Le procès-verbal de filature D104 qui rapporte les observations faites par les agents de la SDAT dans la nuit du 7 au 8 novembre a été extensivement analysé, décortiqué et discuté par la défense comme par les policiers eux-mêmes à travers leurs diverses explications au sein de la procédure de céans, ainsi que dans le cadre d’une information judiciaire instruite au Tribunal de Grande Instance de Nanterre des chefs de faux en écriture publique. Un certain nombre de contradictions ont été relevées au fil de l’enquête et des explications successives des policiers présents lors de la surveillance. Ayant été exposée à de multiples reprises, nous nous contenterons d’en faire une liste non-exhaustive :
– les horaires de la filature exposés au sein du procès-verbal sont incompatibles avec la réalité spatio-temporelle des lieux ;
– la description des routes empruntées n’est pas compatible avec la réalité géographique des lieux. A titre d’exemples, les policiers décrivent des ponts là où se trouvent des tunnels, ou inventent des directions et des signalétiques contraires à la géographie de la zone ;
– les traces de pneus et de pas relevés par la gendarmerie ne correspondent ni à ceux de la Mercedes ni à ceux de M. Coupat ;
– les policiers expliquaient enjamber un grillage qui mesure au moins deux mètres de hauteur ;
– la description du lieu où aurait été stationnée la Mercedes a varié à trois reprises ;
– l’accusation demeure persuadée à ce stade que deux tubes de PVC de 2 mètres chacun ont été achetés par Julien Coupat et Yildune Lévy, avant d’être déposés en travers de l’habitacle de leur véhicule, transportés, extraits du véhicule pour déposer les fers à bétons, remis en travers de l’habitacle, sortis du véhicule, et enfin jetés dans la Marne… Tout cela sans qu’un seul des dix-huit policiers présents sur les lieux ne les ait remarqués.
– l’enregistrement de la communication entre la police ferroviaire et le poste de sécurité de la SNCF visant à les avertir de la possibilité d’un sabotage n’a accidentellement et fort opportunément pas fonctionné (D629, D1606);
– les employés de la SNCF n’ont été informés d’une difficulté sur la ligne de chemin de fer que le lendemain à 9H55 heures. « Ouais, à 5 heures ! Il est temps qu’ils se réveillent, ils nous appellent 5 heures après mais bon… » (D633, D1606)
– un policier de la SDAT chargé de l’enquête a déclaré au journaliste David Dufresnes, sous couvert d’anonymat « Nous, on était sur le train Castor. Et il ne passait pas par là… En fait, on va apprendre les sabotages des caténaires par France Info… Et là on pige ce qui s’est passé. » ;
– Stéphane Velpry, officier de la SDAT, prétend être resté stationné à proximité du lieu supposé des sabotages au moment même où il rédigeait un autre procès-verbal au siège de la DCRI à Levallois-Perret ;
– Yildune Lévy a utilisé sa carte bleue dans le centre de Paris au moment où les policiers prétendent l’observer en Seine-et-Marne ;
– Les policiers prétendent avoir débuté la surveillance de la Mercedes de M. Coupat à 10H30 du matin, mais ce n’est qu’11 heures et 20 minutes plus tard qu’ils seraient parvenus à identifier la cible de leur filature en la personne de Julien Coupat ;
– Arnaud Lambert assure dans un procès-verbal que la totalité de son effectif s’est rendu au Trilport afin de fouiller une poubelle et d’en extraire un emballage de lampe frontale, tandis que les dix-sept autres policiers composant le dispositif de surveillance affirment ne pas avoir participé à cet événement ;
– selon leurs déclarations, MM Mancheron et Lambert étaient tous deux, au même moment, les conducteurs du même véhicule ;
– M. Mancheron affirme avoir effectué seul une approche piétonne du lieu des sabotages puisque, dit-il, le reste du dispositif avait perdu le contact visuel avec le véhicule supposément filé. Pourtant, les agents A5 et A11, situés à d’autres points du dispositif, certifient avoir accompagné M. Mancheron. De même, trois autres policiers (A9, A01, A4) déclarent avoir vu le véhicule stationné, contredisant là encore les explications de MM Lambert et Mancheron ;
– l’agent A 01 de la DCRI précise qu’à partir de 4H20 du matin, il suivait la Mercedes jusqu’à son retour dans Paris tout en procédant, au même moment, à l’examen des voies à Dhuisy, et en étant témoin d’un arc électrique à 5H10 ;
