Au procès de Tarnac, les enquêteurs bousculés

À l'audience, jeudi, la présidente du tribunal les a mis à mal en s'attaquant notamment aux incohérences du procès-verbal concernant le sabotage d'une ligne TGV par le couple Julien Coupat-Yildune Levy.
22 mars 2018
Stéphane Durand-Souffland / Mis à jour le 22/03/2018 à 20h59 | Publié dans Le Figaro

Il y a quelque chose de rassurant à regarder Corinne Goetzmann présider le procès dit «de Tarnac». À l’écouter interroger témoins et prévenus. À mesurer combien la magistrate maîtrise ce dossier complexe. À apprécier, surtout, à quel point importe au tribunal la manière dont ont été consignés les éléments de la procédure.

L’accusation repose en grande partie sur le procès-verbal D 104 (la filature du couple Julien Coupat-Yildune Levy le jour du sabotage d’une ligne de TGV, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008), tenu pour un faux par la défense. Mais celle-ci, qui s’exprime à quatre voix non coordonnées, se perd dans des arguties éprouvantes pour les nerfs.

Mme Goetzmann, elle, est une juriste authentique. Qui commence par regarder les pièces avant d’extrapoler: pourquoi le PV 104 n’est-il signé que par un seul policier, alors qu’ils étaient une vingtaine à «filocher» le supposé idéologue de Tarnac et sa compagne? Pour la présidente, ceci obère de manière significative sa «valeur probante».

Et ce, même si le téléphone d’un (seul) fonctionnaire active par ailleurs une borne-relais sur le lieu du sabotage à l’heure où ce dernier a pu être commis: la forme, dans un procès pénal où se joue le destin de huit êtres humains qui encourent jusqu’à cinq ans de prison, n’est pas la défroque interchangeable du fond.

Autre socle de l’accusation: la déposition, le 14 novembre 2008, d’un témoin anonyme («T42»). Cet individu accable Julien Coupat, «une sorte de gourou faisant peu de cas de la vie humaine et ayant pour objectif le renversement de l’État», avec autour de lui «le Comité invisible, sous-section du Parti imaginaire».

Pourquoi le PV 104 n’est-il signé que par un seul policier, alors qu’ils étaient une vingtaine à «filocher» Julien Coupat et Yildune Levy

Le double discours du témoin «T42»

Un mois plus tard, un certain Jean-Hughes Bourgeois, éleveur de chèvres, dépose devant le même service. Il dit le contraire de ce que prétend «T42»: la communauté de Tarnac se préoccuperait uniquement d’activités agricoles et artisanales. Or, «T42» et M. Bourgeois sont la même personne. La seconde audition serait, selon les policiers, une idée lumineuse du juge d’instruction pour protéger l’identité, en passe d’être éventée, de ce témoin irremplaçable, le seul qui présente les suspects comme de dangereux terroristes. «Quand dit-il la vérité?», demande sèchement la présidente aux fonctionnaires entendus, sécurité oblige, par visioconférence, visages dissimulés. À l’un d’eux, elle lance: «Si son identité n’avait pas été révélée dans la presse, on aurait manipulé le tribunal.»

Dès lors, peu importe lequel des avatars de M. Bourgeois ne ment pas: nulle vérité judiciaire ne saurait être recueillie de manière déloyale. Les prévenus, du moins les deux plus remontés, demeurent persuadés qu’ils sont visés par une forme de complot politique. Mais persister à voir en Mme Goetzmann et ses assesseuses des ennemis de classe est absurde. Admettons que Julien Coupat et ses amis n’aient jamais rencontré, jusqu’à présent, de magistrat conforme à l’idée qu’ils se font de la loyauté. Ils devraient accepter l’idée qu’ils ont enfin, face à eux, un tribunal présidé par ce qu’on peut appeler, dans toute l’acception du terme, un juge.

 

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