Tarnac – Défait, le parquet se pourvoit en cassation

Les 28 et 29 juin dernier, l’affaire dite « de Tarnac » a connu d’énièmes rebondissements. Patate chaude pour certains, balle rebondissante pour d’autres, voilà presque 8 ans que cette célèbre affaire occupe les chroniques judiciaires et ponctue l’actualité politique.
22 juillet 2016
lundimatin #68

Afin de comprendre ces deux derniers épisodes, il faut revenir au moins un an en arrière.

Août 2015, après 7 ans d’enquête, la juge d’instruction du pôle antiterroriste Jeanne Duye, crée la surprise. Les 10 personnes poursuivies depuis de longues années pour terrorisme, ne sont finalement plus considérées comme tels —des terroristes—, par la justice. Nul doute que cette annonce faite au coeur de l’été, la veille du week-end du 15 août, se voulait plutôt discrète tant le camouflet était grand, —pour le parquet évidemment— mais aussi pour les différents magistrats instructeurs qui s’étaient lourdement enferrés dans un acharnement que beaucoup jugeaient délirant.

Bien qu’humiliante pour certains partis, cette décision avait tout de même le mérite de simuler un semblant de raison et de mesure au sein de la machine judiciaire. Pourtant dès le lendemain, à la surprise générale, le parquet faisait appel de cette décision. Pour le Ministère public, les mis en examen de Tarnac doivent être considérés comme terroristes, il en va de la défense des intérêts de la société.

C’est sur ce désaccord entre magistrats que la cour d’appel de Paris statuait ce mardi 28 juin. Le jugement, auquel lundimatin a pu avoir accès, donne tort au parquet sur chacun des points soulevés. Tout d’abord, pour la première fois dans ce long marathon judiciaire, des magistrats indépendants reconnaissent quelques graves errements dans l’enquête menée conjointement par la DGSI et Sous-Direction Anti Terroriste.

Témoin anonyme

À propos du témoin sous X n°42, désormais connu sous le patronyme de Jean-Hugues Bourgeois, la cour d’appel évoque un témoignage « dénué de toute valeur en raison de ses incohérences et des fragilités pyschiatriques de son auteur« .

Rappelons que Jean-Hugues Bourgeois, seul témoin à charge de toute la procédure avait assuré que Julien Coupat et consorts étaient prêts à passer à la lutte armée, avaient incendié des ANPE et se disaient prêts à passer à l’assassinat politique. Il s’était ensuite rétracté en jurant que les policiers de la Sous-Direction Anti Terroriste lui avaient fait signer ses déclarations sous la menace et s’était parallèlement illustré dans une sombre histoire de troupeau abattu et de menaces de mort et de viol à l’encontre de sa propre fille. Malgré tout cela, policiers, magistrats et parquet avaient jusqu’alors tout mis en oeuvre pour maintenir la crédibilité de leur témoin dont personne ne parvint jamais à savoir s’il travaillait avec la police ou pour la police.

 

Sabotages

Sur les 5 sabotages attribués au groupe « de Tarnac », la cour d’appel confirme quatre non-lieux faute de preuves suffisantes. Concernant le 5e, celui qui a fait couler tant d’encre, pour la première fois, les magistrats relèvent de nombreuses erreurs et contradictions dans le procès-verbal de surveillance et soulignent aussi la présence d’éléments à décharge pour Julien Coupat et Yildune Lévy. Cependant, leur présence attestée 7 heures plus tôt dans une pizzeria de la région justifie que les faits soient examinés et jugés par un tribunal.

Terreur et intimidation

Les faits dont sont soupçonnés le « groupe de Tarnac », s’apparentent-ils à du terrorisme ? C’est sur ce point que la cour d’appel de Paris était la plus attendue.

Beaucoup a déjà été écrit sur le sujet mais la qualification légale du terrorisme —c’est-à-dire sa définition— est un exercice extrêmement périlleux et complexe qui implique de chambouler bon nombre de fondamentaux du droit. Prenons un exemple ordinaire. Jacques va rencontrer son ami Thierry qui est juge et l’informe que l’un de ses lapins a disparu. Il soupçonne Pierre de lui avoir pris sans son accord. Pour l’aider dans sa tâche, le juge Thierry dispose du Code pénal dans lequel chaque infraction est définie. En l’espèce, un vol est la « soustraction frauduleuse de la chose d’autrui », Thierry doit alors apprécier des éléments de preuve pour déterminer si Pierre est effectivement coupable de vol. Si les preuves sont suffisantes, il reviendra au juge de choisir la sanction contre Pierre ainsi que l’éventuel dédommagement de Jacques.
Quand il s’agit de « terrorisme », l’affaire est beaucoup plus compliquée.

