Ce qu’il y a de pénible avec la justice civile, c’est qu’elle fait de la théologie comme M. Jourdain fait de la prose. Et comme lui, ne sachant ce qu’elle fait, elle en fait de la très mauvaise. On se souvient que Julien Coupat, lors de sa première comparution devant le magistrat instructeur, s’était permis ce commentaire : « L’antiterrorisme est la forme moderne du procès en sorcellerie. Toutes les auditions ont visé très manifestement à accréditer la thèse selon laquelle je serais le chef, le gourou d’une soi-disant organisation anarcho-autonome » (D693). Ainsi, quand le parquet crie à présent au « groupe subversif » ou aux « activistes à l’idéologie subversive », et pense ainsi avoir tout dit, il ne sait certainement pas combien il donne raison à Julien Coupat : le subversus, c’est pour l’Inquisiteur du XVIe siècle l’ennemi même. C’est l’hérétique qui, bien pire que le Turc, le mahométan ou l’impie, est le ver dans la pomme de la chrétienté. Il est littéralement l’ennemi intérieur, mais l’ennemi intérieur de la chrétienté – celui qui la corrode et la pervertit du dedans, sous les dehors de la foi.
On laissera au bon soin de ceux qui savent lire, ainsi qu’à ceux que la logique n’effraie pas, de juger si L’insurrection qui vient « expose les nécessités de provoquer une insurrection, laquelle serait conduite par des groupes isolés ayant adopté un mode de vie communautaire, qui auront assuré leur clandestinité ». En revanche, on relèvera pour l’avenir ce genre de perles : « la finalité terroriste du groupuscule ainsi constitué ne saurait être nuancée par l’absence de victimes humaines [les survivants de Charlie Hebdo apprécieront] ni même par l’absence de réel risque de voir des vies humaines atteintes par les actes projetés en l’état » ou encore « cette finalité terroriste de ce groupuscule ne saurait non plus être nuancée par l’aspect politique de leur mouvement. Si la promotion idéologique d’une nécessité de changer de société est une position politique protégée par la liberté d’opinion, sa mise en oeuvre par l’intimidation et la terreur relève de la délinquance dont la répression est prévue par la loi. Le dol spécial de l’infraction terroriste est par nature politique puisque instiller l’intimidation ou la terreur a comme finalité l’exercice d’une forme de pouvoir sur la société. Mais faire confondre l’exercice de la liberté politique et l’action terroriste comme les mis en examen ont tenté de le faire afin de se victimiser, relève d’un mode de défense qui ne saurait emporter la conviction tant il est convenu et commun à l’ensemble des groupes terroristes quelque que (sic) soit leur importance ». Quand on s’avise que pour rattacher les sabotages de caténaires à une « finalité terroriste », il a fallu les rapprocher arbitrairement d’une phrase extraite de L’insurrection qui vient, mais surtout les dissocier de leur propre revendication par des activistes antinucléaires allemands. Quand on s’avise, donc, que la finalité terroriste relève de la plus stricte décision du parquet de prêter aux mis en examen telle ou telle intention – le même parquet qui est bien embarrassé quand, du fait d’un revirement de la diplomatie française, il doit s’asseoir sur toutes ses diatribes contre le PKK, maintenant que d’« organisation terroriste » celui-ci est devenu le pourfendeur du djihadisme et le libérateur de Kobané. Alors, il devient extrêmement retors de voir dans le fait que des mis en examen contestent l’absurde incrimination de terrorisme les concernant, une preuve supplémentaire de leur vocation terroriste. Ce genre de raisonnement judiciaire circulaire nous ramène évidemment au bon vieux temps des procès en sorcellerie : la preuve que c’est une sorcière, c’est qu’elle pousse le vice jusqu’à prétendre ne pas l’être. Il ne faut jamais oublier que la plupart des sorcières ont été pourchassées par des tribunaux laïques et non religieux ; et que cet héritage y pèse encore de tout son poids, en particulier en matière antiterroriste.
