Yildune Lévy invoque son droit de retrait

Jour 5. Où l’ex de Julien Coupat pensait tenir un alibi en béton grâce à sa carte bleue et où l’audience plonge dans les eaux troubles de la Marne.
21 mars 2018
Camille Polloni / Paru dans Les Jours - Photo : Marc Chaumeil/Divergence images

Malgré les débats mouvementés de vendredi dernier, la question de la filature d’Yildune Lévy et Julien Coupat dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 – dite « la nuit du fer à béton » (celui qui, déposé sur une caténaire, a saboté une ligne TGV) – n’avait pas été complètement épuisée (contrairement à l’assistance). L’audience de ce mardi a donc eu tendance à remonter dans les tours. Comme quand Julien Coupat a reproché à la présidente Corinne Goetzmann d’avoir pris un ton de « maîtresse d’école » pour exposer sur une carte IGN un itinéraire qui « écrase les versions successive des policiers » et leur redonne de la cohérence. D’autant, accuse-t-il, qu’elle n’a pas tenu compte des « vingt-cinq énormités soulevées par la défense » – dont la démonstration était toutefois laborieuse (lire l’épisode 4, « La nuit de l’invraisemblable filature »).

Après un week-end salutaire, les prévenus et l’avocat Jérémie Assous ont davantage réussi à faire passer leur message sur les « accumulations d’erreurs » de la version policière : la description des chemins empruntés, les temps de trajet indiqués, la position géographique des participants à la filature posent question. Mathieu Burnel a rappelé que pendant l’instruction, les policiers « ont refusé de donner leur numéro de téléphone (qui aurait permis d’établir leur présence sur les lieux grâce au bornage, ndlr) et de dire quel véhicule ils conduisaient ». « Nous avons eu des réponses de voyous », complète Jérémie Assous, certains enquêteurs affirmant avoir oublié le numéro de téléphone qu’ils utilisaient à l’époque. Si le procureur admet qu’« à plusieurs reprises, les policiers mélangent un peu leur mémoire », il n’y voit pas malice. Tandis que Julien Coupat, tout à sa tâche de convaincre le tribunal que le PV de filature est « un faux extrêmement mal fait », prend par moments des accents plus percutants : « Ça fait dix ans qu’on subit la charge du ministère public. Ces gens ont saccagé nos vies, ils nous ont traînés dans la boue. » La présidente Corinne Goetzmann lui reproche tout de même de « faire le procès de l’audience » sans répondre « sur ce qu’[il a] fait cette nuit-là ». Il confirme finalement les déclarations d’Yildune Lévy : « Nous avons dormi devant Le Mouflon d’or (l’hôtel était complet ce soir-là, ndlr), nous sommes effectivement allés faire l’amour dans la voiture un peu plus loin et ensuite nous sommes rentrés à Paris. » Julien Coupat se souvient avoir « attendu dans la voiture » pendant qu’Yildune Lévy allait retirer de l’argent, comme elle l’a expliqué ce mardi.

À proximité d’un des lieux où ont été sabotées des lignes TGV, en Seine-et-Marne — Photo Marc Chaumeil/Divergence images.

Les relevés de compte d’Yildune Lévy montrent en effet un retrait de 40 euros, à 2 h 44 du matin le 8 novembre 2008, dans un distributeur de Pigalle. Ce qui tend à montrer qu’elle se trouvait à Paris, et non en Seine-et-Marne, au moment du sabotage de Dhuisy. Mais cette information est apparue tardivement dans le dossier, fin 2011. Inexplicablement, les réquisitions bancaires lancées sur le compte de tous les prévenus après les arrestations s’étaient avérées infructueuses dans son cas. « Ce retrait passe apparemment inaperçu de tout le monde », note la présidente. À la barre, Yildune Lévy explique ne s’en être rendue compte qu’en consultant le dossier d’instruction. « Là, je revois la scène, le distributeur de La Poste. » Elle se souvient bien avoir retiré de l’argent cette nuit-là pour « acheter des clopes dans un bar de nuit ». Alors qu’elle est mise en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste depuis trois ans, elle est alors « persuadée que c’est terminé ».

Maintenant je ne quitte plus ma montre, je dors avec, je me lave avec.

