Tarnac : la défense passe à l’offensive

4 avril 2009
David Dufresne - Mediapart

Dans la salle de la Ligue des droits de l’homme, à Paris, il y a  les journalistes ? venus en nombre. Il y a les parents des uns, et  des unes. Ceux qui font les cent pas, ceux qui parlent à la presse,  ceux qui ne veulent plus. Dans les mains du père d’Yldune Lévy,  l’amie de Julien Coupat, un carnet. Sur la couverture, il est écrit :  «journal de bord ». On imagine les pages, les rages, les doutes.  Dans la salle, il y a aussi Eric Hazan, éditeur du désormais et malgré lui best-seller L’Insurrection qui vient . Et puis des copains de  copains des «Tarnac», puisque le groupe a désormais gagné une  particule. 

But de la réunion : présenter le dossier d’instruction de l’affaire  de Tarnac ? sans le montrer concrètement (loi oblige, mais frustration garantie). Exiger la liberté du dernier en détention, Julien  Coupat ; et la déqualification des faits reprochés à tous (grosso  modo : dégradations plutôt que terrorisme dans l’affaire des caténaires sabotées en novembre 2008). Pendant une heure trente, les  quatre avocats des neuf mis en examen ont donc tenu, hier matin, conférence de presse. Le propre des conférences de presse,  c’est rarement de révéler. Mais de produire de l’image. De marteler un message ? il sera ici pénal («le dossier est vide ») et politique («tous les éléments du dossier ont été scénarisés dans le  seul objectif de les présenter comme des ennemis de l’intérieur  menaçant notre démocratie »). Parfois, de rappeler des évidences.  Ainsi Irène Terrel, avocate de Julien Coupat, de Gabrielle H. et de  Benjamin Rosoux : «C’est à l’accusation de prouver la culpabilité. Pas aux mis en examen de prouver leur innocence. » 

Le discours est rodé ? et connu. Il a été teasé la semaine dernière  dans une page fracassante du Monde , titrée «Ce que contient le  dossier d’instruction de l’affaire Tarnac». C’est-à-dire rien. Ou  trois fois rien. Pour les avocats, donc, «le dossier est vide ». Pas  la moindre preuve matérielle mais «la criminalisation de lectures,  d’écrits, de pensées et de participation à des manifestations ». Il  n’y a ni «empreintes digitales, ni ADN ». Ce qui n’est pas tout à  fait exact. Selon nos informations, de l’ADN a bien été retrouvé :  celui des agents SNCF venus réparer les caténaires et décrocher  les crochets. C’est-à-dire trois fois rien d’ADN. 

Pour Dominique Vallès, avocate de Bertrand D. et d’Elsa H.,  «toute la dimension du dossier est là : dans les excès de l’antiterrorisme ». William Bourdon, nouveau conseil d’Yldune Lévy,  renchérit : «Cette procédure est toxique pour les libertés publiques.» Et de fustiger «l’extraordinaire et extravagante démesure des moyens de surveillance » du groupe, neuf mois durant.  Ecoutes, filatures, caméras dans les arbres corréziens et cachecache dans le métro parisien. Quelques confidences plus loin, sans  importance capitale, et c’est le jeu des questions-réponses avocats/journalistes. 

La conférence change alors de ton. Elle se fait parfois hors-sujet.  Parfois, accusatoire. Souvent aigre-douce. «Coupat revendique-til L’Insurrection qui vient ? Que répondez-vous à ceux qui disent  qu’il n’y a plus d’attentats ? Que faisait-il avec Yldune le long des  voies ferrées le 7 novembre ? » Questions légitimes, mais insuffisantes. On se croirait cinq mois en arrière, quand l’affaire démarrait. Comme si celle-ci valait plus par sa dimension judiciaire que  par sa dimension symbolique. Ou politique. Cette fois, un élément  inédit apparaît. Enfin. Il est révélé par Me Terrel : le fameux soir  des sabotages, le couple Coupat/Lévy s’est d’abord «adressé à un  petit restaurant routier » pour dormir. En vain : l’établissement  n’avait pas de chambre libre. Les deux jeunes gens auraient alors  décidé de se rendre dans un sous-bois. Traduction : pas pour aller  poser un fer à béton sur une caténaire, comme le soupçonne la  police. Mais parce qu’«Yldune voulait faire un câlin à Julien »,  avance Me Bourdon. On s’interroge. Non sur l’alibi donné, mais  sur la nature des débats : l’instruction repose-t-elle vraiment sur  ce point là ? A en croire les avocats, oui. 

Deux précisions d’importance, tout de même. L’une émanant du  conseil d’Yldune Lévy : «Nos deux clients ont donné la même  explication au juge sans s’être concertés. Il y a certes une coïncidence temporelle et géographique entre les faits reprochés et  leur présence [à proximité du lieu des sabotages] mais cela ne  constitue en rien une preuve .» L’autre vient de l’avocate de Julien Coupat : le gérant de l’hôtel a-t-il été interrogé pour confimer ou infirmer les dires des deux accusés ? «Nous l’avons demandé. Or, cette vérification n’a pour l’instant pas été faite ! »  Pas plus que la piste des antinucléaires allemands, qui avaient revendiqué l’opération, n’a été sérieusement étudiée. D’après une  source proche de l’enquête, recueillie par Mediapart, aucun fonctionnaire de la SDAT (Sous-direction anti-terroriste) ne se serait  rendu pour l’heure outre-Rhin. Le contre-feu parfait.

