Comment Mam a bidonné le scoop de Tarnac

15 avril 2009
Guillaume Dasquié - Charlie Hebdo

En réalité, trois ans avant son interpellation, le 11 novembre 2008, les services de sécurité français suivaient déjà Julien Coupat. Une fiche des Renseignements généraux du 28 octobre 2005, dont nous avons trouvé la trace, demande à son sujet «une mise sous surveillance immédiate» en stipulant «individu proche de la mouvance anarcho-autonome». Julien Coupat a pris goût à la castagne lors des grandes manifestations antiglobalisation. L’administration l’a dans le colimateur.

 

Les services de renseignement financier de Tracfin se penchent même sur sa petite communauté d’amis, établie au village de Tarnac, son épicerie, sa ferme. Dans un rapport du 10 novembre 2005, Philippe Defins, l’un des chefs de Tracfin, les soupçonne de se livrer au «blanchiment du produit d’activités de1ictueuses». Une première paranoïa vite dissipée. Les parents de Julien Coupat s’avèrent à l’origine des mouvements financiers dont profitent ces jeunes fermiers. Gérard et Jocelyne Coupat, deux cadres supérieurs du groupe pharmaceutique Sanofi-Synthelabo, ne rechignent pas à aider leur intello de fils unique, adepte d’une vie communautaire loin des quartiers bobos.

 

Le dispositif sécuritaire autour du jeune Coupat se relâche, pour peu de temps. Après l’arrivée de Michèle Alliot-Marie au ministère de l’Intérieur, au printemps 2007, on considère que l’ultragauche basculera sous peu dans le terrorisme (NdL&I : c’est surtout Alain Bauer qui est le père de cette manipulation. Faire trembler le bourgeois pour lui fourguer son attirail sécuritaire, il sait y faire le grassouillet d’AB Consultants). Une construction sécuritaire lourde de conséquences.

 

Les véritables ennuis de Julien Coupat débutent quelques mois plus tard. Les policiers parisiens ont une conviction : Julien Coupat et sa copine Yildune Lévy-Guéant sont impliqués dans l’explosion d’une bombe artisanale de faible intensité, contre un centre de recrutement de l’armée américaine. dans le quartier de Time Square, à New-York, le 6 mars 2008. Aucune information en provenance des États-Unis ne permet de le démontrer. Qu’importe. Moins d’un mois plu tard. cette suspicion sert de prétexte au patron de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, Frédéric Veaux, pour demander l’ouverture d’une enquête préliminaire, comme le montre son courrier du II avril 2008 au procureur (voir fac-similé).

Lettre de Fréderic Veaux sur Julien Coupat et Yldune Levy
Dans sa lettre, Frédéric Veaux établit un lien entre cette explosion et des déplacements entre le Canada et New York effectués bien plus tôt, au mois de janvier, par Julien Coupat et Yildune Lévy-Guéant. Un raisonnement tortueux. Quand l’attentat se produit le 6 mars, provoquant de légers dégâts matériels, les deux Français sont rentrés chez eux depuis plusieurs semaines. N’empêche, la section CI du parquet de Paris, en charge de l’antiterrorisme, ne remet pas en cause le bienfondé de l’hypothèse de départ. Pire, le 2 septembre 2008, le vice-procureur Alexandre Plantevin se réfère à nouveau à l’attentat de Time Square pour motiver, sur cinq pages, une prolongation des écoutes téléphoniques de l’épicerie.

 

Des vandales, mais pas des terroristes


Et de l’autre côté de l’Atlantique ? Qu’en pensent les limiers du FBI, à New York ? La semaine dernière, nous sommes entrés en contact avec leur représentant, l’agent Jim Margolan. Selon lui, «il n’existe pas à ce jour de mandat d’arrêt ou de demande officielle visant M. Coupat ou un autre Français» en relation avec l’explosion du 6 mars 2008. D’ailleurs, sur les près de 4 000 pages d’enquête, nous n’avons pas trouvé le moindre échange de données avec l’agence américaine.

