Jour 3. Où l’on discute sabotage, fer à béton et piste allemande. Et où l’on constate que l’ambiance entre défense et accusation vire électrique.
16 mars 2018
Camille Polloni / Paru dans Les Jours / Photo : Marc Chaumeil/Divergence images
Au troisième jour d’un procès qui doit en durer douze, tout le monde commence à fatiguer et l’exprime différemment. La salle devient chaude et moite, avec de la buée sur les vitres. Le public venu soutenir les « huit de Tarnac », tassé sur des bancs inconfortables, applaudit les meilleures vannes et se marre bruyamment à chaque intervention du procureur. Les journalistes, las de leur sandwich poulet-mayo quotidien, se tortillent ou s’en vont. Les prévenus, selon leur caractère, font corps avec leur chaise, discutent entre eux ou interviennent à tout bout de champ. Quant à Jérémie Assous, l’avocat de sept d’entre eux, dont Julien Coupat, il emplafonne le procureur en continu.
Ce jeudi, un débat non dépourvu d’intérêt sur la téléphonie (sur lequel nous reviendrons plutôt dans le prochain épisode) a failli tourner au pugilat entre un Jérémie Assous déchaîné et le procureur, Olivier Christen, jusqu’ici placide. Excédé par «l’écran de fumée» que voudrait créer la défense, il a fini par s’adresser directement aux prévenus les plus loquaces, Julien Coupat et Mathieu Burnel, pour les enjoindre d’accepter la contradiction : «Vous aimez bien parler uniquement dans votre environnement, qui vous écoute tenir des discours pontifiants.» Jérémie Assous rattrape la balle au bond pour le chauffer un peu plus : «Nous voulons un débat avec l’accusation. On aurait été ravis que votre supérieur hiérarchique, M. Marin (le procureur de Paris au moment des arrestations, qui n’a pas souhaité témoigner, ndlr), soit là. Ce qu’on attend, et c’est votre mission de procureur de la République, c’est de participer au débat.» «Vous plaidez surtout pour la presse», rétorque Christen, rappelant les impératifs du planning déjà bien mis à mal. La présidente prie les parties, hurlant l’une contre l’autre depuis cinq minutes, de «suivre l’ordre des choses».
Le tribunal doit se pencher sur les sabotages commis sur les voies TGV en 2008. En tout, il y en a eu cinq, à chaque fois provoqués par des fers à béton usinés en forme de crochets d’une trentaine de centimètres, pour un poids d’environ deux kilos, déposés sur les caténaires (un ensemble de câbles d’alimentation électrique) qui surplombent les voies. Lorsqu’un train passe, son pantographe, cette espèce de grande antenne déployée depuis le toit, se prend dans les crochets et arrache la caténaire. Il n’y a aucun risque de déraillement, mais le courant saute et la circulation des trains se retrouve bloquée, puis perturbée pendant plusieurs heures. Le premier sabotage de ce type a eu lieu dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008 à Vigny (Moselle), sur le trajet du TGV Est. Julien Coupat et son ancienne compagne Gabrielle Hallez, d’abord soupçonnés de l’avoir commis, ne sont finalement pas renvoyés devant le tribunal pour ces faits (Gabrielle Hallez, d’ailleurs, n’est pas renvoyée du tout). En revanche, Julien Coupat et Yildune Lévy se voient toujours reprocher le sabotage commis dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 à Dhuisy (Seine-et-Marne), celui qui a déclenché l’affaire Tarnac. Le TGV de reconnaissance – donc sans voyageurs – de 5 h 12 s’est pris le pantographe dans ce crochet-là.