Procès Tarnac : Yildune Lévy espère « huit relaxes », et dénonce dix ans de « manipulation policière »

À la veille de son procès, Yldune Lévy s’explique pour la première fois sur France Inter, sur cette procédure dite "de Tarnac" qui lui "pollue l’existence" depuis dix ans. Elle détaille comment, selon elle, l'enquête a écarté les éléments à décharge pour "fabriquer une culpabilité".
12 mars 2018
Sara Ghibaudo / Publié le lundi 12 mars 2018 à 6h05 sur France Inter

 

 

Yldune Levy en janvier 2009 devant le palais de Justice de Paris © AFP / Joël Saget

Comment est-ce que vous avez vécu ces dix ans de procédure ?

Une procédure judiciaire qui n’en finit pas, comment vous dire, cela pollue et cela colonise l’existence. Et ce n’est pas parce que la qualification terroriste est tombée que les méthodes antiterroristes, elles, ont disparu. Et pour simple preuve, on vient d’apprendre que les policiers réclament l’anonymat à l’audience, comme la loi de 2015 sur le renseignement le leur permet, et ce qu’il faut comprendre c’est que dès lors qu’on mélange le renseignement et le judiciaire, c’est toujours le renseignement qui gagne. C’est assez simplement ce qu’on appelle une police politique, et la plus belle illustration que je connaisse c’est un film qui s’appelle « La vie des autres » que je conseille à tout le monde de regarder.

Pourquoi c’est un problème pour vous que les enquêteurs viennent témoigner au procès de manière anonyme ?

C’est un problème parce qu’on ne peut pas être confrontés aux personnes qui nous ont accusés de certaines choses. Pour vous donner un exemple concret, dans notre affaire il y a certains policiers qui ont des dons d’ubiquité on pourrait dire, c’est-à-dire qu’en même temps qu’ils prétendent être en surveillance sur Julien et moi, au même moment ils signent un PV à Levallois-Perret, donc comment font-ils pour être à deux endroits en même temps ?
Dix années d’une telle procédure, je pense que cela ne laisserait personne indemne, la justice c’est quelque chose qui suspend votre existence et confisque toute capacité à vous projeter dans le temps, sur quelque plan que ce soit. Moi j’ai 35 ans aujourd’hui, j’en avais à peine 25 au moment de mon arrestation, ce qui représente un tiers de mon existence. Ce que j’attends de ce procès c’est tout simplement la relaxe, je dirais même plus, huit relaxes.

Est-ce que oui ou non vous reconnaissez que vous avez été en Seine-et-Marne, sur les lieux et au moment où les dégradations ont été commises ?

Absolument pas, puisqu’à 2h44 je retirais de l’argent avec ma carte bleue à Pigalle, donc j’étais à Paris contrairement à ce que disent les enquêteurs. Et franchement, qu’on arrête de dire « pourquoi elle ne l’a pas dit plus tôt ? », « Pourquoi elle ne s’en est pas souvenu ». Si j’avais construit un alibi en filant ma carte bleue à une tierce personne, je l’aurais effectivement dit plus tôt. Franchement la manipulation ici elle est policière, comme toujours dans ce dossier, la manipulation c’est d’avoir attendu des années pour faire rentrer au dossier cette opération de carte bleue. Et puis franchement surtout, les policiers écrivent noir sur blanc qu’on savait qu’on était suivis, nous on a toujours dit qu’on savait qu’on était suivis, ce qui se passait c’est plus un jeu du chat avec la souris, et ce pendant plusieurs heures, et on veut faire croire que deux personnes qui se savent suivies vont commettre une infraction ? Qui peut croire une bêtise pareille, aujourd’hui cela relève juste du bon sens.

Est-ce que vous pouvez me raconter ce qui s’est passé ce soir et cette nuit-là ?