Ainsi que l’Histoire l’a amplement montré, y compris celle des révolutions, la suspicion est dans le regard, non dans l’être que ce regard condamne d’avance. C’est pourquoi elle est de nature épidémique. Il y a eu en Europe, du XIVe au XVIIIe siècle, une incompréhensible « épidémie de sorcellerie » exactement comme nous sommes contemporains d’une épidémie mondiale de « terrorisme ». Le statut de suspect est comme un sort jeté, dont il est extrêmement malaisé de se départir. Si vous ne faites rien, vous consentez à votre propre écrasement. Si vous vous défendez, vous avez l’air coupable, puisque vous vous défendez. Il faut donc attaquer résolument ; et c’est là que votre défense devient à son tour « terroriste ». Le parquet vous accuse de vouloir « déstabiliser l’instruction » tout comme il suspecte le Comité Invisible de vouloir « renverser l’État ». À ce propos, il serait bon de signaler au parquet la publication d’un nouveau texte du Comité Invisible, À nos amis, qui renseignera utilement l’accusation sur le peu de cas que le Comité Invisible fait des États, et par là de leur « renversement ».
Ce qui manque à tout argumentaire du parquet antiterroriste, et qui fait l’effet d’avoir affaire à des gens qui n’ont pas accès aux ressources de la logique, c’est que la matrice même de leur discours leur échappe, cette matrice étant inquisitoriale, chrétienne, et donc théologique. La justice n’est ici qu’un instrument au service d’une panique de civilisation. Comme l’appareil judiciaire a servi à inventer et liquider les sorcières, elle invente et liquide à présent les « terroristes », ces nouveaux « ennemis du genre humain » – ce que furent sorciers et sorcières en leur temps. Silvia Federici, dans son livre Caliban et les sorcières, fait d’ailleurs le parallèle : « Si la sorcellerie avait été qualifiée de crimen exceptum (c’est-à-dire un crime sur lequel on devait enquêter avec des moyens spéciaux, y compris la torture, punissable même en l’absence de dommage établi à la personne ou aux biens), c’est que la chasse aux sorcières ne visait pas des crimes socialement condamnés, mais des pratiques et des groupes de personnes auparavant intégrées qui devaient alors être éradiqués de la communauté, par la terreur et la criminalisation. Il s’agit là d’un processus souvent constaté dans la répression politique à une époque de changements sociaux et de conflits intenses. En ce sens, les accusations de sorcellerie jouèrent un rôle similaire aux accusations de « haute trahison » et aux accusations de « terrorisme » à notre époque. L’aspect vague de l’accusation, le fait qu’elle soit impossible à prouver, tout en évoquant le maximum d’horreur possible, impliquait qu’elle pouvait être utilisée pour punir toute forme de contestation ». Et pour se rapprocher au plus près du dossier qui nous occupe ici, cette autre citation du même livre : « André Vauchez attribue le « succès » de l’Inquisition à sa procédure. L’arrestation des suspects était préparée dans le plus grand secret. En premier lieu, la persécution consistait en rafles contre les assemblées d’hérétiques, organisées en collaboration avec les autorités. (…) Le travail de l’Inquisition romaine laissa de profondes cicatrices dans l’histoire de la culture européenne, créant un climat d’intolérance et de suspicion institutionnelle qui continue à corrompre le système juridique aujourd’hui. L’héritage de l’Inquisition est une culture du soupçon qui repose sur les accusations anonymes et le détention préventive, et traite les suspects comme si leur culpabilité était déjà prouvée. »
Le parallèle entre l’accusation de sorcellerie et celle de terrorisme pourrait sembler une sorte d’extrapolation un peu osée, nourrie par une visée politique dont le caractère « subversif » n’échappera à personne. Mais fort heureusement pour nous, il y a un événement contemporain où le souvenir de l’Inquisition, des sommes de Saint Thomas d’Aquin et des bulles papales étaient encore vivaces et où des catholiques entrèrent en guerre contre le « terrorisme », développant ainsi l’authentique argumentaire théologico-politique qui sert de soubassement ignoré aux pauvres constructions juridiques de l’antiterrorisme. Cet événement, c’est la guerre d’Algérie. On reprendra donc ici, pour le bénéfice de tous, un peu de l’exégèse livrée sur la question par une revue chrétienne confidentielle de pieds-noirs ayant à justifier en droit canon, voire en droit du canon, la nécessaire « lutte contre le terrorisme ». Les sophismes y sont si savoureux, et l’apport à l’intelligence du dossier que vous avez feint d’instruire, madame la Juge, si frappant, que nous citons un de ses passages in extenso ; et le laissons, en guise de conclusion, à votre méditation.
