«On l’aurait retrouvé au bout d’une corde»

25 novembre 2009
Karl Laske Libération - Photo Thierry Zoccolan AFP

«Il y a des moments où on est vulnérable, et des gens sont payés pour le savoir», a confié Jean-Hugues Bourgeois à un proche. L’éleveur de 30 ans, installé à Saint-Gervais-d’Auvergne (Puy-de-Dôme), a vécu sous les menaces pendant six mois avant de devenir témoin à charge dans l’affaire Tarnac. Ses chèvres avaient été tuées, ses granges incendiées et des agriculteurs du cru soupçonnés de vouloir récupérer ses terres. En juin, il a été lui-même mis en examen pour «dénonciation de faits imaginaires» sur la base d’une expertise graphologique. «Il n’y a aucun élément objectif qui permette de dire qu’il ait lui-même tué ses chèvres, brûlé ses granges et son foin», s’insurge son avocat, Me Jean-Louis Borie.

 

Originaire des Hautes-Alpes, Jean-Hugues Bourgeois s’est installé en 2006 dans le massif des Combrailles sur un terrain humide, entouré de bois. Il construit un chalet, une serre, pose une caravane et une roulotte. Il fait creuser un étang. Les amis viennent de partout.«Le soir, ils refaisaient le monde ici, se souvient Michel Message, un agriculteur proche de la retraite. C’était pas fameux comme terrain, je lui ai proposé la moitié de ma propriété.» Après une adolescence militante à l’extrême gauche, Bourgeois s’est rapproché des autonomes dans les manifestations anti-G8 de Gênes et de Genève. Sa sœur appartient au réseau des coopératives Longo Maï et l’oriente vers l’agriculture bio. Il se range et démarre un élevage chevrier, construit une petite fromagerie, tout en tenant la permanence juridique de la Cimade à Clermont-Ferrand.

 

Pistolet.

Le village de Tarnac et la ferme du Goutailloux, à cent kilomètres de là, il les découvre avec un ami, ancien de Longo Maï, qui s’y est installé. Bourgeois leur vend des chèvres, leur emprunte un bouc.

Le 31 mars 2008, des anonymes frappent son troupeau de chèvres durant la nuit. Dans l’enclos qu’il vient de construire, dix chèvres sont tuées à coups de pistolet d’abattage. Message, son ami, peste contre le juge qui soupçonne Bourgeois d’être l’auteur de ces méfaits : «Un juge qui raconte des trucs comme ça, je le ferais entrer dans un troupeau et essayer d’en tuer une seule, il verrait comment ça se passe !»

Pour la presse, Bourgeois devient «l’éleveur bio harcelé». Une association est montée. La Confédération paysanne le soutient. Mais les mauvais coups continuent. «Les gens d’ici n’arrivent pas à comprendre qu’on puisse aider un jeune, explique Michel Message. Ils se disent : « Si Message n’a pas d’héritier, la terre est pour nous ! »»

Des fers à béton sont plantés dans ses champs pour crever les pneus ou casser la faucheuse. Une lettre anonyme menace de viol sa fille de huit ans. Deux incendies détruisent ses réserves de foin bio. Début octobre, le feu ravage la grange de Message : 35 tonnes de foin et 10 tonnes de grain appartenant à Bourgeois partent en fumée. «Monsieur Bourgeois était catastrophé», dit une voisine. Sous le choc, il décide de partir en Bretagne, en décembre 2008. «Je lui ai dit que s’il était resté au pays on l’aurait retrouvé au bout d’une corde», confie Message.

 

ADN.

Au printemps, alors qu’un militant du Front national parisien a été confondu par une trace d’ADN sur une lettre de menaces, Bourgeois est soumis à une expertise graphologique. «L’expert considère que la lettre anonyme en forme de cercueil a vraisemblablement été écrite par vous», avance le juge de Riom, Bruno Méral, qui admet que l’écriture bâton employée «ne permet pas un examen comparatif complet». Bourgeois s’insurge, et se plaint des conditions de l’expertise. Mais le juge le met en examen. «Rien ne vous empêchait d’aller à la grange et d’allumer vous-même l’incendie», déclare-t-il. Poussant les investigations, le juge s’est penché sur le dossier scolaire de Bourgeois. «A l’âge de 14 ans, vous déclariez fabriquer de petits engins explosifs et allumer des petits feux», remarque-t-il. «Vous déclariez vouloir être plus tard chimiste ou terroriste…»«J’avais 14 ans !» a protesté Bourgeois. L’enquête est au point mort.

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