Au troisième jour du procès Tarnac est apparue la relique maudite. Il est environ 15 h 30, jeudi
15 mars, lorsque le célèbre crochet en fer à béton, retrouvé le matin du 8 novembre 2008 perché sur une caténaire de la ligne du TGV Paris-Strasbourg, du côté de Dhuisy (Seine-et-Marne), fait son entrée dans la salle dʼaudience.
Extraite avec soin du papier kraft sous scellés qui lʼemballe depuis une décennie, lʼarme du crime passe de main en main sur les bancs des prévenus. « Je pensais que cʼétait vachement plus
gros ! », chuchote Yildune Lévy, qui le fixe avec de grands yeux, mais refuse de saisir lʼobjet qui lui a valu dix ans de procédure judiciaire. Idem pour Julien Coupat, qui se contente dʼobserver le crochet dans les mains de Mathieu Burnel, lequel taquine son compère en lui disant « vas-y touche !
touche ! », puis fait mine de lancer le morceau de ferraille en lʼair, comme sʼil voulait saboter le lustre au-dessus de lui. Hilarité générale dans la salle.
On rigole bien au procès Tarnac. Entre l’attitude goguenarde des prévenus, l’ironie féroce de Me Jérémie Assous (l’avocat de Julien Coupat), parfois appuyé par son très pince-sans-rire confrère Me Jean-Christophe Tymoczko (l’avocat de Yildune Lévy), la centaine de spectateurs acquis à la cause de la défense se régale. Même les deux experts appelés à témoigner jeudi, sortes de Dupond et Dupont débonnaires spécialistes de la chose électrique et ferroviaire, ont réussi à faire rire l’assemblée alors qu’ils abordaient des questions on ne peut plus sérieuses, en s’extasiant par exemple devant la qualité des finitions du crochet : « Il est parfait ! » « On transmettra le message », a répondu Me Assous, dont les bons mots font systématiquement marrer Me Jean Veil, l’avocat… de la SNCF.
Théorie de « l’écran de fumée »
Il y en a un que tout cela n’amuse que modérément. Le procureur de la République Olivier Christen possède évidemment le mauvais rôle face à cette foule hostile qui raille sa parole. « C’est quand même incroyable que je ne puisse pas parler deux minutes sans que tout le monde ne fasse du bruit, ne rigole ou ne tousse, s’est-il offusqué. Je sais bien que vous avez l’habitude de ne parler qu’entre vous, mais ici, c’est un débat contradictoire, il faudra accepter d’entendre une parole inverse. »
Pour l’instant – pour combien de temps ? – le procureur parvient à conserver son flegme face aux sarcasmes. Il semble attendre son heure, et dénonce « la théorie de l’écran de fumée » qu’applique selon lui Jérémie Assous : « Vous plaidez davantage pour la presse que pour le tribunal, afin que la presse continue d’écrire que tout ce qu’avance l’accusation est faux. Mais vous verrez que les pièces ne sont pas fausses, et que nous avons raison d’être dans cette juridiction. » Me Assous troque alors son ton faussement badin pour des accents presque menaçants : « On va rentrer dans le dur de ce dossier, et on va voir ce qu’il y a derrière votre écran de fumée : un mur de faux ! »
Le faux suprême selon la défense, c’est le fameux « PV 104 », qui doit être décortiqué lors de l’audience de ce vendredi. Il s’agit du procès-verbal de filature de Julien Coupat et Yildune Lévy en Seine-et-Marne la nuit du sabotage, filature au cours de laquelle ils auraient été vus à proximité immédiate de la voie de chemin de fer où a eu lieu l’acte de malveillance.
Avec vingt-quatre heures d’avance sur le planning, Jérémie Assous a déjà commencé à s’attaquer au PV 104, s’arrêtant sur des points assez obscurs pour qui n’a pas lu le dossier. « Les assesseures n’ont pas la connaissance de tout le dossier comme c’est votre cas, s’émeut l’une des trois magistrates qui entourent la présidente. Déflorer une partie du dossier comme vous le faites crée une certaine confusion. » « Et le tribunal ne voudrait pas penser que créer cette confusion soit volontaire dans votre esprit », ajoute la présidente, avec le sourire entendu de celle qui a pigé la manœuvre.
« Il va falloir vous adapter »
Difficile de dire si l’attitude de Me Jérémie Assous et Julien Coupat, provocateurs par nature, relève d’une stratégie de guerre totale à l’accusation et d’occupation du terrain décidée à l’avance, ou si ce n’est que le cours des débats qui les incite à s’exprimer spontanément. De fait, les deux hommes se lancent fréquemment dans des explications à rallonge sur des points d’un dossier complexe qu’ils maîtrisent parfaitement, et dont ils ont décidé de souligner la moindre faille. Ils donnent parfois l’impression de vouloir aller plus vite que la musique. « Le tribunal perd pied, doit convenir la présidente. Vous faites référence à des éléments que je n’ai pas encore évoqués, c’est dans la suite de mon rapport, mais vous ne me laissez pas le lire. »
En fin de journée, alors qu’il s’exprime sur une revendication du sabotage venue d’Allemagne au lendemain des faits – piste étonnamment peu exploitée par les enquêteurs à l’époque – et qu’il semble parti pour un long monologue, la présidente interrompt Julien Coupat. « La défense prend la main sur la présentation du dossier et ne me laisse pas le temps de présenter les éléments. Il est 20 heures, je n’ai pas lu la moitié du rapport que je devais lire. On ne va pas pouvoir aller au bout dans ces conditions. Il va falloir vous adapter si vous voulez que ce procès se fasse, il faut peut-être réfléchir à une autre manière de faire passer les messages. On peut être percutant sans monopoliser la parole. »
Au bout de trois jours, le programme doit déjà être revu. Les audiences, uniquement prévues l’après-midi, pourraient également se tenir tous les matins, ainsi que le lundi, jour de repos en théorie. Et dire que dans un tout premier temps, ce procès, qui doit s’achever le 30 mars, avait été prévu pour s’étaler sur six demi-journées à peine…