 

Jonathan Dienst, un journaliste new-yorkais de la chaîne WNBC, a suivi les investigations du FBI sur l’affaire de Time Square. Il nous confirme que ses contacts auprès des enquêteurs «avaient dès le début invalidé la piste des deux Français aperçus au mois de janvier 2008 à la frontière américano-canadienne».

 

Et au Canada précisément, Kareen Dione, porte-parole des services frontaliers, nous précise qu’une «enquête avait été confiée à la Gendarmerie royale du Canada» sur Julien Coupat, soupçonné d’avoir voyagé entre les deux pays sans disposer des bons visas. Le 13 octobre 2008, les policiers français de l’antiterrorisme remplissent un procès-verbal de deux pages intitulé «Réception de renseignements émanant de la Gendarmerie royale du Canada». Pour toute pièce maîtresse, leurs homologues de Toronto transmettent un carnet supposé appartenir à Julien Coupat sur lequel ont été notés «des éléments relatant au jour le jour des réunions d’activistes d’extrême gauche s’étant tenues vraisemblablement à New York».

 

Aucun commencement de preuve quant à un lien éventuel avec l’attentat du 6 mars. Mais, en ce mois d’octobre 2008, la section antiterroriste du parquet de Paris ne se décourage pas. La piste ferroviaire tombe à pic. À défaut de dynamiteur de Time Square, Julien Coupat passera pour un dérailleur de trains.


Dans la nuit du 7 au 8 novembre, une rame transportant des déchets nucléaires retraités, baptisée Castor, circule de l’usine de retraitement de la Hague, en France, à la ville de Gorleben, en Allemagne. Les détails de l’itinéraire ont été mis en ligne un peu plus tôt sur le site Internet de l’association Sortir du nucléaire. La même nuit, le véhicule de Julien Coupat est identifié par des policiers à proximité d’un point du tracé; une voie TGV qui sera détériorée par l’installation de crochets métalliques.

 

Le 10 novembre, le bureau d’Interpol de Wiesbaden, en Allemagne, signale qu’un communiqué posté à Hanovre a revendiqué une série d’actions contre ces voies ferrées, perpétrés à l’aide de crochets métalliques, des deux côtés du Rhin, pour perturber le convoi de déchets nucléaires.

 

Or, selon un rapport des services de sécurité intérieurs de Berlin, le BKA, daté du 2 décembre 1996, les antinucléaires allemands utilisent depuis au moins 1995 ces mêmes crochets métalliques, qui cassent les caténaires des locomotives, pour provoquer des coupures de courant le long des voies sur lesquelles doivent circuler des déchets nucléaires. Ils ont pu influencer le groupe de Tarnac.

 

Comme le révèle un procès-verbal, les policiers français ont établi un lien entre une militante antinucléaire allemande, Sandra Gobe et Julien Coupat.

 

Pour autant, selon les experts de la SNCF que nous avons interrogés, ces crochets «interrompent le trafic en occasionnant des dégâts matériels, mais ne peuvent pas provoquer de déraillement». Du vandalisme, mais pas du terrorisme.

 

Le 11 novembre 2008, dix membres de la communauté de Tarnac ont été pourtant interpellés et placés en garde à vue pour… «association de malfaiteurs en vue de la préparation d’acte de terrorisme» .

 

Aujourd’hui, l’incompréhension prévaut. En témoigne ce procès-verbal du 16 février 2009, consignant un énième interrogatoire de Manon Glibert, 26 ans, prof de musique, résidente à ces heures de la ferme de Tarnac, mise en examen elle aussi. Le juge Edmond Brunaud la questionne longuement sur ses lectures, sur les auteurs contestataires qu’elle a lus ces dernières années. En guise de conclusion, le magistrat demande : «Comprenez- vous aujourd’hui ce qu’il vous est reproché.» Et, laconique, Manon de répondre : «Non, je ne comprends toujours pas ce qui m’est reproché

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