L’affaire de Tarnac joue sa qualification terroriste

L’affaire de Tarnac relève-t-elle du terrorisme ou du droit commun ? Huit ans après leur interpellation, la question de la nature des faits reprochés aux protagonistes de ce dossier est en passe d’être définitivement tranchée. La Cour de cassation devait examiner, mardi 13 décembre, le pourvoi du parquet général de Paris et de la SNCF, après que plusieurs magistrats se sont déjà prononcés pour l’abandon de la qualification de terrorisme. Sa décision pourrait contribuer à définir ce qui, en France, relève ou non du terrorisme.
13 décembre 2016
LE MONDE | 13.12.2016 à 06h45 • Mis à jour le 13.12.2016 à 13h42 |
Des personnes manifestent le 21 juin 2009 à Paris en soutien aux neuf personnes du « groupe de Tarnac » mises en examen à l’automne 2008. MIGUEL MEDINA / AFP

Depuis 2008, l’enquête pour « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste » visant les membres d’un groupe appartenant à la mouvance anarcho-autonome, installé dans le village corrézien de Tarnac, est devenue pour l’Etat un symbole de la lutte antiterroriste et du travail des services des renseignements. Plusieurs membres du groupe étaient soupçonnés d’avoir saboté cinq lignes de TGV à l’automne 2008 en posant des fers à béton sur des caténaires. Leur chef de file, Julien Coupat, a été détenu pendant six mois avant d’être remis en liberté.

Pourtant, le 7 août 2015, clôturant leur enquête, les juges d’instruction avaient estimé que les faits reprochés aux mis en examen ne pouvaient pas être considérés comme relevant du terrorisme. Le code pénal dispose que, pour retenir cette circonstance aggravante, il faut qu’une infraction soit commise « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Les huit protagonistes avaient donc été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour des délits de droit commun, dont quatre pour association de malfaiteurs. Julien Coupat et Yildune Lévy étaient également renvoyés pour des dégradations commises sur des lignes TGV dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 à Dhuisy (Seine-et-Marne). Des faits qu’ils nient.

« Aucun élément matériel »

Le parquet avait fait appel mais la chambre de l’instruction de Paris avait confirmé la première ordonnance, par un arrêt du 28 juin 2016. C’est à la suite de cet arrêt que le parquet général et la SNCF se sont pourvus en cassation.

On sait d’ores et déjà que l’avocat général à la Cour de cassation – qui représente le ministère public – a pris dans son avis le contre-pied du parquet et du parquet général en préconisant le rejet des pourvois. Une rupture de ligne inédite dans cette affaire. L’avocat général souligne que pour établir l’entreprise terroriste, c’est l’ouvrage L’insurrection qui vient (La Fabrique éditions, 2007) attribué à Julien Coupat, qui a été mis en avant.

« Il n’y a donc pas d’autre élément pour caractériser l’entreprise terroriste, que l’existence d’un ouvrage (…) dans lequel (…) était développée “une théorie de philosophie politique consistant à imposer une nouvelle organisation de la société et des rapports sociaux, par des actions violentes et de sabotage de réseaux ferrés.” »

Et l’avocat général enfonce : « N’a été mis au jour aucun élément matériel », les faits poursuivis étant, de l’avis même du procureur général de Paris, « de faible intensité » et donc pas rattachables à la volonté d’instaurer un climat de terreur.

« Dès lors, conclut l’avocat général, sauf à faire basculer dans le terrorisme un très grand nombre d’actions violentes commises par des activistes se réclamant de la mouvance anarcho-autonome ou anarcho-situationiste, il ne nous paraît pas possible d’affirmer que l’existence de l’entreprise terroriste serait caractérisée uniquement par l’adhésion proclamée à une littérature révolutionnaire. Cela reviendrait, peu ou prou, à réduire l’entreprise à l’expression d’une conviction. »

Il reviendra à la plus haute juridiction judiciaire de se prononcer définitivement mais les membres du groupe dit de Tarnac ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils n’assisteraient pas à l’audience et n’y seraient pas représentés.

Ils ont déposé une lettre à la Cour de cassation, vendredi 9 décembre, dans laquelle ils s’en expliquent, avec l’ironie et la verve qui les caractérisent. « L’affaire de Tarnac est un montage politique », dénoncent-ils dans le courrier mis en ligne sur le site Lundi matin. « Le non-lieu agrémenté d’excuses publiques de la part de l’Etat nous a toujours semblé être le minimum qui nous était dû. »

Les auteurs égratignent au passage la Cour et le choix qu’elle a fait de confier le rôle de « rapporteur » au juge Jean-François Ricard. Celui-ci a pour mission de résumer le dossier en amont de l’audience. Il participe en outre à la formation du jugement.

Or, M. Ricard est un ancien juge d’instruction antiterroriste, qui a œuvré à la galerie Saint-Eloi aux côtés de Jean-Louis Bruguière. Des câbles américains révélés en 2010 par WikiLeaks font état de plusieurs échanges entre ce magistrat et des diplomates américains. Lors de ses audiences à l’ambassade, M. Ricard se vantait de jouir du « bénéfice du doute » dans ses dossiers, grâce à la réputation de ses services, notamment lorsque des preuves n’étaient pas suffisantes pour entrer en voie de condamnation.

Détaché en 2006 au ministère de la défense comme chef de la division des affaires pénales et militaires, M. Ricard se présentait alors comme « conseiller informel en matière de contre-terrorisme » auprès de la ministre Michèle Alliot-Marie. Cette dernière, en 2008, avait annoncé en grande pompe l’arrestation des membres du groupe dit de Tarnac.

 

« Le parti pris du rapport du juge Ricard crève les yeux », disent les mis en examen. Et d’ironiser : « Quelqu’un a dû juger qu’il devait manquer une pointe de scandale au scandale que n’a cessé d’être, depuis son premier jour, le traitement judiciaire de ce dossier. »

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