de lʼaudience, vendredi.
17 mars 2018
Henri Seckel / LE MONDE | 17.03.2018 à 10h19 • Mis à jour le 17.03.2018 à 11h12
Yildune Lévy (au centre), lʼune des mis en cause du procès de Tarnac, à son arrivée au tribunal, le 13 mars. ALAIN JOCARD / AFP

Parmi les nombreuses curiosités que charrie « lʼaffaire de Tarnac », celle-ci : la pièce maîtresse de lʼaccusation est aussi celle de la défense. Il sʼagit du « PV 104 », procès-verbal dʼune filature de dix-neuf heures entre le 7 et le 8 novembre 2008 sur la Mercedes de Julien Coupat et Yildune Lévy, accusés dʼavoir saboté une ligne de TGV, cette nuit-là, en Seine-et-Marne.

Pour le procureur, les sept pages de ce document actent la présence des suspects à proximité immédiate du lieu du sabotage, quelques minutes avant sa commission. Pour les prévenus et leurs avocats, plusieurs invraisemblances disqualifient la pièce, et font tomber lʼaccusation. Le « PV 104 » était au menu, vendredi 16 mars, dʼune audience attendue, et à peine plus calme que les précédentes, qui a permis aux différentes thèses sur le déroulement de la nuit fatidique de sʼaffronter.

La présidente du tribunal Corinne Goetzmann commence par concéder « un certain nombre de critiques tout à fait pertinentes » soulignées par la défense. Lʼune des plus spectaculaires concerne un policier présent toute la nuit sur la filature en Seine-et-Marne, selon le procès-verbal, et qui se trouvait au même moment dans son bureau de Levallois-Perret, à 60 kilomètres de là : un autre PV rédigé à 3 h 13 dans la commune des Hauts-de-Seine porte sa signature. « Aucune explication nʼa été donnée au sujet de cette incohérence », dit la présidente.

« Pas très adroit »

Le procureur en livre une : ce policier a bien fait lʼintégralité de la filature, et cʼest en venant au bureau le lendemain quʼil a constaté lʼarrivée, dans la nuit, à 3 h 13, dʼun fax dont il fallait faire un PV. Or, en pareil cas, « on indique lʼheure à laquelle est arrivé le fax, pas lʼheure à laquelle on rédige le PV, explique le procureur. Ce nʼest évidemment pas très adroit, mais cʼest la façon dont fonctionne la police. » Le public rit. La défense grimace.

A lʼaide dʼune carte sur laquelle elle a surligné certains axes, la présidente retrace ensuite le parcours de la Mercedes. Beaucoup de jaune fluo colore des routes qui passent sous la voie sabotée, vers laquelle le couple aurait roulé en début de soirée, avant dʼy revenir dans la nuit commettre son méfait, selon lʼaccusation. « Vous passez votre temps à faire des allers-retours autour de la voie de chemin de fer, dit le procureur. Cʼest le moment où vous repérez comment accéder à la voie. »

Yildune Lévy est la première à livrer le récit de sa soirée. Le couple, dit-elle, quitte Paris « sans plan précis », sinon celui dʼéchapper à la surveillance policière dont il sait faire lʼobjet en permanence.
« Assez rapidement, on sent quʼon est suivis, même sur les petites routes. Il suffit quʼon sʼarrête pour voir la voiture à 200 mètres derrière ralentir brusquement. » Dʼoù les allers-retours, manœuvres de « contre-filature » – elle ne se souvient pas si cʼétait près dʼune voie ferrée.

« Réécriture a posteriori »

Après avoir dîné à Trilport (Seine-et-Marne) – à 30 kilomètres du futur sabotage – et constaté que les hôtels étaient complets ou trop chers, ils se résolvent, entre 23 h 30 et minuit, à dormir dans leur voiture. « On sʼendort. Je me réveille. Jʼai froid. On se dit quʼon va rouler pour mettre le chauffage et quʼon va trouver un endroit pour faire un câlin pour se réchauffer.

Vous dites quʼayant conscience de la présence policière, vous avez eu envie dʼavoir une relation intime ? », sʼétonne la présidente. Huées dans la salle. Lʼavocate de la prévenue, Marie Dosé : « Tout le monde sʼétonne quʼon puisse vouloir faire lʼamour quand on sait quʼon est suivi par les policiers, mais personne ne sʼétonne quʼon peut vouloir commettre une infraction ? »

« La seule partie avérée de ce PV, cʼest Trilport, enchaîne M. Coupat. Le reste est une réécriture a posteriori pour insinuer quʼon aurait eu un lien avec ce sabotage. Ce qui sʼest passé ce soir-là, au fond, vous le savez, monsieur le procureur. Cʼest que les policiers ont certainement fait de la filature jusquʼà 23 h 30 ou minuit, puis quʼils sont allés se coucher, et que le lendemain en voyant les infos, ils se sont dit “aïe” ».

« Donc, selon vous, ils sʼembêtent à aller jusquʼà Trilport jusquʼà 23 heures, puis ils rentrent, et après ils se disent : “quelle coïncidence, on aurait dû continuer à les suivre. Tant pis, on va écrire le PV.”

« Ça ne me paraît pas fou que lʼantiterrorisme, dont on verra ensuite la capacité à mentir, ait menti sur ce point initial », conclut Julien Coupat, en référence au témoignage accablant contre lui dʼun témoin anonyme, qui confessera ensuite sʼêtre contenté de signer un récit fabriqué par les policiers.

Incohérences d’horaires

« Mais, si on fait un faux PV, se demande la présidente, pourquoi ne pas indiquer “on a vu Untel commettre ces actes” ? » Jérémie Assous, avocat de Julien Coupat, botte en touche. Il préfère noter que cette filature est la seule, parmi des centaines, sans photo du couple, souligner plusieurs incohérences dʼhoraires, et rappeler la faille majeure du PV : aucun des 18 policiers en filature nʼa vu les suspects grimper sur la voie ferrée pour hisser un crochet sur la caténaire. « Sʼils avaient été là, ils les auraient vus, et, sʼils les avaient vus, ils les auraient arrêtés ! », hurle-t-il. « Il y a des approximations, mais rien ne permet dʼaffirmer que ce PV est faux », répond le procureur.

Le tribunal est-il parvenu à se faire une idée ? Le transport sur les lieux, vendredi 23 mars, pourrait permettre dʼy voir plus clair. Lʼaccusation et la défense rivalisent dʼimpatience au sujet dʼune journée dont chacune affirme quʼelle fera pencher le jugement en sa faveur.

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