« La réflexion démontre, et l’expérience confirme, que dans la guerre révolutionnaire les véritables fauteurs de désordre ne sont pas toujours les hommes qui portent les armes ou participent matériellement à des actes de « terrorisme » – certains peuvent être victimes de la violence physique ou de cette violence plus implacable encore qu’est l’« endoctrinement ». Quelle que soit la gravité de leurs crimes, il en est qui les surpassent et c’est ce que nous pourrions appeler sans autre qualification le « crime de Révolution ». C’est celui des « prophètes » qui inspirent ces actes, des « propagateurs » qui les encouragent, des meneurs des « cellules » où s’enseigne « la théorie », des chefs qui ne participent souvent à aucun acte matériel.
Illustrons ceci en considérant ce « crime de Révolution » dans une de ses manifestations les plus ordinaires, l’appartenance à un mouvement révolutionnaire : voici quelques-uns des chefs d’accusation qui peuvent à servir à qualifier ce crime, et qui sont le plus souvent cumulés ensemble.
Crimes d’abord contre le bien commun, soit :
− Association de malfaiteurs particulièrement dangereux, puisqu’ils visent à la ruine de tout ordre et de tous biens, non seulement des biens des personnes, mais encore des biens communs de tous les corps sociaux, du bien commun de la Patrie et jusqu’au bien commun universel que la Révolution ne vise rien moins qu’à anéantir.
− Appartenance à une société secrète. Seule l’ État – et l’Église – sont des sociétés parfaites : toute société qui se soustrait par principe au contrôle de l’une d’elles se soustrait à l’ordre naturel : l’appartenance volontaire à une telle société, avec l’engagement de garder le secret, est donc subversive de l’ordre naturel.
− Enseignement d’opinions subversives de l’ordre national et universel : « Doctrine subversive de l’ordre social, puisqu’elle en détruit les fondements mêmes … programme de parti provenant de l’arbitraire humain et tout rempli de haine » (Pie XI, Encyclique Divini Redemptoris). Cet aspect de l’action révolutionnaire tire sa gravité particulière de l’importance des virtualités de désordre qui en dérivent. Les révolutionnaires sont particulièrement conscients de cette puissance subversive que constitue cet enseignement et c’est pourquoi ils y voient l’essentiel de l’action révolutionnaire, son aspect le plus actif : « sans théorie révolutionnaire, disent-ils, pas d’action révolutionnaire ».
− Trahison envers la Patrie : ne fût-ce qu’à raison des « services rendus », il n’est jamais permis de se révolter contre la « Mère Patrie ». Notre Seigneur en disant « rendez à César ce qui est à César » ne voulait pas signifier autre chose : et pourtant César était un colonisateur d’un type particulièrement totalitaire et tel qu’on n’en a guère vus depuis l’ère chrétienne – jusqu’aux asservissements des peuples à la Révolution.
− Si le membre du groupe révolutionnaire est un notable, un fonctionnaire, un chef naturel, un élu, un maître enseignant, il détourne les pouvoirs qu’il détient et l’autorité dont il jouit contre l’ordre naturel même auxquels ces pouvoirs et cette autorité sont ordonnés : ce détournement de pouvoir caractérisé est le plus grave cas de forfaiture ; c’est pour lui que Notre Seigneur a prononcé ses jugements les plus sévères : « Malheur à celui qui scandalise ». Et le scandale est d’autant plus grand qu’il vient de plus haut.
