«Ce fichier est un cancer pour la démocratie»

Mes Cotta et Bourdon, qui ont déposé plainte, expliquent comment ils ont découvert les documents :
8 octobre 2010
Patricia Tourancheau - Libération.fr

Les avocats William Bourdon et Françoise Cotta ont déposé plainte contre «un fichier ethnique, illégal et non déclaré» au nom d’associations de gens du voyage, de Tsiganes et de Roms.

Qu’avez-vous découvert et comment ?

William Bourdon. Une association est tombée par hasard sur des éléments troublants sur le site internet de l’office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI). On a tracé ces documents, on a imprimé ces fichiers PDF qui disparaissent au fur et à mesure du site. Ils montrent une corrélation entre la généalogie de familles tsiganes, les modes opératoires et certains types de délits, comme le recel, le blanchiment ou l’association de malfaiteurs. Sur un «camembert» non daté concernant «le profil des auteurs de préjudices», on trouve un agrégat de 24 % de la délinquance itinérante attribué à des «minorités ethniques non sédentarisés» (Mens). Pour aboutir à cette sélection, cela signifie sans aucun doute que ce fichier Mens se structurait autour de critères ethniques à partir des interpellations de Roms.

Avez-vous la preuve de l’existence de ce fichier Mens ?

Françoise Cotta. Parmi les groupes à risques, l’Office distingue les gens du voyage des manouches et des gitans, puis des itinérants, ce qui prouve bien l’existence, derrière, d’une base de données ethniques. Et comme si cela ne suffisait pas, nous possédons une compilation des interpellations de Roms pays par pays, entre 2000 et 2004. Je vois ainsi qu’il y a eu 1 853 Roumains interpellés, 5 Estoniens, 484 Polonais, 174 Bulgares, 333 Moldaves et ainsi de suite pour douze pays différents et un total de 4 847 personnes arrêtées. Il a bien fallu une base de données générale des Roms pour que ce tableau de la délinquance itinérante, qui regroupe à la fois Roms européens et tsiganes en majorité français, soit réalisé. C’est impossible autrement.

Selon la gendarmerie et le ministère de l’Intérieur «ce fichier généalogique» a été supprimé le 13 décembre 2007.

F. C. Admettons que ce fichier ethnique n’existe plus, mais cela a existé et personne ne l’a dénoncé. C’est scandaleux. Ces pratiques rappellent les pages les plus sombres de notre histoire, avec le fichier des juifs. Et qu’est-ce qui nous prouve qu’il n’existe plus ? Comment Sarkozy, qui est allé à Bruxelles débattre sur les gens du voyage, a-t-il pu exposer des données chiffrées ? Il a parlé de 199 fermetures de camps de Roms, en majorité Roumains ou Bulgares. Où puise-t-il ces chiffres ? Ce que l’enquête devra dire, c’est si les opérations d’expulsion de camps de Roms cet été ont été adossées à un tel fichier. C’est une question lourde.

W. B. Nous avons retrouvé, il y a quelques jours encore sur Internet, ces documents. Cela récuse le fait que ce fichier ethnique n’existerait plus. C’est absolument contradictoire.

Quelles infractions visent vos plaintes ?

W. B. La première vise le caractère clandestin du fichier, qui est la signature de la honte et du fait que cet office ne se sentait pas dans les clous. La seconde porte sur le caractère ethnique de ce fichier Mens, un cancer absolu pour la démocratie, avec des relents de la Seconde Guerre mondiale. C’est le moment pour le parquet de Paris de désigner un juge d’instruction indépendant, qui seul peut creuser le sillon de la vérité sur ce fichier indigne.

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