Tarnac : la fin du fantasme terroriste

La Cour de cassation a définitivement écarté, mardi, la qualification terroriste dans l’affaire des sabotages des lignes TGV en 2008. L’épilogue d’un feuilleton judiciaire interminable, et un désaveu cinglant pour le parquet.
10 janvier 2017
Emmanuel Fansten , Willy Le Devin
Manifestation en soutien aux mis en examen dans l’affaire de Tarnac, le 31 janvier 2009, à Paris. Photo Marc Chaumeil

Tarnac, terminus. Après huit ans de procédures et d’atermoiements judiciaires, la chambre criminelle de la Cour de cassation vient d’écarter définitivement la qualification terroriste à l’encontre de Julien Coupat et de ses comparses. Le groupe de Tarnac n’aura donc pas «les honneurs» d’un grand procès aux assises, comme il le réclamait ironiquement.

Huit de ses membres comparaîtront devant le tribunal correctionnel de Paris, dont Coupat et son ex-compagne Yildune Lévy, soupçonnés d’avoir posé un crochet sur la caténaire d’une ligne TGV en novembre 2008. Tous deux seront jugés pour «association de malfaiteurs» et «dégradations en réunion», les autres étant simplement renvoyés principalement pour «refus de se soumettre à des prélèvements biologiques» ou «recel de faux documents administratifs». De simples délits de droit commun, débarrassés de leurs oripeaux terroristes. «Il n’existe pas de charges suffisantes permettant de retenir que les infractions […] auraient été commises en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur», souligne la plus haute juridiction française dans son arrêt, mettant ainsi un point final à l’incroyable acharnement du parquet dans ce dossier. Un triple camouflet pour l’institution, après la décision initiale des juges d’instruction, confirmée par la cour d’appel de Paris puis par la Cour de cassation, d’écarter la qualification terroriste, en dépit des réquisitions invariables du ministère public. Jusqu’au bout, le parquet aura tenté de criminaliser le groupe de Tarnac, estimant que l’Insurrection qui vient, le pamphlet anarcho-libertaire attribué aux proches de Coupat, ne laissait «aucun doute quant à la finalité de renverser par la violence l’Etat et détruire la société occidentale actuelle».

Acharnement

Cet arrêt de la Cour de cassation constitue donc l’épilogue d’un feuilleton interminable, devenu le symbole de l’instrumentalisation du terrorisme à des fins politiques. «Pendant huit ans, la justice s’est acharnée à utiliser les moyens de l’antiterrorisme et à marquer cette procédure de son sceau pour finalement aboutir à cette décision, a réagi Marie Dosé, avocate de Gabrielle Hallez et d’Yildune Lévy, prévenues dans le dossier. Espérons que huit années supplémentaires ne soient pas nécessaires à consacrer la seule décision judiciaire qui s’impose : une relaxe.»

Dès l’origine, le groupe de Tarnac a fait l’objet d’un acharnement de tous les instants de la police antiterroriste. Fraîchement créée par le président Nicolas Sarkozy, qui ne voulait ni plus ni moins qu’un «FBI à la française», la rutilante Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) dispose alors de peu d’os à ronger. «Le pouvoir de l’époque avait besoin d’une menace intérieure pour justifier sa réforme du renseignement et l’absence de résultats probants», se souvient un haut magistrat. Va pour «l’ultragauche», que la locataire de Beauvau, Michèle Alliot-Marie, dressera en parangon de la menace invisible.

En 2005, le rachat de la ferme située sur le paisible plateau de Millevaches est d’abord épluché par Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy. Toutefois, aucune irrégularité ne sera constatée. En avril 2008, le patron de la Sous-Direction antiterroriste (Sdat) de la police judiciaire demande au parquet de Paris l’ouverture d’une enquête préliminaire sur «une structure clandestine anarcho-autonome entretenant des relations conspiratives avec des militants de la même idéologie implantés à l’étranger et projetant de commettre des actions violentes». Des placements sur écoute – illégaux – sont déclenchés.

PV tronqués

Quelques mois plus tard, entre fin octobre et début novembre 2008, cinq sabotages sur plusieurs lignes TGV sont déplorés par la SNCF dans l’Oise, dans l’Yonne et en Seine-et-Marne. Dans un procès-verbal, les policiers décrivent les mouvements de la voiture occupée par Julien Coupat et Yildune Lévy, tournant pendant des heures autour du lieu du sabotage. «On a fait l’amour dans la voiture, comme plein de jeunes», justifiera le couple. Le 11 novembre, neuf suspects sont interpellés et placés en garde à vue. Quatre jours plus tard, ils sont mis en examen pour «association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme».

Une accusation déjà dans l’air du temps. Très écouté par Sarkozy, le professeur en criminologie Alain Bauer a acheté en personne quarante exemplaires de l’Insurrection qui vient. Il en remet un à Frédéric Péchenard, alors directeur général de la police nationale (DGPN). La machine est lancée. Sollicité mardi par Libération, Bauer se félicite de la décision de la Cour de cassation, assurant avoir toujours expliqué que l’incrimination terroriste ne tenait pas dans l’affaire Tarnac.

Beaucoup plus grave pour l’enquête, les procès-verbaux tronqués versés à la procédure. En février 2011, Jérémie Assous et Thierry Lévy ont porté plainte avec constitution de parties civiles pour «faux en écritures publiques». En cause, le PV numéro 104, signé par l’officier Hubert Mancheron, qui reprend les étapes de dix-sept heures de filature de la Mercedes de Julien Coupat et Yildune Lévy, les 7 et 8 novembre 2008. Truffé d’erreurs, il induit notamment que le couple a parcouru 26,6 km en dix minutes (soit une moyenne de 159 km/h), ce qui est proprement impossible sur des routes de nuit en Seine-et-Marne. En réalité, les policiers ont caviardé le PV pour masquer l’usage d’une balise GPS électronique.

La Sdat, enfin, aurait fait pression sur Jean-Hugues Bourgeois, jeune agriculteur et principal témoin à charge du dossier. Au départ, ce dernier accuse sous X le groupe de Tarnac d’avoir un projet de «renversement de l’Etat». Pour le témoin numéro 42, Coupat envisage même «d’avoir à tuer».

«Supercherie»

Mais, le 11 novembre 2009, coup de théâtre. TF1 fait parler Jean-Hugues Bourgeois en caméra cachée. Il déclare n’avoir eu «aucune idée du témoignage anonyme». L’un des fonctionnaires de la Sdat lui aurait expliqué qu’il y avait «tout un tas d’infos, d’interceptions de mails» qui n’étaient «pas exploitables dans une procédure judiciaire», et qu’ils avaient «besoin d’une signature». Les avocats de la défense s’insurgent à nouveau et écrivent au juge qui instruit l’affaire à l’époque, Thierry Fragnoli. Jean-Hugues Bourgeois confesse benoîtement «avoir signé sa déposition sans la lire» et s’être «associé à cette supercherie sous la pression des policiers». La débâcle couve. Mais il faudra encore six ans pour que le fiasco soit définitivement acté.

La qualification terroriste étant désormais écartée, va se poser la question de l’administration de la preuve, tant l’enquête apparaît bâclée. En creux, l’arrêt de la Cour de cassation pose de nombreuses questions sur la loyauté d’une enquête inspirée par des motifs d’ordre public. «Le procès à venir sera celui des méthodes de l’antiterrorisme et de ses manipulations, prévient Marie Dosé. Et nous sommes prêts à déconstruire leur édifice de papier.»

Article(s) associé(s)
Rendu de la Cour de Cassation

Plan du site

FRAGMENTS DU VISIBLE en un coup d'œil

Recherche