− Le militant d’un groupement révolutionnaire, fauteur d’actes révolutionnaires, est l’auteur formel de tous ces crimes – même inconnus de lui – qui pourront être perpétrés sur l’impulsion qu’il a sciemment donnée, et cela d’autant plus que les auteurs matériels pourront être influençables : car c’est de l’intention que relève principalement la qualification des actes humains. C’est pourquoi Pie XII dit des inspirateurs qu’ils sont plus coupables que les auteurs matériels. » (« Morale, droit et guerre révolutionnaire », Contact, mai-juin 1958)
On laissera au bon soin de ceux qui savent lire, ainsi qu’à ceux que la logique n’effraie pas, de juger si L’insurrection qui vient « expose les nécessités de provoquer une insurrection, laquelle serait conduite par des groupes isolés ayant adopté un mode de vie communautaire, qui auront assuré leur clandestinité ». En revanche, on relèvera pour l’avenir ce genre de perles : « la finalité terroriste du groupuscule ainsi constitué ne saurait être nuancée par l’absence de victimes humaines [les survivants de Charlie Hebdo apprécieront] ni même par l’absence de réel risque de voir des vies humaines atteintes par les actes projetés en l’état » ou encore « cette finalité terroriste de ce groupuscule ne saurait non plus être nuancée par l’aspect politique de leur mouvement. Si la promotion idéologique d’une nécessité de changer de société est une position politique protégée par la liberté d’opinion, sa mise en oeuvre par l’intimidation et la terreur relève de la délinquance dont la répression est prévue par la loi. Le dol spécial de l’infraction terroriste est par nature politique puisque instiller l’intimidation ou la terreur a comme finalité l’exercice d’une forme de pouvoir sur la société. Mais faire confondre l’exercice de la liberté politique et l’action terroriste comme les mis en examen ont tenté de le faire afin de se victimiser, relève d’un mode de défense qui ne saurait emporter la conviction tant il est convenu et commun à l’ensemble des groupes terroristes quelque que (sic) soit leur importance ». Quand on s’avise que pour rattacher les sabotages de caténaires à une « finalité terroriste », il a fallu les rapprocher arbitrairement d’une phrase extraite de L’insurrection qui vient, mais surtout les dissocier de leur propre revendication par des activistes antinucléaires allemands. Quand on s’avise, donc, que la finalité terroriste relève de la plus stricte décision du parquet de prêter aux mis en examen telle ou telle intention – le même parquet qui est bien embarrassé quand, du fait d’un revirement de la diplomatie française, il doit s’asseoir sur toutes ses diatribes contre le PKK, maintenant que d’« organisation terroriste » celui-ci est devenu le pourfendeur du djihadisme et le libérateur de Kobané. Alors, il devient extrêmement retors de voir dans le fait que des mis en examen contestent l’absurde incrimination de terrorisme les concernant, une preuve supplémentaire de leur vocation terroriste. Ce genre de raisonnement judiciaire circulaire nous ramène évidemment au bon vieux temps des procès en sorcellerie : la preuve que c’est une sorcière, c’est qu’elle pousse le vice jusqu’à prétendre ne pas l’être. Il ne faut jamais oublier que la plupart des sorcières ont été pourchassées par des tribunaux laïques et non religieux ; et que cet héritage y pèse encore de tout son poids, en particulier en matière antiterroriste.
Ainsi que l’Histoire l’a amplement montré, y compris celle des révolutions, la suspicion est dans le regard, non dans l’être que ce regard condamne d’avance. C’est pourquoi elle est de nature épidémique. Il y a eu en Europe, du XIVe au XVIIIe siècle, une incompréhensible « épidémie de sorcellerie » exactement comme nous sommes contemporains d’une épidémie mondiale de « terrorisme ». Le statut de suspect est comme un sort jeté, dont il est extrêmement malaisé de se départir. Si vous ne faites rien, vous consentez à votre propre écrasement. Si vous vous défendez, vous avez l’air coupable, puisque vous vous défendez. Il faut donc attaquer résolument ; et c’est là que votre défense devient à son tour « terroriste ». Le parquet vous accuse de vouloir « déstabiliser l’instruction » tout comme il suspecte le Comité Invisible de vouloir « renverser l’État ». À ce propos, il serait bon de signaler au parquet la publication d’un nouveau texte du Comité Invisible, À nos amis, qui renseignera utilement l’accusation sur le peu de cas que le Comité Invisible fait des États, et par là de leur « renversement ».
