Dans lʼenquête sur les sabotages des lignes TGV, cʼest une nouvelle zone dʼombre. Lʼombre dʼune manipulation, encore. Plusieurs écoutes téléphoniques visant les jeunes de Tarnac, en mars 2008, ont été dissimulées à la justice jusquʼà aujourdʼhui. Les services de police nʼont pas tout dit, et cette opacité, nullement admise dans un dossier judiciaire, pourrait devenir lʼun des arguments massue de la défense qui a adressé au juge une nouvelle demande dʼactes, lundi
Comme
lʼa signalé, un de ces dispositifs dʼécoute a été involontairement dévoilé par un agent de France Télécom à un cogérant de lʼépicerie de Tarnac (Corrèze) en avril 2008. Lʼagent avait été à lʼépoque sanctionné. Depuis, la direction de France Télécom se mure dans le silence. Et pour cause. Ces écoutes ont été effectuées en dehors du périmètre de lʼinformation judiciaire ouverte après les sabotages des lignes TGV, en novembre 2008, et avant même lʼouverture de lʼenquête préliminaire, le 11 avril 2008. «Outre le fait quʼelle conforte les présomptions sur le caractère orchestré, prémédité donc politique du dossier, lʼexistence dʼécoutes clandestines antérieures à la procédure est sanctionnée de manière constante par la jurisprudence», analyse Me William Bourdon, avocat de la défense. Dans les années 90, des écoutes illicites avaient, par exemple, provoqué lʼannulation intégrale du dossier «Schuller-Maréchal», visant le beau-père du juge Halphen.«Branchement». Pour lʼheure, seuls des témoignages confirment lʼexistence et la levée des écoutes de Tarnac. Retrouvé par Libération, Francis M., technicien, a suivi le dossier en qualité de délégué du personnel à France Télécom. «La ligne fonctionnait, mais lʼécoute provoquait un affaiblissement des signaux et un problème de terminal de carte bancaire, explique-t-il. Lʼagent a coupé la dérivation et rétabli la ligne. Puis il a appelé le chef de département qui, lui-même, a averti le service national qui sʼoccupe des écoutes. Il lʼa fait parce quʼil était entré avec le client dans le central. Cʼest ce qui lui a été reproché par la suite. On avait envoyé quelquʼun au carton sans quʼil sache de quoi il sʼagissait.»
La machine de carte bancaire de lʼépicerie était tombée en panne à la mi-mars 2008. Les télédéclarations de recettes à la banque ne passent plus. Lʼun des cogérants du magasin change dʼappareil, en vain. Le 4 avril 2008 au matin, il teste la nouvelle machine avec lʼagent France Télécom, puis il lʼaccompagne au local technique. «Dès quʼil sʼest trouvé devant le tableau, il a dit : « Ah là, il y a un branchement, et cʼest pas nous »», se rappelle lʼépicier, questionné par Libération.Alors que sur chaque ligne des fils blancs et rouges sont connectés, les deux hommes constatent la présence «dʼun fil bleu et dʼun fil jaune» reliés en parallèle à un boîtier plastique. «Cʼest la police, alors ?» fait lʼépicier. «Ça se pourrait bien», répond le technicien, qui appelle son supérieur. «Il parlait, en répétant certaines réponses de son chef, et il a dit : « Ah bon, il y a trois numéros sur écoute à Tarnac ? » Il a demandé sʼil pouvait débrancher et il a dit à haute voix : « Je débranche, donc ! »»
Lʼappareil CB refonctionne.
«Des écoutes, on en pose tous les jours, poursuit le syndicaliste. Le pourquoi du comment, on ne le connaît pas. Cʼest un de mes collègues qui avait posé lʼécoute. Il lʼavait fait régulièrement via un ordre de travaux. Mais lʼagent qui est intervenu nʼavait pas lʼhistorique. Plusieurs lignes étaient concernées. Et celle du magasin nʼa pas été la seule à avoir été levée.» Pour lʼagent, les ennuis sont rapides. «Dans lʼheure qui a suivi, les consignes sont redescendues. Le directeur territorial a convoqué celui qui avait posé lʼécoute, celui qui lʼavait levée, et le chef de département. Patrick Coat, alors directeur régional, est parti à Paris le lendemain.» Lʼagent «fautif» écope dʼune mise à pied et de quinze jours de suspension. De son côté, Patrick Coat aurait été convoqué au ministère de lʼIntérieur.
Lʼécoute de Tarnac a transité par le service ad hoc de France Télécom, installé à Montrouge (Hauts-de-Seine), qui reçoit les demandes dʼécoutes judiciaires ou administratives.
Les avocats du groupe de Tarnac ont demandé à lʼopérateur «lʼhistorique des interventions techniques sur les lignes» de lʼépicerie pour lʼannée 2008. Il leur a été répondu que les «données 2008» nʼétaient «plus consultables» pour ce numéro. Les avocats ont saisi le 2 février la Commission dʼaccès aux documents administratifs (Cada). Ils doivent interroger cette semaine la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), qui veille à la régularité des écoutes dites administratives réalisées par le Groupement interministériel de contrôle (GIC), à la demande des services spéciaux.
Manœuvre. Lʼinterruption des écoutes de Tarnac, le 4 avril 2008, provoque lʼouverture précipitée dʼune enquête préliminaire visant Julien Coupat et ses amis. Le 11 avril, la Sous-direction antiterroriste (Sdat) écrit au procureur de la République pour lui révéler lʼexistence dʼune «structure clandestine» disposant «de plusieurs bases logistiques», notamment à Tarnac. Sans parler dʼécoutes, la Sdat évoque des «informations» émanant de la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG). On peut en déduire que lʼactuelle Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, fusion de la Direction de la sûreté du territoire et de la DCRG) a été à la manœuvre, comme lʼa admis son directeur, Bernard Squarcini. «La DCRI surveillait ces individus depuis longtemps», avait-il précisé au Point en mars 2009.
En août 2008, quatre mois après la levée de ces écoutes secrètes, le numéro de lʼépicerie de Tarnac fait lʼobjet dʼune demande officielle dʼinterception de ligne. Autorisée par le juge des libertés, cette écoute sera prorogée trois fois, jusquʼen novembre 2008. Mais elle nʼapportera aucune information sur les projets dʼ«actions violentes» prêtés au groupe de Tarnac.