Le groupe de Tarnac échappe finalement aux poursuites pour «terrorisme»

La cour d'appel a validé l'enquête des juges d'instruction, contre l'avis du parquet général.
28 juin 2016
Par Emmanuel Fansten — 28 juin 2016 à 17:09
Manifestation, le 31 janvier 2009, à Paris, contre les lois antiterroristes et en soutien aux membres du «groupe de Tarnac» mis en examen dans l’enquête sur les dégradations contre des lignes TGV. Photo Marc Chaumeil. Fedephoto

Un désaveu cinglant. En confirmant que les sabotages de lignes SNCF imputés au groupe de Tarnac n’ont aucun caractère terroriste, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris vient de faire voler en éclat la thèse soutenue pendant huit ans par le parquet. Depuis l’arrestation de Julien Coupat et de sa compagne d’alors, soupçonnés d’avoir posé un crochet sur le caténaire d’une ligne TGV en novembre 2008, le concept flottant d’«acte terroriste» a traversé toute l’affaire de Tarnac.

Contre-pied

Fruit de l’instrumentalisation politique de l’ultra-gauche sous Sarkozy et des errements de la DCRI (Direction centrale de la sécurité intérieure), le dossier va cependant se dégonfler au fil des sept années d’instruction, qui ont mis en lumière les nombreux manquements de l’enquête policière. Un dossier qui finit par basculer à l’été 2015. Prenant le contre-pied des réquisitions du ministère public, les deux juges d’instruction écartent alors la circonstance aggravante de «terrorisme» pour Julien Coupat et deux de ses comparses. Tout en admettant que des actions ont été commises «dans le dessein patent de désorganiser le fonctionnement d’un rouage considéré comme étatique, la SNCF», les magistrats soulignent «qu’au-delà du préjudice évident occasionné, du trouble manifeste apporté à l’ordre public et du désagrément causé aux usagers, ces actions ne peuvent être considérées comme ayant intimidé ou terrorisé tout ou partie de la population», et ce «malgré la rhétorique guerrière employée» dans L’insurrection qui vient, l’ouvrage attribué au Comité invisible de Julien Coupat.

L’affaire aurait pu s’arrêter là. Mais trois jours plus tard, signe que le dossier est toujours éminemment politique, le parquet de Paris fait appel de l’ordonnance des juges. Le procureur François Molins connaît bien le sujet, lui qui était directeur de cabinet de Michèle Alliot-Marie, place Beauvau, quand l’affaire a éclaté. «Il s’est retrouvé prisonnier de l’instrumentalisation politique du dossier huit ans plus tôt», analyse un haut magistrat. Une position qui sera suivie à la lettre par le parquet général.  «La teneur de l’ouvrage écrit par Julien Coupat ne laisse aucun doute quant à la finalité de renverser par la violence l’Etat et détruire la société occidentale actuelle, a souligné ce dernier dans son réquisitoire. La finalité terroriste du groupuscule ainsi constitué ne saurait être nuancée par l’absence de victimes humaines». Des arguments qui n’ont finalement pas convaincu la cour d’appel, dont l’arrêt valide la position des juges d’instruction.

L’épouvantail ultra-gauchiste

Fin du débat ? Sans doute pas. Huit ans après les sabotages, le dossier apparaît encore d’autant plus sensible qu’il entre doublement en résonance avec l’actualité. Avec le contexte terroriste d’abord, dans un pays traumatisé par les attentats de Charlie et du 13 novembre. «Dès lors que l’intention n’est pas de blesser, un acte ne peut être considéré comme terroriste, s’insurge Marie Dosé, avocate de deux prévenues dans le dossier Tarnac. Si agir pour retarder un train est une façon de terroriser l’Etat, jusqu’où va-t-on ? Terroriser la France, ce n’est pas ça.» Résonance avec le contexte social, aussi. Comme il y a huit ans, l’ultra-gauche sert toujours d’épouvantail pointé par le gouvernement, comme l’ont montré les débats sur les débordements en marge de la loi travail. Mi-mai, à l’Assemblée nationale, Manuel Valls n’a pas hésité à stigmatiser «ces black blocs, ces amis de Julien Coupat, toutes ces organisations qui n’aiment pas la démocratie». Le Premier ministre s’appuyait notamment sur une note de la DGSI (qui a remplacé la DCRI en 2014) affirmant que «le réseau de Julien Coupat, engagé contre la loi El Khomri, encourageait les émeutiers, sans prendre part aux exactions». Comme un bégaiement de l’histoire, qui pourrait encore rebondir.

Débarrassé de sa qualification terroriste, le procès du groupe de Tarnac pourrait se tenir au premier semestre 2017, en pleine campagne présidentielle. A moins que le parquet général ne décide de se pourvoir en cassation.

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