Ce qui manque à tout argumentaire du parquet antiterroriste, et qui fait l’effet d’avoir affaire à des gens qui n’ont pas accès aux ressources de la logique, c’est que la matrice même de leur discours leur échappe, cette matrice étant inquisitoriale, chrétienne, et donc théologique. La justice n’est ici qu’un instrument au service d’une panique de civilisation. Comme l’appareil judiciaire a servi à inventer et liquider les sorcières, elle invente et liquide à présent les « terroristes », ces nouveaux « ennemis du genre humain » – ce que furent sorciers et sorcières en leur temps. Silvia Federici, dans son livre Caliban et les sorcières, fait d’ailleurs le parallèle : « Si la sorcellerie avait été qualifiée de crimen exceptum (c’est-à-dire un crime sur lequel on devait enquêter avec des moyens spéciaux, y compris la torture, punissable même en l’absence de dommage établi à la personne ou aux biens), c’est que la chasse aux sorcières ne visait pas des crimes socialement condamnés, mais des pratiques et des groupes de personnes auparavant intégrées qui devaient alors être éradiqués de la communauté, par la terreur et la criminalisation. Il s’agit là d’un processus souvent constaté dans la répression politique à une époque de changements sociaux et de conflits intenses. En ce sens, les accusations de sorcellerie jouèrent un rôle similaire aux accusations de « haute trahison » et aux accusations de « terrorisme » à notre époque. L’aspect vague de l’accusation, le fait qu’elle soit impossible à prouver, tout en évoquant le maximum d’horreur possible, impliquait qu’elle pouvait être utilisée pour punir toute forme de contestation ». Et pour se rapprocher au plus près du dossier qui nous occupe ici, cette autre citation du même livre : « André Vauchez attribue le « succès » de l’Inquisition à sa procédure. L’arrestation des suspects était préparée dans le plus grand secret. En premier lieu, la persécution consistait en rafles contre les assemblées d’hérétiques, organisées en collaboration avec les autorités. (…) Le travail de l’Inquisition romaine laissa de profondes cicatrices dans l’histoire de la culture européenne, créant un climat d’intolérance et de suspicion institutionnelle qui continue à corrompre le système juridique aujourd’hui. L’héritage de l’Inquisition est une culture du soupçon qui repose sur les accusations anonymes et le détention préventive, et traite les suspects comme si leur culpabilité était déjà prouvée. »
Le parallèle entre l’accusation de sorcellerie et celle de terrorisme pourrait sembler une sorte d’extrapolation un peu osée, nourrie par une visée politique dont le caractère « subversif » n’échappera à personne. Mais fort heureusement pour nous, il y a un événement contemporain où le souvenir de l’Inquisition, des sommes de Saint Thomas d’Aquin et des bulles papales étaient encore vivaces et où des catholiques entrèrent en guerre contre le « terrorisme », développant ainsi l’authentique argumentaire théologico-politique qui sert de soubassement ignoré aux pauvres constructions juridiques de l’antiterrorisme. Cet événement, c’est la guerre d’Algérie. On reprendra donc ici, pour le bénéfice de tous, un peu de l’exégèse livrée sur la question par une revue chrétienne confidentielle de pieds-noirs ayant à justifier en droit canon, voire en droit du canon, la nécessaire « lutte contre le terrorisme ». Les sophismes y sont si savoureux, et l’apport à l’intelligence du dossier que vous avez feint d’instruire, madame la Juge, si frappant, que nous citons un de ses passages in extenso ; et le laissons, en guise de conclusion, à votre méditation.