Yildune Lévy
Les délais de conservation des bandes de vidéosurveillance étant déjà dépassés, Yildune Lévy n’arrivera pas à établir que c’est bien elle qui a retiré l’argent. La présidente s’engouffre dans cette brèche, avec sa compréhension toute personnelle du mode de vie des prévenus. Si « les affaires peuvent être mises en commun », Yildune Lévy n’aurait-elle pas prêté sa carte bancaire à quelqu’un d’autre ? « Je comprends le raisonnement », concède l’intéressée, qui exclut cependant de « partager les 200 ou 300 euros qu’[elle a] sur [s]on compte » avec le premier ami venu. La jeune femme estime qu’il serait « délirant » de se donner tant de peine pour « fabriquer un alibi » sans l’avoir utilisé plus tôt pour se tirer d’affaire.Si Yildune Lévy se trouvait bien à Pigalle, à 2 h 44 du matin, il aurait fallu quitter la Seine-et-Marne au moins une heure avant. Or, le couple n’a jamais donné d’horaire clair sur son retour à Paris. En garde à vue, « je m’en tiens au cadre horaire sur lequel on me pose des questions », explique Yildune Lévy, tout en reconnaissant son erreur : « Maintenant je ne quitte plus ma montre, je dors avec, je me lave avec. » Julien Coupat et Yildune Lévy maintiennent donc que les policiers, une fois les sabotages connus, auraient inventé a posteriori une partie de la filature. « Peut-être qu’ils pensent vraiment que c’est nous, alors ils font un truc un peu bidouillé », suggère Yildune Lévy. « Je pense qu’on leur met une pression de malade au niveau politique. On leur dit : “Il nous faut des coupables.” On est des bons clients. On est fichés, on n’a pas de portables. » La présidente s’interroge : pourquoi, dans cette hypothèse, les policiers n’écrivent-ils pas noir sur blanc qu’ils ont vu le couple commettre le sabotage, voire deux autres, commis à proximité la même nuit ? Julien Coupat, sans « arriver à [se] mettre tout à fait dans la tête d’un enquêteur », évoque un « pari politique et policier ». « Quand vous inventez, c’est a minima, pour ne pas prendre le risque d’affirmer des choses trop précises. » Et conclut, péremptoire : « Nous avons un avantage sur l’ensemble des acteurs du dossier, c’est que nous savons la vérité. »

Julien Coupat au premier jour de son procès, à Paris, le 13 mars — Photo Christophe Morin/IP3.

Facétie d’un dossier qui en est riche, le retrait d’argent à Paris – plutôt favorable à Yildune Lévy – a été découvert alors que les enquêteurs cherchaient à savoir si elle aurait pu utiliser sa carte bleue pour acheter les perches ayant servi au sabotage. Comme l’a rappelé la présidente, les policiers responsables de la filature « ne voient jamais Julien Coupat et Yildune Lévy aller dans un magasin de bricolage » mais ils les ont perdus à trois reprises dans l’après-midi, dont une fois à proximité du Bricorama de Châtillon, dans les Hauts-de-Seine. Ce jour-là, le magasin a bien vendu deux tubes en PVC de deux mètres de long, qui mis bout à bout peuvent permettre de poser un fer à béton sur une caténaire.

À quatre reprises, le juge d’instruction a envoyé des plongeurs de la brigade fluviale fouiller la Marne, pour savoir si de tels tubes reposaient au fond de la rivière. Les trois premières plongées ne donnent rien. La Marne recèle des vélos, des tambours de machines à laver, des plaques d’immatriculation, des chariots de supermarché et divers tubes et bâtons… mais pas de la bonne taille. Le 26 mars 2010, la pêche est miraculeuse : deux beaux tubes qui pourraient provenir du Bricorama de Châtillon. Sur ce point, l’avocate Marie Dosé, aidée par sa cliente (Yildune Lévy est archéologue) et par des amis de celle-ci (ingénieurs) a concocté une note plutôt convaincante. Elle montre que la Marne a connu « cinq épisodes de crue » entre les faits et la découverte des tubes, « une mise au chômage » (quand on fait baisser le niveau d’un cours d’eau pour le nettoyer) et plusieurs dragages du fond. L’idée que « seize mois après les faits », ces tubes « n’auraient pas bougé » et ne se seraient même pas enfoncés dans la vase ne lui semble « pas sérieuse », surtout dans une zone « déjà explorée » par les plongeurs « 48 heures plus tôt ».

« Mon rôle est peut-être de mettre les pieds dans le plat », suggère depuis le banc des prévenus Mathieu Burnel, qui poursuit le raisonnement jusqu’à son terme : « Pour ma part, je pense que ces tubes ont été déposés là par des agents de police, et pas un an et demi avant. » Il soulève un problème « mathématique ». « Quelle est la probabilité pour que les policiers ne voient pas Julien Coupat et Yildune Lévy sortir de leur voiture, qu’ils ne les voient pas acheter des tubes, ni sortir avec, ni les rentrer dans la voiture, ni rouler jusqu’en Seine-et-Marne avec les tubes à bord, ni sortir les tubes, les emboîter en quelques secondes, faire les sabotages, démonter et ranger les tubes, les ressortir et les jeter dans la Marne, sans jamais les voir ? » La présidente prend les mathématiques avec philosophie : « Je crois qu’après ça, Me Assous va raccrocher la robe parce qu’il n’aura plus rien à dire. » Ce procès a pourtant déjà démontré qu’il ne faut jurer de rien.

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