Selon l’article 421.1 du Code pénal,

  • « Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes :
    -Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport,[…]
    -Les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations […]. »

Il faut donc comprendre que dans le droit français, des faits que l’on pourrait qualifier de bénins, tel qu’un vol ou une détérioration, peuvent être qualifiés de « terroristes » dans la mesure où ils seraient commis avec l’intention de « troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur« . Les magistrats se retrouvent donc face à au moins trois difficultés :

1. Il s’agit d’abord d’établir l’intention. Si le prévenu affirme vouloir troubler l’ordre public, la chose est facile, mais si ce n’est pas le cas, qu’il garde le silence ou réfute cette volonté, il revient au magistrat d’établir pour lui les motivations subjectives de son acte.

2. Ensuite, il faut définir ce qu’est un « trouble grave à l’ordre public ». « Troubles », « grave », « ordre public », autant de concepts aux contours incertains et fluctuants selon les circonstances. Cette difficulté est d’autant plus grande qu’elle doit s’articuler et s’appuyer sur la première : l’existence et donc la définition d’une intention.

3. Cette « intention » de « troubler gravement l’ordre public » doit être commise non pas par un caillou, une claque, un mauvais mot ou un aéronef mais par « l’intimidation ou la terreur ». Là encore, nous nous retrouvons face à deux concepts dont les contours sont d’autant plus difficilement traçables qu’ils recouvrent un état psychique ou affectif : être intimidé ou terrifié. Là encore, le magistrat se doit d’empiler un nouveau cube au dessus des précédents. Est-ce qu’infliger des retards sur les lignes TGV a pour effet d’intimider ou terroriser le citoyen lambda ?

 

 

Que dans l’affaire de Tarnac, la police ait commis une successions de faux procès-verbaux pour accuser certaines personnes qu’elle surveillait ou non, reste que le délit ou le crime doit être qualifié. Les juges doivent donc répondre simultanément aux questions suivantes :

— Coupat et consorts avaient ils l’intention de troubler gravement l’ordre public ?
— Est-ce que débrancher les caténaires d’une ligne TGV constitue un trouble grave à l’ordre public ?
— Est-ce qu’infliger des retards sur des lignes TGV afin de protester contre le passage de trains de déchets nucléaires peut s’apparenter à un usage de l’intimidation ou de la terreur ?

Il s’agit d’établir ce que Coupat et consorts pouvaient avoir en tête ainsi que l’effet affectif et psychique potentiellement produit sur la population. Découvrir un lapin caché dans la cave d’une ferme de Corrèze ne suffit pas.

À l’occasion du vote de la première loi antiterroriste en 1986, cette absence de définition claire de ce qu’est le terrorisme et toutes les difficultés que cela implique du point de vue du droit, n’avaient pas échappées au Conseil Constitutionnel. Il avait alors été convenu par les législateurs que la seule manière de résoudre ce problème — punir un acte que l’on ne parvient pas à définir — était d’en laisser la charge aux juges « indépendants ». Aux magistrats donc, de déterminer subjectivement si tel acte relève du terrorisme ou non.

Voilà tout le débat qui a divisé magistrat instructeur et parquet dans l’affaire de Tarnac. La première jugeait que non, la France n’avait pas été intimidée ou terrorisée par l’arrêt de TGV, pendant que le représentant de l’ordre public assurait le contraire.

Dans son jugement, la cour d’appel de Paris a donc rappelé au Ministère public qu’en matière de terrorisme, chaque juge est libre de voir midi à sa porte.

 

Dès le lendemain, le parquet déclarait saisir la cour de cassation afin d’obtenir quelques éclaircissements autour du concept d’intimidation.

Rappelons que le procureur Molins était le directeur de cabinet de l’ancienne garde des sceaux Michèle Alliot-Marie et que le procureur général près la cour de cassation n’est autre que M. Jean-Claude Marin, connu pour ses déclarations pétaradantes en tant que procureur lors des arrestations de Tarnac. En attendant le prochain épisode, notons qu’entre le moment de leur arrestation et leur éventuel procès, les prévenus auront connu trois présidents.

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