– l’agent A5 fait coïncider la visualisation du véhicule à 4H20 et l’examen des voies à 5h. A l’arrivée du train, il assure s’être dissimulé derrière un cabanon, oubliant qu’officiellement, la Mercedes avait quitté la zone depuis 50 minutes. Il concédait ne pas comprendre le déroulé supposé de la surveillance ;
– l’agent A8 précisait s’être dissimulé de la vue du train lorsque celui-ci était passé, pensait que la filature consistait à surveiller les voies, et précisait ne pas comprendre le déroulé supposé de la surveillance ;
– L’agent A7 assurait quant à lui avoir quitté le dispositif à la levée du jour, soit à 7H57, c’est-à-dire plus de deux heures après le départ officiel de ses collègues ;
– L’agent A12 prétendait quitter le dispositif policier à 3H30 tout en assurant être toujours sur les lieux à 5H50 ;
– L’agent A1, qui confirmait avoir participé à cette filature, assurait pourtant n’avoir jamais aperçu la voiture filée pas plus que ses passagers…
S’agissant des dégradations commises dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008 à VIGNY, les services de police ont effectivement réussi à démontrer que Julien Coupat et Gabrielle Hallez avaient passé le weekend chez les parents de cette dernière et se trouvaient, comme plusieurs centaines de milliers d’autres français et allemands à moins de 2 heures de routes des lieux des dégradations.
Au vu de ces éléments et des dizaines d’autres que nous ne prendrons pas la peine sur surajouter à la présente, la défense a réclamé :
– l’audition des fonctionnaires de police ayant rédigé le PV 104 ;
– l’audition de M. Velpry afin qu’il explique son don d’ubiquité ;
– la communication du registre des entrées et sorties des locaux de la SDAT afin de savoir si M. Velpry était en Seine-et-Marne comme il l’atteste ou dans son bureau comme il le consigne sur Procès-Verbal. ;
– l’audition des agents ayant pris part à la filature ;
– la reconstitution de la filature afin de confronter la réalité géographique des lieux avec les déclarations des policiers présents lors de la surveillance ;
– un déplacement sur les lieux supposés du sabotage en présence des policiers ;
– l’audition de M. Dufresne, afin qu’il confirme les propos de l’agent de la SDAT affirmant que son service n’avait fait le rapprochement entre ces sabotages et nos clients que le lendemain matin des faits dont s’agit, en écoutant la radio ;
– l’audition des policiers ayant saisi les effets personnels de Mme Lévy ;
– l’audition du directeur de la DGSI tendant à affirmer ou infirmer la classification « secret défense » des informations sollicitées, ayant conduit les fonctionnaires interrogés et agissant sous son commandement à refuser de répondre aux questions posées ; etc…
Toutes ces demandes d’actes ont été purement et simplement rejetées, et la plainte avec constitution de parties civiles instruite au Tribunal de Grande Instance de NANTERRE des chefs de faux en écriture publique a bien évidemment fait l’objet d’une ordonnance de non-lieu, confirmée par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel. Les péripéties de cette information judiciaire, marquée par l’impossible manifestation de la vérité sous couvert d’un opportun secret-défense, feront très probablement l’objet de discussions en audience publique, dans l’hypothèse d’un renvoi de nos clients devant une juridiction de jugement. A ce stade, nous nous contenterons de constater que le dépôt de cette plainte avec constitution de parties civiles est bien évidemment lié à l’impossibilité pour nos clients de pouvoir contester l’authenticité de la dite surveillance dans le cadre de la procédure de céans, toutes leurs demandes d’actes en ce sens ayant été rejetées.
Il aurait pourtant suffi d’ordonner la transmission des registres d’entrées et de sorties des fonctionnaires de la SDAT dans les locaux de LEVALLLOIS PERRET pour que toute la lumière soit faite sur cette surveillance sujette à caution. .Qu’elle ait été refusée démontre, une nouvelle fois, l’appréhension de l’autorité poursuivante et des magistrats instructeurs de voir toute un pan d’instruction s’effondrer.
Il était pourtant aisé, dans le cadre de cette information, de mettre un terme à ce que le parquet dénonce comme des « tentatives de déstabilisation » en faisant droit aux demandes d’actes d’instruction complémentaires de la défense et en constatant que lesdits actes d’instruction complémentaires confirmaient la bonne foi des policiers présents sur les lieux de surveillance. Mais, encore une fois et pour cause, un tel risque n’a pas été pris, et c’est à l’accusation de s’en défendre.