Nous on savait qu’on était surveillés depuis déjà un certain temps. Il faut savoir que vivre sous surveillance, quand on n’en comprend pas les raisons, c’est pénible, et ça fait peur. Et donc à un moment donné on en a marre, on se dit on va sortir de Paris, et là on arrive dans la campagne, on se rend compte que même au fin fond de la campagne on est toujours suivis, où qu’on aille. C’est là que va se mettre en place le jeu du chat et de la souris. Matériellement, nous, on n’a jamais su exactement où on était. À part la pizzeria, et l’hôtel où on a demandé où dormir [NDLR, à Trilport en Seine-et-Marne], mais sinon on n’a jamais su exactement où on était. Tout le monde nous dit toujours « Ah mais quelle coïncidence ! » et en fait si on regarde une carte de France,et de Paris, sur où ont lieu les différents points de sabotage, dans la nuit du 7 au 8, où que l’on soit entre 1h et deux heures de Paris, on est près d’un point de sabotage. Sauf si on était partis plein ouest : erreur stratégique, on aurait dû aller au bord de la mer ! [NDLR : trois autres sabotages de caténaire ont eu lieu cette nuit-là, deux dans la Somme et un dans l’Yonne]
Et puis d’un autre côté on était à leurs yeux, j’imagine, « des bons clients » dans le sens où on n’a pas de portable, on n’utilise pas ces moyens-là donc on n’aura personne pour justifier de notre présence. Et aucun élément matériel à ce moment-là, parce que pour moi retirer de l’argent pour acheter des clopes c’est un acte anodin du quotidien, et c’est juste que je n’en ai pas le souvenir à ce moment-là. Mais franchement, si ce retrait, il avait été mis au dossier le 8 novembre, ce qui aurait été normal et qui a été le cas pour tous les autres mis en examen, sauf moi, il faut le savoir : quand la super numéro 2 du groupe de je sais pas quoi, ses comptes ils rentrent pas, tout le monde s’en fout !

Est-ce que vous pensez que des éléments importants ont été écartés de l’enquête ?

Oui plutôt, je ne suis pas certaine que trois semaines d’audience cela suffise pour lister tous les éléments qui ont été écartés, pour tenter de fabriquer une culpabilité. Pour prendre ne serait-ce qu’un exemple : la revendication. Parce que les actes qu’on tente de nous imputer, ils ont été revendiqués et ce, avant même nos arrestations. Revendiqués par le mouvement antinucléaire allemand. Et en dix ans de procédure, on n’a pas eu le temps d’interroger les destinataires de cette revendication, par contre on a eu le temps d’envoyer des gens pour interroger la nounou de Julien en Autriche. Pourquoi cette revendication a-t-elle été balancée aux oubliettes, au nom de quoi ? Je ne sais pas, vous en connaissez beaucoup des procédures où des infractions sont revendiquées dans la plus grande indifférence, des dossiers où les juges décident arbitrairement qu’une revendication ne vaut rien ?

Qu’est-ce que vous faites aujourd’hui et quels sont vos projets ?

À court et moyen terme, la relaxe. Sinon dans la vie plus globalement, je travaille comme bon nombre d’habitants de ce pays et je continue de participer à des luttes qui me sont chères, comme également bon nombre d’habitants de ce pays.

Comment est-ce que vous décririez votre engagement politique, vous qui avez été présentée à l’époque comme membre d’un groupe d’ultragauche, anarcho-autonome, prête à commettre des actions violentes ?

Forcément ça me fait sourire votre question… Franchement, le « groupe de Tarnac » ça n’existe pas, d’accord, ça n’a jamais existé, c’est une construction. C’est une fiction politique, puis policière, puis judiciaire. Et puis médiatique, aussi. Ce groupe il a commencé à exister pour lutter contre une procédure, pour se défendre collectivement. Personnellement, je ne me sens ni anarchiste ni ultra, et sur un échiquier politique qui ne m’appartiendra jamais, si je dois me définir, je dirais plutôt que je suis communiste, mais pas au sens du parti communiste, au sens du commun. Je crois en une perspective révolutionnaire, c’est-à-dire assez simplement que je crois au bouleversement possible de l’ordre des choses, et donc à la transformation du monde. Je réfute l’idée que le capitalisme occidental serait le seul horizon possible. Ma formation à moi, c’est préhistorienne, du coup cela a construit mon rapport au monde, et 2.000 ans d’Histoire à l’échelle de l’humanité, désolée, mais c’est bien peu.

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