« La réflexion démontre, et l’expérience confirme, que dans la guerre révolutionnaire les véritables fauteurs de désordre ne sont pas toujours les hommes qui portent les armes ou participent matériellement à des actes de « terrorisme » – certains peuvent être victimes de la violence physique ou de cette violence plus implacable encore qu’est l’« endoctri-nement ». Quelle que soit la gravité de leurs crimes, il en est qui les surpassent et c’est ce que nous pourrions appeler sans autre qualification le « crime de Révolution ». C’est celui des « prophètes » qui inspirent ces actes, des « propagateurs » qui les encouragent, des meneurs des « cellules » où s’enseigne « la théorie », des chefs qui ne participent souvent à aucun acte matériel.
Illustrons ceci en considérant ce « crime de Révolution » dans une de ses manifestations les plus ordinaires, l’appartenance à un mouvement révolutionnaire : voici quelques-uns des chefs d’accusation qui peuvent à servir à qualifier ce crime, et qui sont le plus souvent cumulés ensemble.
Crimes d’abord contre le bien commun, soit :
− Association de malfaiteurs particulièrement dangereux, puisqu’ils visent à la ruine de tout ordre et de tous biens, non seulement des biens des personnes, mais encore des biens communs de tous les corps sociaux, du bien commun de la Patrie et jusqu’au bien commun universel que la Révolution ne vise rien moins qu’à anéantir.
− Appartenance à une société secrète. Seule l’ État – et l’Église – sont des sociétés parfaites : toute société qui se soustrait par principe au contrôle de l’une d’elles se soustrait à l’ordre naturel : l’appartenance volontaire à une telle société, avec l’engagement de garder le secret, est donc subversive de l’ordre naturel.
− Enseignement d’opinions subversives de l’ordre national et universel : « Doctrine subversive de l’ordre social, puisqu’elle en détruit les fondements mêmes … programme de parti provenant de l’arbitraire humain et tout rempli de haine » (Pie XI, Encyclique Divini Redemptoris). Cet aspect de l’action révolutionnaire tire sa gravité particulière de l’importance des virtualités de désordre qui en dérivent. Les révolutionnaires sont particulièrement conscients de cette puissance subversive que constitue cet enseignement et c’est pourquoi ils y voient l’essentiel de l’action révolutionnaire, son aspect le plus actif : « sans théorie révolutionnaire, disent-ils, pas d’action révolutionnaire ».
− Trahison envers la Patrie : ne fût-ce qu’à raison des « services rendus », il n’est jamais permis de se révolter contre la « Mère Patrie ». Notre Seigneur en disant « rendez à César ce qui est à César » ne voulait pas signifier autre chose : et pourtant César était un colonisateur d’un type particulièrement totalitaire et tel qu’on n’en a guère vus depuis l’ère chrétienne – jusqu’aux asservissements des peuples à la Révolution.
− Si le membre du groupe révolutionnaire est un notable, un fonctionnaire, un chef naturel, un élu, un maître enseignant, il détourne les pouvoirs qu’il détient et l’autorité dont il jouit contre l’ordre naturel même auxquels ces pouvoirs et cette autorité sont ordonnés : ce détournement de pouvoir caractérisé est le plus grave cas de forfaiture ; c’est pour lui que Notre Seigneur a prononcé ses jugements les plus sévères : « Malheur à celui qui scandalise ». Et le scandale est d’autant plus grand qu’il vient de plus haut.
− Le militant d’un groupement révolutionnaire, fauteur d’actes révolutionnaires, est l’auteur formel de tous ces crimes – même inconnus de lui – qui pourront être perpétrés sur l’impulsion qu’il a sciemment donnée, et cela d’autant plus que les auteurs matériels pourront être influençables : car c’est de l’intention que relève principalement la qualification des actes humains. C’est pourquoi Pie XII dit des inspirateurs qu’ils sont plus coupables que les auteurs matériels. » (« Morale, droit et guerre révolutionnaire », Contact, mai-juin 1958)