Bye Bye Saint Éloi – Un taré dans les Combrailles

8 juin 2015
Les mis en examen

Jean-Hugues Bourgeois, quand les mis en examen ont fait sa connaissance, ne s’était pas encore fait tatouer « REDEMPTION » en énorme sur le ventre. Il sortait plutôt d’années de vie mouvementées entre le deal de drogue dans les free parties et la vie dans les lieux alternatifs. Qui dit deal, dit stups, dit rapports louches avec la police, dit « faire attention ». Effectivement, il ne s’en cachait pas, ces années avaient été émaillées de rencontres avec les services de police. Cet ami d’ami avait curieusement décidé de s’installer à une heure et demi du Goutailloux peu après que certains des mis en examen aient entrepris de s’y installer. Depuis qu’il s’est carbonisé lui-même dans les Combrailles, il a tout aussi curieusement élu domicile à quelques kilomètres de la ZAD de Notre- Dame-des-Landes, au moment même où cette lutte prenait de l’ampleur. Mais la vie est faite de hasards, heureux et malheureux. En cette année 2007, JHB, comme on l’appelle, semblait trouver une forme de « stabilité » dans son projet agricole en Combrailles. Un brin fanfaron, amateur de provocations verbales, il aimait à se présenter comme un gentleman farmer à casquette à clous, parler à haute voix de son goût, réel ou fantasmé, en tout cas prononcé, pour les armes, et tester sans cesse ses interlocuteurs sur la nécessité de se tenir prêts à « y aller » et à l’éventualité d’une guerre, sans autre forme de précision. Cela n’était pas pour diminuer le caractère louche du personnage, mais enfin c’était un ami d’ami, et les mis en examen en avaient vus d’autres. Pour eux, JHB apparaissait alors comme un gars au passé difficile qui tentait de s’en sortir par un projet agricole individuel, perdu au fin fond des Combrailles, et ayant tendance à se fantasmer en homme des bois attendant le grand soir. Les avis à Tarnac quant à ce personnage manifestement trouble et franchement instable divergeaient. Certains, qui s’occupaient d’élevage et échangeaient de temps à autre un bouc avec lui, le tenaient presque pour un ami, du moins pour une relation honorable. D’autres pour un type à fuir.


Les choses ne tardèrent pas à changer. Un jour de janvier 2008, arrivait à la ferme une grande enveloppe en papier kraft adressée à « Comité Invisible – sous-section du Parti Imaginaire, ferme du Goutailloux 19170 Tarnac», le tout écrit au normographe dans la meilleure tradition du corbeau français. Elle avait été postée à Ussel en Corrèze et contenait un tract dactylographié titré « C’est la guerre, Jihad ! ». Ce document sera retrouvé dans la bibliothèque de Tarnac lors des perquisitions et coté au dossier par les enquêteurs. Ce document fourmillait d’allusions cryptiques au Comité Invisible, collectif anonyme ayant signé L’insurrection qui vient. Il reprenait une terminologie qui semblait directement tirée du discours policier entourant les premières arrestations « d’anarcho- autonomes d’ultragauche » qui venaient juste d’avoir lieu. Le texte semblait ensuite vouloir mouiller policièrement les récipiendaires dans l’énumération abstraite d’attaques contre des « symboles de l’État » (ANPE, centrales nucléaires, commissariats). La lettre fut reçue comme l’émanation d’une espèce de corbeau isolé et un peu détraqué, mais l’envoi en tant que tel fut considéré comme inquiétant au vu du contexte de répression qui s’annonçait. En attendant d’y voir plus clair, le courrier fut mis de côté. Il traînait encore à la bibliothèque de Tarnac onze mois plus tard.


Chose plus surprenante, le soir même de la réception de cette mystérieuse enveloppe, c’est Jean- Hugues Bourgeois qui téléphone au Goutailloux. Il explique alors qu’il a reçu un courrier sous enveloppe, un tract titré « Jihad, C’est la guerre ! ». L’envoi est apparemment en tous points similaire à celui reçu à la ferme, si ce n’est que lui prétend l’avoir reçu accompagné d’un allume-feu. Plus étrange, il affirme déjà savoir que d’autres personnes et lieux ailleurs en France ont reçu des envois similaires, et met ensuite un terme à la conversation en annonçant sa venue dès le lendemain. N’ayant pas eu d’écho, de leur côté, d’autres personnes « ailleurs en France » ayant reçu de tels courriers, les habitants du Goutailloux ce soir-là trouvent tout de même suspect que Jean-Hugues Bourgeois ait pu être au courant aussi vite d’autres envois du même type. Un doute traverse alors un certain nombre de personnes sur la relation de Jean-Hugues, sinon directement avec l’envoi, du moins avec celui ou ceux qui auraient monté cette mauvaise blague. Lors de sa venue, le lendemain, Jean-Hugues Bourgeois semble très perturbé par la lettre et monte toutes sortes de scénarios tous moins crédibles les uns que les autres sur l’origine de celle-ci. Ne voulant pas conjecturer dans le vide sur ce courrier dont l’objectif semblait visiblement de susciter un climat de paranoïa, on se sépara sans en savoir beaucoup plus, chacun retournant à ses activités. Hormis sa circulation sur au moins une liste de diffusion militante dans les jours qui suivirent, on n’entendit plus parler de ce fameux courrier.


Quelques contacts ultérieurs avec Jean-Hugues Bourgeois eurent lieu, suite à une forme d’appel à l’aide, de sa part, après l’abattage « criminel » de ses chèvres le 1er avril 2008. Une pleine page dans Le Monde, des interviews dans les journaux locaux, une campagne nationale était montée pour venir en aide au pauvre chevrier bio harcelé par ses voisins jaloux. Le 22 août 2008, Jean- Hugues Bourgeois, qui vient, selon ses dires, de trouver une « menace de mort en forme de cercueil » sur son tracteur, téléphone au Goutailloux pour une histoire de bouc qu’il doit venir chercher. Le 3 octobre, on apprend que la grange de Jean-Hugues Bourgeois a été brûlée. Le 29 juin 2009, Jean-Hugues Bourgeois, suite à une expertise graphologique établissant une concordance entre sa propre écriture et celle de plusieurs lettres de menaces adressées à lui-même, est mis en examen par un magistrat instructeur du tribunal de Grande Instance de Riom pour « dénonciation de délits imaginaires ». Il est soupçonné d’avoir abattu son propre cheptel, incendié sa propre grange et de s’être écrit à lui-même ainsi qu’à sa fille des menaces de mort et de viol. À l’expert psychiatrique qui lui demande pourquoi il a appelé son fils « Loup », il répond : « Parce que je suis un tueur de chèvres! »


Depuis qu’il a servi à la SDAT, puis au juge Fragnoli et à présent au parquet, grâce à son témoignage anonyme, à faire entrer dans le dossier d’instruction le récit inventé de toutes pièces d’un groupuscule rassemblé autour de Julien Coupat et basculant peu à peu dans le « terrorisme » – récit sans quoi, au vu de l’état du dossier au 14 novembre 2008, il aurait fallu libérer les mis en examen au terme de leur garde-à-vue étant donnée l’absence de charge avérée -, l’affaire instruite contre Bourgeois à Riom puis à Clermont-Ferrand a été curieusement ensablée. Gageons qu’elle sert de monnaie d’échange entre la SDAT et lui. On finira bien par savoir un jour si JHB était simplement taré, platement indic ou les deux. Pour l’heure, tout ce petit monde « se tient par les couilles », comme on dit à la SDAT.

 

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