C’est le dossier à charge à lui tout seul. Sûr de lui. Droit dans ses bottes. Droit dans son rôle. Le commissaire divisionnaire Fabrice Gardon a demandé à être entendu au procès de Tarnac. Personne ne l’avait convoqué. Il vient, volontaire, défendre « l’honneur de la Sdat » (sous-direction antiterroriste) dont l’enquête a été « injustement discréditée depuis des années ». Il le fait pour « couper court à certains fantasmes ». Et pendant une bonne heure, en ce sixième jour de procès, il y parvient presque. Il connaît son dossier par cœur. À l’écouter, tout se tient. Son récit repasse le film des événements, c’est-à-dire une opération de « sabotages coordonnés ». Le film vu par la police en tout cas, et que la défense n’a cessé de démonter depuis le premier jour. Depuis dix ans.
Il parle d’une voix assurée. Son débit est rapide. Tenue impeccable. Il n’exprime aucune émotion. Il explique. Récite presque. Il était chef de la division terrorisme international entre 2005 et 2009. Un de ses groupes était en charge de l’affaire dite de Tarnac. Elle n’était pas dans les dossiers prioritaires – comme l’étaient l’islam radical ou le PKK… Le groupe était surveillé pour « intimidation » et non « terreur ». « À aucun moment nous n’avons subi de pressions pour prioriser ce dossier ou l’orienter. Nous avions entière latitude… », précise Fabrice Gardon.
Il refait l’historique de la surveillance du groupe. « Classique », jusqu’en octobre 2008 où elle a connu une « accélération ». Il récite les « points chauds » de l’emploi du temps de Julien Coupat entre début octobre et le 7 novembre. Le jour où il a récupéré sa Mercedes (celle qu’il utilisera avec Yildune Lévy la nuit du 7 au 8 novembre). Le jour où – 3 novembre 2008 –, il s’est rendu à une manifestation à Vichy contre un sommet sur l’immigration réunissant plusieurs ministres de l’Intérieur européens… Fabrice Gardon décrit comment Julien Coupat était « leader » d’un groupe d’action radicale sur place, comment il a foncé sur des barrières ou brisé des cordons de CRS. Fabrice Gardon cite aussi la nuit que Julien Coupat a passée à Vigny en Moselle avec son ex-compagne, Gabrielle Hallez, chez la mère de celle-ci, à 104 kilomètres du premier sabotage sur une ligne SNCF avec fer à béton…
« Surveillance particulière »
Le 7 novembre 2008, le groupe antiterroriste était averti du passage d’un train Castor, chargé de déchets nucléaires. Sachant que c’était une cible potentielle pour des « militants antinucléaires » ou des « anarcho-autonomes », Fabrice Gardon décide de mettre en place une « surveillance particulière » sur le groupe de Tarnac. Comme Yildune Lévy était suivie en Seine-et-Marne, il se dit certain qu’elle n’était pas à Pigalle à 2 heures et quelques du matin pour retirer de l’argent. Aucun doute, pour lui, la prévenue a « menti ». Elle a menti aussi pendant sa garde-à-vue, insiste-t-il, plus tard, semblant sceptique sur la crise de titanie de la jeune femme qui « n’avait pas d’antécédents psychiatriques, d’après son père ».
« Mais étiez-vous présent lors de cette garde-à-vue ? », interroge alors Corinne Goetzmann. Le témoignage de Fabrice Gardon a semblé accablant pour les prévenus pendant une heure : Mathieu Burnel a plongé la tête dans ses bras croisés sur la table, Julien Coupat s’est affaissé derrière son ordinateur, Yildune Lévy a disparu derrière une pile de dossiers et ne relève les yeux que pour les questions de la présidente. Car celle-ci semble décidée à mettre les mains dans le cambouis. Joue-t-elle son impartialité sur ce moment charnière ? Corinne Goetzmann ne lâche pas Fabrice Gardon pendant une heure. L’interroge sur tous les dessous des procédures : la répartition des responsabilités entre les services de police – Sdat et DCRI – la nuit du 7 au 8 novembre, la rédaction des PV – « en trente ans de carrière, j’ai vu des PV rédigés par toute l’équipe non par un ou deux rédacteurs… » –, les moyens techniques de retrouver des véhicules perdus lors d’une surveillance etc.
Le tribunal « induit en erreur » ?
Fabrice Gardon perd un peu de son aisance pendant cet « interrogatoire ». Quand la présidente le questionne sur les motifs des arrestations de Mathieu Burnel et Aria Thomas, il se trouble, ne sait plus… Sur le recueil du témoignage sous X de Jean-Hugues Bourgeois, il défend une version « édulcorée », lors de la deuxième audition. « Contradictoire ! », le reprend la présidente qui se dit alors « pas du tout d’accord avec cette version ». « Aurait-on induit le tribunal en erreur ? », susurre-t-elle. « Je ne suis pas là pour justifier les décisions d’un magistrat instructeur », se débine soudain Fabrice Gardon, jusqu’alors extrêmement loyal.
« Aucun doute sur la réalité de ce qu’ils ont observé », répond le commissaire divisionnaire au procureur qui revient sur la surveillance des policiers la nuit du 7 au 8 novembre… À propos des conditions de la rédaction du PV 104, il évoque soudain une surcharge de tâches pendant 48 heures… Il avait pourtant garanti « aucune pression sur ce dossier». D’aucune sorte.
« L’intérêt d’une surveillance, c’est de décrire les surveillés, pas ceux qui surveillent », répète-t-il par trois fois, reprenant mot pour mot une phrase prononcée par le procureur deux jours avant. Dur de savoir ce qu’ont fait les policiers cette nuit-là.
« Les fonctionnaires mettent leur vie en danger »
« Il n’est pas fréquent que des policiers descendent sur les voies », remarque maître Assous en interrogeant le témoin. « Les fonctionnaires mettent souvent leur vie en danger… », loue Fabrice Gardon. « Mais ils ne l’écrivent pas ? », s’étonne Jérémie Assous. « Ils sont modestes », constate Fabrice Gardon. « Courageux et modestes, c’est la devise de la Sdat… », sourit Jérémie Assous.
L’avocat poursuit : « Les prévenus remettent en cause la présence policière cette nuit-là, et donc le coup de téléphone que vous auriez reçu à 5 heures du matin… » Fabrice Gardon évoque l’appel de T2, il ne se trompe jamais dans les noms de codes des témoins anonymisés. Il est le seul.