Le propre des conférences de presse judiciaire, c’est aussi de tourner parfois en rond. De dévoiler que tout ne peut y être débattu en  profondeur, malgré les apparences de transparence. C’est même  leur paradoxe et, d’une certaine façon, leur belle étrangeté : comment parler publiquement, micros ouverts, d’une procédure couverte par le secret d’instruction ? Celle-ci n’échappe pas à ces moments délicats, où l’on doit parler sans dire. Notamment quand  viennent les questions embarrassantes, et importantes, sur les dernières fuites de l’affaire. Ainsi, quelques heures seulement après  la parution du Monde , le 25 mars, une dépêche AFP tombait.  Son titre allait jeter sérieusement le trouble : «Un manuel de fabrication de bombe retrouvé sur un ordinateur du groupe Coupat».  Son contenu évoquait un «dossier informatique d’une soixantaine  de pages détaillant les méthodes de fabrication et d’emploi de  bombes artisanales ». Mais aussi de «textes présentant des similitudes avec L’Insurrection qui vient» et un CD-Rom contenant  «la matrice de facture EDF pouvant servir à la fabrication de  faux justificatifs de domicile ».  

Là encore, rien qui ne constitue des preuves mais une série d’éléments accréditant, aux yeux des enquêteurs de la SDAT, «la possibilité d’une éventuelle association de malfaiteurs à visée terroriste ». Le soir même, Michèle Alliot-Marie était invitée du  «Grand journal» de Canal +, ou, plus exactement, son invitation  avait opportunément été avancée de 24 heures par la chaîne de  télé, ce qu’avait accepté la place Beauvau. Contre-feu parfait. 

En réalité, selon nos informations, ce sont cinq pré-expertises informatiques, sur vingt-deux demandées par le magistrat, qui sont  «revenues » comme dit le jargon judiciaire. L’une d’elles ferait  notamment état de notes de lecture effacées, courant 2008, sur le  disque dur d’Yldune Lévy, à propos du livre Les Experts mode  d’emploi , signé Richard Marlet, commissaire de la police technique et scientifique à la préfecture de police de Paris. Quant au  «manuel de bombes», informatiquement écrasé des années auparavant, il s’agirait tout bonnement d’un document Word, circulant  sur le Net dans les années 90 et passablement daté : on y lirait  notamment comment rendre explosive ? une disquette 5 pouces  un quart, format rangé depuis longtemps dans les oubliettes de  l’histoire informatique ! C’est dire la portée de la trouvaille. 

D’où la colère, jeudi matin, de William Bourdon, qui assure découvrir ces révélations dans la presse avant de les lire dans le  dossier : «C’est dérisoire et c’est à pleurer. Pour nous, ces informations sont la signature de l’impuissance des forces de l’ordre.  Nous ne sommes pas dans une procédure sur les faits, mais sur les  intentions. Des intentions qu’on vous prête, des intentions imaginaires .»  Même tonalité chez Mathieu Burnel, l’un des «9 de Tarnac». Au  micro de RTL, jeudi matin, il y est allé franco : «Ces documents là, ils les ont depuis le mois de novembre [date des perquisitions,  NDLR]. A mon avis, s’ils les sortent maintenant, c’était clairement pour répondre au problème que leur posait l’article du  Monde. Et ce qui est comique là-dedans, c’est que les personnes  qui font péter des bombes thermo-nucléaires à Muruora, et qui  se félicitent de leurs centrales nucléaires qui filent le cancer à  des régions entières, viennent nous tanner pour un pseudo manuel d’explosif. Ça frise presque le foutage de gueule. » Quelques  minutes seulement après cette déclaration, le porte-parle du ministère de l’intérieur se faisait parvenir le script de l’intervention.  C’est que Gérard Gachet suit l’affaire de près et que, dès ses premières minutes, elle se joue bien là : sur la scène médiatique. «On  a quand même eu droit de la part de M. Burnel , a-t-il fait part  à Mediapart, à un langage assez différent de l’image des épiciers  solidaires qu’on nous servait jusqu’ici. Même si, bien sûr, ça ne  prouve rien. Et que ça ne présage rien sur les suites de l’affaire.  » Et d’assurer : «J’ignore d’où vient la fuite du dossier dans la  presse, comme vers l’AFP. Le dossier est à l’instruction : nous  n’avons pas à en avoir connaissance. »  Au fond de la salle de la Ligue des droits de l’Homme, il y avait  une dernière silhouette. Celle de l’auteur discret d’un livre. Le  premier à paraître sur le sujet : Le Coup de Tarnac (Editions  Florent Massot). Annoncé nulle part, pour préserver la surprise,  l’ouvrage s’attacherait à remonter principalement la piste allemande. Il sera en librairie le 21 avril.

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